LES PRINCIPES AU FONDEMENT D'UNE NOUVELLE REFORME
Un système d'enseignement supérieur et une recherche efficaces sont des facteurs essentiels de croissance et de productivité. Mais le progrès de la connaissance et sa démocratisation sont des finalités dignes d'être poursuivies en elles-mêmes. Si le système d'enseignement supérieur et de recherche (ESR) permet le progrès économique et le progrès social, c'est aussi le lieu où se forgent les destins individuels et collectifs. Même si la loi du 10 août 2007 relative à la liberté et aux responsabilités des universités (LRU) a contribué à remettre au devant de la scène l'enjeu politique considérable dont il est question ici, il n'est en général pas l'objet d'un débat à la hauteur de son importance. Ce rapport se propose de revivifier le débat politique sur le sujet en avançant des pistes de réflexion et de réformes.
Au-delà des réformes de structures et de gouvernance de la LRU, l'objectif est de s'attaquer aux difficultés chroniques de l'université et de la recherche, notamment l'échec en premiers cycles, l'orientation et l'insuffisance des moyens. La tentation est grande de prôner des ruptures car certains dysfonctionnements viennent d'une organisation surannée de notre système, héritée d'une longue histoire et devenue handicapante dans le contexte actuel de la mondialisation de la connaissance.
Mais il s'agit pour le camp progressiste, sans céder ni au statu quo ni à la radicalité stérile, de faire franchir à notre système d'enseignement supérieur des obstacles importants qui brident l'expression de son potentiel. Dans cette démarche, toute l'énergie politique devrait être focalisée, à court terme, sur une priorité qui peut modifier profondément le fonctionnement du système, réconcilier les citoyens avec leur université, restaurer progressivement l'image de celle-ci, redonner confiance aux étudiants, élever significativement le niveau national d'éducation et fournir à l'économie les qualifications indispensables : la réussite du plus grand nombre des étudiants.
Si un tel objectif est d'intérêt national, le débat est légitime car il n'existe pas une vision uniforme des objectifs des politiques d'enseignement supérieur et de recherche. Le camp libéral et conservateur considère classiquement l'enseignement supérieur et la recherche avant tout comme un instrument de sélection des élites et un outil au service de l'économie et de l'entreprise. Le camp progressiste, s'il ne la formule pas explicitement, a une autre vision. Dans cette conception, l'enjeu de la connaissance transcende l'objectif économique sans le contredire : il s'agit d'un projet politique et d'un projet de société à long terme où la connaissance est valorisée pour ce qu'elle est autant que pour ce qu'elle permet.
De telles différences de conceptions ne sont évidemment pas neutres : elles ont des conséquences considérables sur la fixation des priorités, l'organisation territoriale de l'accès au service public de l'enseignement, l'attention portée à la condition sociale des étudiants et les moyens à mettre à la disposition du système et leur mode d'allocation.
MALGRE SES ATOUTS, L'ORGANISATION ACTUELLE DE NOTRE SYSTEME D'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE RECHERCHE RISQUE D'ENTRAINER LA FRANCE VERS UN DECROCHAGE CERTAIN
Les grandes écoles : un modèle à bout de souffle
Les grandes écoles ont participé à l'essor industriel de la France et il existe encore dans le pays un attachement excessif à ce modèle. Mais ce système a depuis longtemps atteint ses limites dans un contexte de mondialisation croissante des sciences et des techniques. De nombreuses critiques sont adressées depuis quelques décennies à ce système sans que des réformes réelles de fond soient mises en oeuvres : insuffisance de la recherche et formation des élèves trop axée sur la reproduction des savoirs, malthusianisme excessif de ce système, focalisation de moyens considérables sur quelques îlots très sélectifs, absence de diversité sociale et de diversité dans les parcours scolaires.
l'université affronte encore ses problèmes hérités des décennies passées Or les réformes actuelles, au-delà même du problème des grandes écoles, ne sortiront pas l'université et le système global de ses difficultés chroniques. Une difficulté majeure a été l'accueil par les universités d'un nombre croissant d'étudiants. Certes mal vécue par le système, il s'agissait en réalité d'une opportunité qui a été très mal gérée faute de moyens et de méthodes pédagogiques adaptées. C'est pour cela que le rapport rejette toute sélection à l'entrée car ce sujet polémique relève d'un faux problème : la réussite du plus grand nombre n'est pas incompatible avec un système sans sélection dès lors que l'orientation fonctionne bien et que les établissements ont les capacités d'encadrer les nouveaux publics. Cette crise démographique s'accompagne en même temps d'un contournement de l'université par les meilleurs bacheliers qui choisissent les grandes écoles ou les filières courtes, hormis bien entendu les filières de médecine et de droit pas ou peu encore concurrencées par les grandes écoles.
