Les énergies renouvelables sont de plus en plus au cœur des préoccupations. De nombreuses avancées ont été faites au niveau mondial dans ce domaine, comme le souligne le récent Rapport mondial sur les énergies renouvelables du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), paru en juillet 2011, mais les niveaux d’investissement apparaissent disparates selon les groupes de pays. Assen SLIM, chercheur associé à l’IRIS, Maître de conférence et Directeur de la filière « Hautes études internationales » à l’INALCO, revient pour nous sur les priorités d’investissement des pays dans le secteur énergétique.*
Les investissements mondiaux dans l’énergie verte ont augmenté de 32% l’an dernier. Comment comprendre cette accélération ? Avec quels effets ?
L’augmentation de 32% est effectivement le chiffre donné par le dernier rapport du PNUE de juillet 2011. Ce chiffre est cependant très nuancé, et varie selon les groupes de pays. Sur les 77 pays qui ont été observés, différentes catégories ont été ciblées : l’Asie avec +31% d’augmentation des investissements dans les énergies renouvelables, avec au sein de la catégorie la Chine qui représente 1/5e des investissements nouveaux en 2010 ; l’Amérique latine avec + 39% ; le plus spectaculaire étant bien entendu l’Afrique et le Moyen Orient avec plus 104% d’augmentation par rapport à l’année 2009. Ce chiffre de 104% ne représente néanmoins que 5 milliards de dollars environ, ce qui est peu en comparaison des 211 milliards investis dans le monde en 2010. La deuxième surprise vient aussi de l’Europe qui a investi 22% de moins dans les énergies renouvelables par rapport à 2009. Mais le PNUE précise que ce recul peut s’expliquer par un renouveau des projets à petite échelle, tels que les panneaux solaires sur les toits et autres projets locaux.
Les raisons de cette hausse des investissements sont une combinaison de facteurs, du moins elles sont analysées comme telles par le PNUE. La première est liée aux aides supplémentaires qui ont été données au monde en développement après la crise de 2007-2008. De ce point de vue, cela a donné un peu plus de « mou » et de budget disponible dans les pays les plus pauvres. Ensuite, la deuxième raison serait l’augmentation du prix des énergies fossiles, en particulier en 2008 et en 2009, ce qui a provoqué un détournement de ce type d’énergie, ou en tout cas a provoqué un arrêt des mécanismes de subvention de soutien au prix des énergies fossiles, très chères dans les pays en développement, et donc un détournement de la consommation de ce type d’énergie. Enfin, la mise en place de subventions ou de mesures ciblées, comme par exemple la mise au point de tarifs de rachat de l’électricité excédentaire produite par des énergies renouvelables de particuliers, a considérablement stimulé l’investissement dans les énergies renouvelables, en particulier dans le monde en développement. Ce qui ne disent pas le PNUE et le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), c’est qu’a aussi joué un rôle positif le bon fonctionnement d’un des mécanismes anciens prévu par le protocole de Kyoto de 1997, qui s’appelle le mécanisme de développement propre (MDD) : il permet aux pays riches et développés d’investir dans des projets qui mettent en promotion l’énergie renouvelable dans les pays en développement, et leur permet de comptabiliser à leur propre compte les réductions de gaz à effet de serre, et donc d’économiser en quelque sorte une partie de l’investissement. On appelle cela les REC : les réductions d’émissions certifiées. Cet ancien mécanisme a ainsi vraiment pris son envol en 2008-2009.
En conclusion, le principal effet bénéfique de ces investissements est la non-émission de CO2. Le PNUE estime que la promotion d’énergies renouvelables fait atteindre un gain de -6% par an d’émissions de gaz à effet de serre, et le PNUE est même allé un petit peu plus loin en précisant qu’on obtenait également des créations d’emplois et une augmentation dede 0,1% du PIB mondial par an à mesure que l’on soutenait des projets propres.
Le rapport annuel du Programme des Nations unies pour l’environnement démontre que ce sont les pays émergents qui ont en 2010 investi le plus dans les énergies renouvelables et ont donc les meilleurs résultats en matière d’atténuation des changements climatiques : quelles en sont les raisons ?
