ENQUÊTE Des associations s'élèvent contre le projet de loi sur l'enseignement supérieur qui étend la possibilité de cours dispensés en anglais plutôt qu'en français.
Par MARIE PIQUEMAL
12 avril 2013 à 16:10
Et si, demain, à la manière des Bretons et des Basques, on militait pour sauver l’enseignement en langue française ? Angoisse de vieux grincheux ou inquiétude fondée ? Plusieurs voix s’élèvent contre le projet de loi sur l’enseignement supérieur, présenté en conseil des ministres le 20 mars, qui permettra aisément aux facs et écoles de dispenser leurs enseignements en anglais plutôt qu’en français.
«Si nous n’autorisons pas les cours en anglais, nous n’attirerons pas les étudiants de pays émergents comme la Corée du Sud et l’Inde. Et nous nous retrouverons à cinq à discuter de Proust autour d’une table, même si j’aime Proust…», justifiait le 20 mars à Libération la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso. Professeur au collège de France, Antoine Compagnon, a aussitôt bondi : «Je l’invite à franchir les quelque deux ou trois cents mètres qui séparent son bunker ministériel des amphis du Quartier latin pour découvrir le monde réel, lui répond-il dans nos colonnes. En anglais, on parle defriendly fire pour désigner le genre d’action que vient de mener la ministre. Car Mme Fioraso nous tire dans le dos alors que nous montons au front.»
L'exception va devenir la règle
Jusqu’ici, la loi Toubon de 1994 posait comme principe qu’en France, dans n’importe quelle école ou université publique ou privée, tous les enseignements devaient être dispensés en français, la langue de la République. A deux exceptions près : pour les cours de langues et lorsque l’enseignant est un intervenant étranger.
Une règle pas toujours respectée, certains établissements comme Sciences-Po s’autorisant déjà des entorses au nom de l’internationalisation de leur cursus. «Certes. Sauf que là, il n’y aura plus de limite. Ce projet de loi renverse totalement les choses. Ce qui était du domaine de l’exception peut devenir la règle», s’insurge François-Xavier Grison, responsable des solidarités francophones pour l’Union populaire républicaine, un mouvement qui prône la sortie de la France de l'Union européenne. Il a été l’un des premiers à alerter, lançant le 4 mars sa pétition «contre la loi Fioraso parce que pour la langue française», signée par 7 800 personnes à ce jour. «63 nationalités sont représentées parmi les signataires, se réjouit-il, preuve qu’il y a encore des défenseurs de la francophonie sur cette terre...»
L'académie française offusquée
Depuis cette pétition, la polémique fait son chemin. Les associations de défense de la langue française tempêtent avec leurs petits moyens. Régis Ravat, président de l’association Francophonie avenir, se désole de constater «l’anglicisation progressive de notre pays, encouragée par la droite comme la gauche. La ministre Fioraso dit "langue étrangère" dans sa loi mais c’est d’une totale hypocrisie. Tout le monde sait qu’elle veut dire "anglais". Maintenant, même pour un CAP de carrossier, on impose de parler anglais. Au nom, paraît-il, d’une ouverture vers le monde... Je dirais au contraire qu’on s’enferme. On se tourne vers le seul monde anglosaxon.»
Même l’Académie française s’est offusquée de ce texte rédigé, dit-elle, en des termes trop vagues. «Il ne paraît ni opportun, ni même possible d’adopter pareille disposition de loi dont la valeur symbolique serait d’autant plus grande qu’elle serait plus vague et qui inaugurerait de véritables franchises linguistiques dans les universités françaises», jugent les membres de l’Académie dans une déclaration commune datée du 21 mars. L’article 2 de la loi Fioraso autorise l’enseignement en langue étrangère dans le cadre d’«un accord avec une institution étrangère» ou «d’un programme européen». L’Académie alerte «sur les dangers d’une mesure qui se présente comme d’application technique, alors qu’en réalité elle favorise une marginalisation de notre langue».