En matière de recherche, la création des grands organismes a externalisé une grande partie de la recherche universitaire. Même si les résultats de ces organismes en matière de recherche sont d'un excellent niveau, notre système de recherche s'est, là encore, singularisé1 par rapport aux standards internationaux qui font majoritairement des universités le pivot du système d'enseignement supérieur mais aussi de recherche. Les grands organismes mobilisent 80% des moyens budgétaires de la recherche. Il faut toutefois nuancer ce constat du fait de l'accroissement des unités mixtes de recherche (UMR) qui rapprochent organismes et universités en matière de recherche.
La loi LRU et les réformes qui l'ont accompagnée ont raté leur coeur de cible
Ce rapport dresse un bilan de la LRU et de ses tares. De nombreuses mesures issues de cette loi doivent être revues et corrigées. La loi s'est surtout axée sur la gouvernance : il semble pourtant important, comme le réclament les acteurs du système, de corriger notamment le déséquilibre actuel du système de gouvernance en introduisant une séparation claire des pouvoirs, notamment en créant un sénat académique par université.
Une autre source de déception a été l'absence de garantie des moyens de fonctionnement qui étaient censés accompagner l'évolution des universités – même si la LRU n'est pas une loi de programmation budgétaire. Terra Nova a déjà montré dans plusieurs notes, confirmées par d'autres experts et observateurs du budget de l'enseignement supérieur et de la recherche, que les engagements budgétaires du quinquennat en cours n'ont finalement pas été à la hauteur des promesses. Or, pour un système dont la paupérisation est très avancée, aucune transformation n'est possible sans une injection massive et rapide de moyens.
Surtout, la loi LRU et les réformes qui l'ont accompagnée ne se sont pas suffisamment attaqué au grand scandale de l'échec en premier cycle universitaire, qui aurait dû constituer une priorité plus forte. Le Plan Licence s'est traduit par quelques initiatives dispersées, insuffisamment évaluées, dont les plus intéressantes n'ont fait l'objet d'aucune généralisation au niveau national. Si la tentation est grande de défaire la LRU pour réécrire un texte plus ambitieux, exhaustif et équilibré en termes de gouvernance, il semble pourtant inutile de désorienter les établissements en cours d'appropriation des nouvelles compétences et en cours de regroupement en introduisant trop de réformes à la fois.
En revanche, remanier et compléter certaines parties semble incontournable.
La recherche en France, d'un bon niveau mondial, subit une crise de vocation et de moyens
Il faut d'abord tordre le cou à un mythe négatif sur la recherche française. Notre recherche et nos chercheurs sont d'un très bon niveau mondial, contrairement à ce que peuvent en penser parfois les responsables politiques qui n'ont souvent qu'une connaissance limitée de la science en général et de la recherche française en particulier. On ne doit certes pas rejeter les avertissements que constituent. Il convient de relativiser cette singularité car dans de nombreux pays (Institut Max Planck en Allemagne par exemple), existent de tels organismes dédiés à une recherche spécialisée.
Certains classements internationaux, comme celui de Shanghai, le déficit en prix Nobel et en brevets et la fuite des cerveaux ; en effet, il y a certainement beaucoup de progrès à faire, en particulier sur le transfert de la recherche vers l'innovation, mais il serait erroné de considérer la situation comme catastrophique.
Les problèmes de la recherche française sont sans doute à rechercher du côté des moyens et de la crise des vocations. Entre 2000 et 2007, le nombre d'étudiants s'orientant vers les sciences fondamentales et les sciences de la vie a baissé de 19% environ. Il est connu que le nombre de chercheurs par tête d'habitant en France est faible relativement aux pays de l'OCDE : 195 000 chercheurs environ soit 0,7% de la population active contre 0,9% aux Etats Unis et 1% au Japon. La dépense intérieure de recherche et de développement était d'à peine 2% du PIB en 2007 et d'environ 2,21% du PIB en 2009 – contre 2,33% en 1990 : nous sommes loin des objectifs de Lisbonne qui visaient 3% en 2010…
Lire la suite de la synthèse et l'intégralité du rapport sur le site de Terra Nova
Point de vue | Terra Nova | 24.08.11 | 12h16 • Mis à jour le 24.08.11 | 12h16
par Yves Lichtenberger et Alexandre Aïdara, rapporteurs du groupe de travail "Enseignement supérieur et Recherche" de Terra Nova
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/08/24/faire-reussir-nos-etudiants-faire-progresser-la-france_1562811_3232.html
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Un système d'enseignement supérieur et une recherche efficaces sont des facteurs essentiels de croissance et de productivité. Mais le progrès de la connaissance et sa démocratisation sont des finalités dignes d'être poursuivies en elles-mêmes. Si le système d'enseignement supérieur et de recherche (ESR) permet le progrès économique et le progrès social, c'est aussi le lieu où se forgent les destins individuels et collectifs. Même si la loi du 10 août 2007 relative à la liberté et aux responsabilités des universités (LRU) a contribué à remettre au devant de la scène l'enjeu politique considérable dont il est question ici, il n'est en général pas l'objet d'un débat à la hauteur de son importance. Ce rapport se propose de revivifier le débat politique sur le sujet en avançant des pistes de réflexion et de réformes.
