samedi 13 avril 2013

Université: la réforme impossible?

Université : la réforme impossible ? C'est la réflexion qui vient à l'esprit de l'observateur averti à l'annonce des premières mesures avancées par Geneviève Fioraso, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche. Pourtant, elles vont dans le bon sens, mais pas assez vite, pas assez loin et pas assez au cœur du système universitaire.

Etablir des quotas en sections de techniciens supérieurs (STS) et en instituts universitaires de technologie (IUT) pour les bacheliers professionnels est une procédure de bon sens. Elle ne résout en rien le problème fondamental de la mauvaise orientation en classe de seconde de collégiens, pour la plupart en échec scolaire, dirigés par défaut vers des lycées professionnels, dont ils ne peuvent tirer, ni complément à une formation générale défaillante, ni véritable goût pour un apprentissage réussi. Sous raison de réhabiliter le travail manuel et de favoriser la diversité des aptitudes, c'est la meilleure façon de dévaloriser les filières techniques et de conduire encore, quotas ou pas quotas, dans les disciplines littéraires des universités des cohortes de bacheliers professionnels, qui fourniront toujours les gros contingents de l'échec en licence et de la rancœur contre le système. C'est malheureusement de la démocratisation à l'envers, là où elle serait le plus nécessaire.

De la même façon, la simplification de l'offre des intitulés de licences et de masters, et l'institution d'une première année pluridisciplinaire en licence avant une spécialisation progressive, sont frappées du coin de la raison. Je n'ai jamais compris comment on pouvait demander à un adolescent de 18 ans ou même à un jeune adulte de 21 ans, de "choisir" une orientation dans un maquis procédurier inconnu et surtout dans un monde incertain aux transformations rapides et imprévisibles. C'est une ineptie structurelle, que l'application inconsidérée de la réforme LMD (licence, master, doctorat), il y a dix ans, a considérablement approfondie : chaque universitaire s'est considéré digne de constituer autour de lui son pré carré, bientôt baptisé d'incontournable, en fonction de la sacro-sainte professionnalisation. Mais pourquoi s'arrêter en chemin ? et ne pas concevoir des licences en trois ans autour de larges troncs disciplinaires simplifiés (études littéraires, sciences sociales, droit, économie, médecine, etc.) donnant aux jeunes étudiants des outils d'analyse et de réflexion et les premiers éléments de différenciation des approches et des méthodes. Après tout, c'est la voie classique des "bachelors" américains, que l'on envie parfois, et surtout des classes préparatoires, dont on dit vouloir le rapprochement avec l'Université.

Enfin, la notation - je préfèrerais l'évaluation - des enseignements (ou des enseignants ?) et la formation pédagogique des professeurs, ne peuvent être mauvaises. Elles apparaissent néanmoins mineures par rapport à un changement d'attitude global des enseignants du supérieur, notamment parmi les plus jeunes, qui considèrent en majorité, qu'au terme d'un parcours difficile (doctorat, habilitation à diriger des recherches, inscription sur des listes d'aptitude, élections disputées), il leur revient d'exercer leur métier dans la voie étroite de leur spécialisation de chercheur, au détriment à nouveau d'enseignements généraux, y compris en français et en raisonnement formel, si nécessaires aux "nouveaux" étudiants issus depuis un quart de siècle de couches sociales moins favorisées culturellement. Des professeurs élitistes pour une Université d'élite, compétitive en apparence dans les classements internationaux, ne sont pas le meilleur moyen pour favoriser une démocratisation en profondeur de l'enseignement supérieur et constituer la pépinière des talents émergents : en football comme à l'école, les succès en coupe du monde dépendent de la qualité et de la densité des clubs de poussins.

Au total, la refondation nécessaire de l'Université apparaît assez exemplaire de la difficulté de la réforme en France révélée dans d'autres domaines (la ville, la solidarité nationale) : elle dépend souvent moins des investissements budgétaires indispensables et de l'intelligence des dispositifs réglementaires imaginés, que de la propre résistance des corps sociaux que l'on voudrait rénover.

Guy Burgel
Professeur à l’Université Paris Ouest-Nanterre La Défense

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