samedi 14 avril 2012

L’innovation, cette richesse à protéger


FRANC FORT • La recherche et le développement suisses ont souffert l’an passé, forçant la Confédération à intervenir. Zoom sur l’une des sept entreprises fribourgeoises soutenues.

«L’été passé, lorsque l’euro a frisé la parité avec le franc, la pression est devenue insupportable», se souvient Daniel Kneubühl, directeur technique chez Digi Sens. A tel point que l’entreprise spécialisée dans les systèmes de pesage a dû mettre entre parenthèses tous ses projets d’innovation et concentrer son énergie sur des mesures de réduction des coûts, afin de garder la tête hors de l’eau.

La PME sise à Morat réalise près de 80% de son chiffre d’affaires grâce aux exportations, que ce soit de façon directe (vente de ses produits à des entreprises étrangères) ou indirecte (vente à des sociétés helvétiques exportatrices). Autant dire que la cherté du franc s’est fait durement sentir en 2011, notamment au niveau des marges, qui se sont réduites comme peau de chagrin.

Un tiers des camions suisses

Fondée en 1993, Digi Sens élabore, produit et commercialise des capteurs basés sur la technologie des cordes d’oscillation, c’est-à-dire la mesure des vibrations produites par un fil tendu entre deux éléments métalliques déformés sous l’effet d’une masse. Dans leurs locaux flambant neufs de la Freiburgstrasse, les quelque 30 employés (dont 6 ingénieurs et 17 ouvriers) conçoivent des balances destinées principalement à trois champs d’activités: la récolte des déchets, les ascenseurs et la gestion des stocks.

En Suisse, près d’un tiers des camions-poubelles sont équipés des systèmes de pesage intégré de l’entreprise, qui permettent la facturation des déchets au poids. «Nous sommes également leaders sur le marché européen», précise M. Kneubühl. Les fabricants d’ascenseurs (dont Schindler) utilisent eux aussi les précieux capteurs afin de contrôler que la charge maximale tolérée n’est pas dépassée. Enfin, de nombreuses entreprises placent sous leurs palettes de matériel une balance Digo Sens, ce qui permet un inventaire en temps réel des stocks.

Pour la société fribourgeoise, l’innovation, c’est le nerf de la guerre. Or, en raison de la crise du franc fort, «nous avons presque perdu une année dans le domaine de la recherche et du développement», soupire Daniel Kneubühl. Le regard azur du directeur technique s’éclaire néanmoins lorsqu’il évoque le coup de pouce alloué fin 2011 par la Commission pour la technologie et l’innovation (CTI), «qui devrait nous permettre de rattraper environ 6 mois».

Depuis le mois de février, Digi Sens bénéficie d’une partie de l’enveloppe mise à disposition par la Confédération pour lutter contre la cherté de la devise helvétique via des projets d’innovation (voir ci-contre). «Nous sommes en train de développer un calculateur de mesures de nouvelle génération. Cet outil (ndlr: qui sert d’interface entre les capteurs d’oscillations et leurs utilisateurs) sera à la fois meilleur marché, plus polyvalent et plus beau que le modèle que nous proposons actuellement à nos clients», explique Daniel Kneubühl.

Sept ingénieurs sur le pont

Pour mener à bien ce projet dans les limites de la durée du subventionnement, à savoir 9 mois, l’entreprise bénéficie du soutien de deux ingénieurs à plein-temps et de deux professeurs à temps partiel de l’Ecole d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg, dont le salaire est pris en charge par la CTI. De son côté, Digi Sens s’est engagée à mettre un ingénieur à plein-temps et deux ingénieurs à mi-temps sur le pont.

«Cette aide nous sauve la vie!», s’enthousiasme le directeur technique, qui voit ainsi s’éloigner la menace de devoir délocaliser une partie de la production. «Nous avons vraiment eu de la chance d’être sélectionnés pa la CTI», ajoute-t-il, faisant référence aux quelque 750 entrepreneur laissés sur le carreau. Seulement de la chance? «C’est vrai que notre dossier avait l’avantage de présenter des comptes équilibrés, ainsi qu’un produit dont le concept avait déjà été ébauché avant la crise du franc fort, et qui sera donc rapidement commercialisable.»

Plus de 1000 projets déposés

La Suisse ne possède pas de matières premières. Sa richesse, elle la tire notamment de son fort pouvoir d’innovation, qui a été mis en avant pas plus tard qu’en février dernier lors de la publication du tableau de bord européen de l’innovation (IUS) 2011. Celui-ci place le pays dans le peloton de tête mondial, «très loin devant» les membres de l’Union européenne. Pour promouvoir cette richesse, la Confédération s’est dotée d’un organe ad hoc, la CTI. Chaque année, cette commission encourage plus de 300 projets de recherche et développement. Au nombre des conditions de base pour bénéficier d’un coup de pouce figurent un partenariat entre entreprises et institutions de recherche, la prise en charge de 50% des coûts par l’industriel, ainsi que la possibilité d’aboutissement du projet à court ou moyen terme, avec commercialisation des résultats.

En automne dernier, les autorités fédérales ont décidé de débloquer un crédit de 100 millions de francs destiné à un programme spécial de la CTI pour lutter contre les ravages du franc fort. Les entreprises désireuses d’en profiter devaient, outre les garanties habituelles, fournir la preuve qu’elles axent leurs activités sur les exportations et que le projet présenté était commercialisable dans les 18 mois. La contribution de l’industriel pouvait par contre être inférieure à 50% du total. En deux mois, la CTI a enregistré 1064 demandes, dont 520 n’ont même pas pu être examinées. Au final, 246 dossiers ont reçu un soutien, dont 7 émanant du canton de Fribourg. Victime de son succès, la CTI a lancé un appel au Conseil fédéral afin qu’il augmente son budget 2012. Un appel entendu, puisque le gouvernement a proposé une rallonge de 60 millions de francs, qui s’inscrirait dans le cadre du premier supplément au budget 2012 de la Confédération, sur lequel les Chambres devront se prononcer durant la session d’été. PMI

PATRICIA MICHAUD

13/04/2012

http://www.laliberte.ch/info/l-innovation-cette-richesse-proteger

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