Au-delà des réformes de structures et de gouvernance de la LRU, l'objectif est de s'attaquer aux difficultés chroniques de l'université et de la recherche, notamment l'échec en premiers cycles, l'orientation et l'insuffisance des moyens. La tentation est grande de prôner des ruptures car certains dysfonctionnements viennent d'une organisation surannée de notre système, héritée d'une longue histoire et devenue handicapante dans le contexte actuel de la mondialisation de la connaissance.
Mais il s'agit pour le camp progressiste, sans céder ni au statu quo ni à la radicalité stérile, de faire franchir à notre système d'enseignement supérieur des obstacles importants qui brident l'expression de son potentiel. Dans cette démarche, toute l'énergie politique devrait être focalisée, à court terme, sur une priorité qui peut modifier profondément le fonctionnement du système, réconcilier les citoyens avec leur université, restaurer progressivement l'image de celle-ci, redonner confiance aux étudiants, élever significativement le niveau national d'éducation et fournir à l'économie les qualifications indispensables : la réussite du plus grand nombre des étudiants.
Si un tel objectif est d'intérêt national, le débat est légitime car il n'existe pas une vision uniforme des objectifs des politiques d'enseignement supérieur et de recherche. Le camp libéral et conservateur considère classiquement l'enseignement supérieur et la recherche avant tout comme un instrument de sélection des élites et un outil au service de l'économie et de l'entreprise. Le camp progressiste, s'il ne la formule pas explicitement, a une autre vision. Dans cette conception, l'enjeu de la connaissance transcende l'objectif économique sans le contredire : il s'agit d'un projet politique et d'un projet de société à long terme où la connaissance est valorisée pour ce qu'elle est autant que pour ce qu'elle permet.
De telles différences de conceptions ne sont évidemment pas neutres : elles ont des conséquences considérables sur la fixation des priorités, l'organisation territoriale de l'accès au service public de l'enseignement, l'attention portée à la condition sociale des étudiants et les moyens à mettre à la disposition du système et leur mode d'allocation.
MALGRE SES ATOUTS, L'ORGANISATION ACTUELLE DE NOTRE SYSTEME D'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE RECHERCHE RISQUE D'ENTRAINER LA FRANCE VERS UN DECROCHAGE CERTAIN
Les grandes écoles : un modèle à bout de souffle
Les grandes écoles ont participé à l'essor industriel de la France et il existe encore dans le pays un attachement excessif à ce modèle. Mais ce système a depuis longtemps atteint ses limites dans un contexte de mondialisation croissante des sciences et des techniques. De nombreuses critiques sont adressées depuis quelques décennies à ce système sans que des réformes réelles de fond soient mises en oeuvres : insuffisance de la recherche et formation des élèves trop axée sur la reproduction des savoirs, malthusianisme excessif de ce système, focalisation de moyens considérables sur quelques îlots très sélectifs, absence de diversité sociale et de diversité dans les parcours scolaires.
l'université affronte encore ses problèmes hérités des décennies passées Or les réformes actuelles, au-delà même du problème des grandes écoles, ne sortiront pas l'université et le système global de ses difficultés chroniques. Une difficulté majeure a été l'accueil par les universités d'un nombre croissant d'étudiants. Certes mal vécue par le système, il s'agissait en réalité d'une opportunité qui a été très mal gérée faute de moyens et de méthodes pédagogiques adaptées. C'est pour cela que le rapport rejette toute sélection à l'entrée car ce sujet polémique relève d'un faux problème : la réussite du plus grand nombre n'est pas incompatible avec un système sans sélection dès lors que l'orientation fonctionne bien et que les établissements ont les capacités d'encadrer les nouveaux publics. Cette crise démographique s'accompagne en même temps d'un contournement de l'université par les meilleurs bacheliers qui choisissent les grandes écoles ou les filières courtes, hormis bien entendu les filières de médecine et de droit pas ou peu encore concurrencées par les grandes écoles.