37% des étudiants étrangers viennent pour le français
Le cabinet de la ministre assure qu’il ne s’agit en aucun cas de«renoncer aux enseignements en français. Mais on peut comprendre que pour des Coréens qui viennent étudier en France, il est pas mal qu’ils puissent avoir quelques cours en anglais pour commencer».
La ministre Geneviève Fioraso vient d’envoyer une lettre aux académiciens pour expliquer sa démarche. «Il ne s'agit pas d'un renoncement linguistique mais au contraire d'un levier pour le développement de la francophonie», écrit-elle. Elle n’envisage pas de retoucher au texte de loi, assurant qu’il répond à une demande des présidents d’université et des écoles. Avec un argument imparable,«améliorer l’attractivité de l’enseignement supérieur français vis-à-vis des étudiants étrangers».
Cet argument ne tient pas la route, selon Bernard Cerquiglini, le recteur de l’agence universitaire de la francophonie. «Il est faux, concrètement, de dire que toute la recherche se fait en anglais aujourd’hui. 780 universités dans le monde utilisent le français pour la formation et la recherche. Le français est une langue internationale de savoir, au même titre que l’anglais, le mandarin ou l’hindi. Les faits sont là.»
«Rien ne prouve d’ailleurs que dispenser des cours en anglais est un avantage compétitif», renchérit François-Xavier Grison, l’auteur de la pétition. Sur les quelque 250 000 étrangers qui font leurs études en France, 45% disent venir pour la qualité de la formation et 37% pour la connaissance de la langue française, selon une étude menée en 2011 par CampusFrance-TNS Sofres.
Les défenseurs de la langue française posent tous la même question : en quoi le glissement vers le tout anglais est-il inéluctable ? En Italie, l’université de Politecnico di Milano dispensera d’ici peu les cours de maîtrise seulement en anglais. Une association italienne a envoyé un communiqué cette semaine aux médias français, espérant une mobilisation en France. «On sait fort bien que la France est un pays qui s’est toujours battu pour défendre sa langue et sa culture.»
Par MARIE PIQUEMAL
12 avril 2013 à 16:10
Et si, demain, à la manière des Bretons et des Basques, on militait pour sauver l’enseignement en langue française ? Angoisse de vieux grincheux ou inquiétude fondée ? Plusieurs voix s’élèvent contre le projet de loi sur l’enseignement supérieur, présenté en conseil des ministres le 20 mars, qui permettra aisément aux facs et écoles de dispenser leurs enseignements en anglais plutôt qu’en français.
«Si nous n’autorisons pas les cours en anglais, nous n’attirerons pas les étudiants de pays émergents comme la Corée du Sud et l’Inde. Et nous nous retrouverons à cinq à discuter de Proust autour d’une table, même si j’aime Proust…», justifiait le 20 mars à Libération la ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso. Professeur au collège de France, Antoine Compagnon, a aussitôt bondi : «Je l’invite à franchir les quelque deux ou trois cents mètres qui séparent son bunker ministériel des amphis du Quartier latin pour découvrir le monde réel, lui répond-il dans nos colonnes. En anglais, on parle defriendly fire pour désigner le genre d’action que vient de mener la ministre. Car Mme Fioraso nous tire dans le dos alors que nous montons au front.»
L'exception va devenir la règle
Jusqu’ici, la loi Toubon de 1994 posait comme principe qu’en France, dans n’importe quelle école ou université publique ou privée, tous les enseignements devaient être dispensés en français, la langue de la République. A deux exceptions près : pour les cours de langues et lorsque l’enseignant est un intervenant étranger.