En effet, les pays en développement sont ceux qui ont investi le plus dans les grands projets d’investissements en énergies renouvelables. Mais, dans les pays en développement, on doit distinguer les pays émergents, plus spécifiquement les BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, qui traditionnellement sont les premiers à avoir bénéficié des mécanismes du protocole de Kyoto. Il y a actuellement dans le monde à peu près 3500 projets MDP (Mécanismes de développement propre), dont je dirais que plus de la moitié sont à destination des pays pré-cités. Aussi, ce qui est nouveau, c’est encore une fois le sursaut de l’Afrique et du Moyen Orient, avec une augmentation de 104%.
La raison pour laquelle les pays émergents ont investi le plus est que ceux-ci ont bénéficié des mécanismes du protocole de Kyoto MDP, qui finalement se résument à de l’investissement extérieur dans leur pays qui soutient leur propre investissement national. J’ajoute à cela qu’ils ont tout un parc à construire, et le soutien apporté par ces MDP leur permet de prendre radicalement pied dans les énergies renouvelables sans trop d’hésitation. Les pays déjà développés, comme la France, ou encore l’Allemagne ou l’Espagne, ont quant à eux déjà un parc énergétique en place. Il faut tout de même noter que ces derniers sont dans des situations différentes. Prenons l’exemple de la France qui a un parc nucléaire important : sous Raffarin en 2002, elle a fait des investissements massifs dans le nucléaire, qui ne sont donc pas des investissements conjoncturels, mais des investissements lourds engageant la France sur une trentaine voire une quarantaine d’années ; il y a donc déjà un parc à amortir. Voici pourquoi en 2010, exceptionnellement, on a vu pour la première fois des pays en développement au sens large (c’est-à-dire BRICS, pays africains et du Moyen Orient) être au premier plan de l’énergie renouvelable : parce qu’ils n’avaient pas ce parc et qu’en plus c’est eux qui bénéficient des mesures provenant du protocole de Kyoto.
Comment comprendre le retard des pays développés en la matière ?
Ils n’ont pas vraiment de retard : le parc d’énergies renouvelables mesuré en investissements en Europe équivaut à peu près à 35 milliards de dollars, alors qu’en Amérique latine, il n’est que de 13 milliards de dollars et en Afrique de 5 milliards de dollars. En fait, si on raisonne en termes de « stock d’énergies renouvelables », l’Europe est très largement en avance, mais c’est aussi elle qui pollue le plus et qui émet le plus de gaz à effet de serre ; il est donc tout à fait légitime qu’elle le soit. Simplement, ce qu’il se passe en 2010, c’est que d’un seul coup, pour la première fois, les pays pauvres sont ceux qui ont le plus investi en millions de dollars par rapport aux pays déjà développés. Il n’y a donc pas de retard, il y a simplement un parc déjà existant, installé dans les pays occidentaux. Si l’investissement des pays pauvres dépasse celui des pays riches cette année, les pays pauvres ont bien une décennie de retard en termes de stocks par rapport aux pays riches.
Les efforts de la Chine en matière de lutte contre le changement climatique, pourtant réputée pour être un gros pollueur, ont été salués dans le rapport du PNUE : est-il envisageable que les autres puissances économiques s’en inspirent ? Comment comprendre la stratégie chinoise ?
La stratégie chinoise est d’atteindre l’autosuffisance sur le plan énergétique. Les Chinois ont donc mis en place un plan assez spectaculaire en 2000, consistant en un grand programme de construction d’un parc de centrales nucléaires. Une vingtaine de centrales nucléaires devaient être construites d’ici à 2020. Ils ont ainsi aujourd’hui un parc d’à peu près 9 ou 10 centrales : si les Chinois atteignaient leur objectif, ils seront en situation d’épuiser complètement l’offre mondiale d’uranium. Leur objectif est donc l’autosuffisance, dans le but de soutenir leur développement accéléré et leur croissance économique importante.