En matière de recherche, la création des grands organismes a externalisé une grande partie de la recherche universitaire. Même si les résultats de ces organismes en matière de recherche sont d'un excellent niveau, notre système de recherche s'est, là encore, singularisé1 par rapport aux standards internationaux qui font majoritairement des universités le pivot du système d'enseignement supérieur mais aussi de recherche. Les grands organismes mobilisent 80% des moyens budgétaires de la recherche. Il faut toutefois nuancer ce constat du fait de l'accroissement des unités mixtes de recherche (UMR) qui rapprochent organismes et universités en matière de recherche.
La loi LRU et les réformes qui l'ont accompagnée ont raté leur coeur de cible
Ce rapport dresse un bilan de la LRU et de ses tares. De nombreuses mesures issues de cette loi doivent être revues et corrigées. La loi s'est surtout axée sur la gouvernance : il semble pourtant important, comme le réclament les acteurs du système, de corriger notamment le déséquilibre actuel du système de gouvernance en introduisant une séparation claire des pouvoirs, notamment en créant un sénat académique par université.
Une autre source de déception a été l'absence de garantie des moyens de fonctionnement qui étaient censés accompagner l'évolution des universités – même si la LRU n'est pas une loi de programmation budgétaire. Terra Nova a déjà montré dans plusieurs notes, confirmées par d'autres experts et observateurs du budget de l'enseignement supérieur et de la recherche, que les engagements budgétaires du quinquennat en cours n'ont finalement pas été à la hauteur des promesses. Or, pour un système dont la paupérisation est très avancée, aucune transformation n'est possible sans une injection massive et rapide de moyens.
Surtout, la loi LRU et les réformes qui l'ont accompagnée ne se sont pas suffisamment attaqué au grand scandale de l'échec en premier cycle universitaire, qui aurait dû constituer une priorité plus forte. Le Plan Licence s'est traduit par quelques initiatives dispersées, insuffisamment évaluées, dont les plus intéressantes n'ont fait l'objet d'aucune généralisation au niveau national. Si la tentation est grande de défaire la LRU pour réécrire un texte plus ambitieux, exhaustif et équilibré en termes de gouvernance, il semble pourtant inutile de désorienter les établissements en cours d'appropriation des nouvelles compétences et en cours de regroupement en introduisant trop de réformes à la fois.
En revanche, remanier et compléter certaines parties semble incontournable.
La recherche en France, d'un bon niveau mondial, subit une crise de vocation et de moyens
Il faut d'abord tordre le cou à un mythe négatif sur la recherche française. Notre recherche et nos chercheurs sont d'un très bon niveau mondial, contrairement à ce que peuvent en penser parfois les responsables politiques qui n'ont souvent qu'une connaissance limitée de la science en général et de la recherche française en particulier. On ne doit certes pas rejeter les avertissements que constituent. Il convient de relativiser cette singularité car dans de nombreux pays (Institut Max Planck en Allemagne par exemple), existent de tels organismes dédiés à une recherche spécialisée.
Certains classements internationaux, comme celui de Shanghai, le déficit en prix Nobel et en brevets et la fuite des cerveaux ; en effet, il y a certainement beaucoup de progrès à faire, en particulier sur le transfert de la recherche vers l'innovation, mais il serait erroné de considérer la situation comme catastrophique.
Les problèmes de la recherche française sont sans doute à rechercher du côté des moyens et de la crise des vocations. Entre 2000 et 2007, le nombre d'étudiants s'orientant vers les sciences fondamentales et les sciences de la vie a baissé de 19% environ. Il est connu que le nombre de chercheurs par tête d'habitant en France est faible relativement aux pays de l'OCDE : 195 000 chercheurs environ soit 0,7% de la population active contre 0,9% aux Etats Unis et 1% au Japon. La dépense intérieure de recherche et de développement était d'à peine 2% du PIB en 2007 et d'environ 2,21% du PIB en 2009 – contre 2,33% en 1990 : nous sommes loin des objectifs de Lisbonne qui visaient 3% en 2010…
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Point de vue | Terra Nova | 24.08.11 | 12h16 • Mis à jour le 24.08.11 | 12h16
par Yves Lichtenberger et Alexandre Aïdara, rapporteurs du groupe de travail "Enseignement supérieur et Recherche" de Terra Nova
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/08/24/faire-reussir-nos-etudiants-faire-progresser-la-france_1562811_3232.html
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