Une règle pas toujours respectée, certains établissements comme Sciences-Po s’autorisant déjà des entorses au nom de l’internationalisation de leur cursus. «Certes. Sauf que là, il n’y aura plus de limite. Ce projet de loi renverse totalement les choses. Ce qui était du domaine de l’exception peut devenir la règle», s’insurge François-Xavier Grison, responsable des solidarités francophones pour l’Union populaire républicaine, un mouvement qui prône la sortie de la France de l'Union européenne. Il a été l’un des premiers à alerter, lançant le 4 mars sa pétition «contre la loi Fioraso parce que pour la langue française», signée par 7 800 personnes à ce jour. «63 nationalités sont représentées parmi les signataires, se réjouit-il, preuve qu’il y a encore des défenseurs de la francophonie sur cette terre...»
L'académie française offusquée
Depuis cette pétition, la polémique fait son chemin. Les associations de défense de la langue française tempêtent avec leurs petits moyens. Régis Ravat, président de l’association Francophonie avenir, se désole de constater «l’anglicisation progressive de notre pays, encouragée par la droite comme la gauche. La ministre Fioraso dit "langue étrangère" dans sa loi mais c’est d’une totale hypocrisie. Tout le monde sait qu’elle veut dire "anglais". Maintenant, même pour un CAP de carrossier, on impose de parler anglais. Au nom, paraît-il, d’une ouverture vers le monde... Je dirais au contraire qu’on s’enferme. On se tourne vers le seul monde anglosaxon.»
Même l’Académie française s’est offusquée de ce texte rédigé, dit-elle, en des termes trop vagues. «Il ne paraît ni opportun, ni même possible d’adopter pareille disposition de loi dont la valeur symbolique serait d’autant plus grande qu’elle serait plus vague et qui inaugurerait de véritables franchises linguistiques dans les universités françaises», jugent les membres de l’Académie dans une déclaration commune datée du 21 mars. L’article 2 de la loi Fioraso autorise l’enseignement en langue étrangère dans le cadre d’«un accord avec une institution étrangère» ou «d’un programme européen». L’Académie alerte «sur les dangers d’une mesure qui se présente comme d’application technique, alors qu’en réalité elle favorise une marginalisation de notre langue».
37% des étudiants étrangers viennent pour le français
Le cabinet de la ministre assure qu’il ne s’agit en aucun cas de«renoncer aux enseignements en français. Mais on peut comprendre que pour des Coréens qui viennent étudier en France, il est pas mal qu’ils puissent avoir quelques cours en anglais pour commencer».
La ministre Geneviève Fioraso vient d’envoyer une lettre aux académiciens pour expliquer sa démarche. «Il ne s'agit pas d'un renoncement linguistique mais au contraire d'un levier pour le développement de la francophonie», écrit-elle. Elle n’envisage pas de retoucher au texte de loi, assurant qu’il répond à une demande des présidents d’université et des écoles. Avec un argument imparable,«améliorer l’attractivité de l’enseignement supérieur français vis-à-vis des étudiants étrangers».
Cet argument ne tient pas la route, selon Bernard Cerquiglini, le recteur de l’agence universitaire de la francophonie. «Il est faux, concrètement, de dire que toute la recherche se fait en anglais aujourd’hui. 780 universités dans le monde utilisent le français pour la formation et la recherche. Le français est une langue internationale de savoir, au même titre que l’anglais, le mandarin ou l’hindi. Les faits sont là.»
«Rien ne prouve d’ailleurs que dispenser des cours en anglais est un avantage compétitif», renchérit François-Xavier Grison, l’auteur de la pétition. Sur les quelque 250 000 étrangers qui font leurs études en France, 45% disent venir pour la qualité de la formation et 37% pour la connaissance de la langue française, selon une étude menée en 2011 par CampusFrance-TNS Sofres.
Les défenseurs de la langue française posent tous la même question : en quoi le glissement vers le tout anglais est-il inéluctable ? En Italie, l’université de Politecnico di Milano dispensera d’ici peu les cours de maîtrise seulement en anglais. Une association italienne a envoyé un communiqué cette semaine aux médias français, espérant une mobilisation en France. «On sait fort bien que la France est un pays qui s’est toujours battu pour défendre sa langue et sa culture.»
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