Ainsi, partant du fait que l’énergie fossile ne suffit pas et que l’énergie nucléaire est elle-même limitée par son coût d’investissement, les Chinois se sont effectivement lancés dans un vaste programme de développement d’énergies éoliennes, biomasses, etc. Ils le font à un rythme très conséquent : 1/5e des investissements nouveaux en 2010 sont des investissements chinois, +28% d’investissements dans les énergies renouvelables en 2010. Ils le font à un rythme tel qu’ils ont presque du mal à suivre leur propre rythme : par exemple, on a en Chine un parc d’éoliennes non raccordées qui tournent dans le vide. Pour les Chinois, le but à atteindre est donc l’autosuffisance énergétique pour soutenir le développement ; si les sources d’énergies sont propres, tant mieux, mais ce n’est pas leur objectif.
Cette voie est probablement réalisable dans d’autres pays, mais ne semble pas à la portée de pays à revenus plus faibles, qui ne sont pas émergents, comme les pays africains ou certains pays du Moyen-Orient. Peut-être le serait-ce pour l’Inde, qui a produit une augmentation de 25% des énergies renouvelables en 2010, mais dont le total demeure néanmoins bien inférieur à celui de la Chine.
Alors que la conférence mondiale sur le développement durable Rio+20 aura lieu l’année prochaine, quels seraient dans l’idéal les objectifs à atteindre par les pays en développement en matière d’investissement dans les énergies renouvelables, et lesquels seraient concrètement réalisables ?
Ce qui serait souhaitable dans le cadre de Rio+20 serait de trouver un accord cadre qui remplacerait le protocole de Kyoto, exactement ce qui a échoué lors de la Conférence de Copenhague. Cet accord servirait à donner un renouvellement concret au mécanisme MDP ; celui-ci est en effet amené à disparaître à l’horizon 2012 si rien n’est fait. Du retard a déjà été pris dans ce renouvellement de protocole : il faudra donc trouver rapidement un accord cadre qui expliquera de manière très claire comment fonctionnera l’investissement des pays riches au sein des pays pauvres dans le domaine de l’énergie renouvelable.
Pour être un petit peu plus concret, je pense qu’il faudra faire preuve d’imagination à la fois dans les types de projets à soutenir mais aussi dans la manière de les soutenir. Ceux à soutenir pourraient par exemple être l’extension du parc de réseau de géothermie dans les pays pauvres, puisque c’est peu coûteux et que cette énergie est présente dans le sol du fait de la chaleur. Cela a déjà été fait au Kenya de manière importante et il serait bien de développer ce principe à plus grande échelle. Il pourrait également être intéressant d’exploiter de l’énergie produite à partir de ressources végétales comme l’énergie de canne à sucre ou d’autres types de produits agricoles. La mise en place de ce type de processus serait assurée non pas par des subventions de mécanismes de soutien des prix, mais probablement par des taxes de rachat proposées aux particuliers qui pourraient eux-mêmes vendre l’électricité excédentaire de leurs propres installations aux entreprises nationales.
Ces propositions sont bien sûr des propositions d’actions très concrètes, et le Rio+20 ne va pas aller jusqu’à ces détails. Ce qui serait positif, c’est qu’au cours de ce Rio+20 il y ait enfin un accord cadre, c’est-à-dire qu’il y ait un accord entre pays pauvres et pays riches, entre pays riches et pays riches, pour enfin déterminer les modalités selon lesquelles nous allons pouvoir investir, donner des réductions de fiscalité et faire des subventions ciblées dans le domaine du renouvelable.
Le deuxième point, relativement annexe, est de bien considérer la place du nucléaire dans ce domaine : est-ce que le nucléaire est une énergie propre parce qu’elle n’émet pas de gaz à effet de serre, ou est-ce au contraire une énergie à éviter parce qu’elle émet des déchets de long terme et qu’elle présente un risque d’accidents qui pourraient s’avérer catastrophiques ?
*Entretien réalisé le 18 juillet 2011
4 août
http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article5406
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