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La télévision gratuite peut-elle durer à l'heure de la Social TV? Alors que les internautes sont de plus en plus "engagés" dans les programmes qu'ils suivent, les annonceurs ont de nouvelles exigences...
A chaque crise, la question de l’avenir de la télévision gratuite est posée. A chaque fois, la reprise économique voit l’amour des annonceurs renouvelé pour ce support de masse diablement efficace. Mais avec les évolutions récentes dans le domaine des médias, avec internet, l’avènement des smartphones et tablettes tactiles, de nouveaux changements bouleversent le système publicitaire en lui-même (voir “le nouveau paradigme publicitaire” à ce sujet). Ces changements pourraient bien avoir raison de la télévision gratuite telle que nous l’avons connue jusqu’ici.
Internet, avec les taux de pénétration que nous connaissons, s’impose comme un nouveau support. Mais pour le monde de la publicité, Internet a, avant tout, fait évoluer les méthodes d’investissement des annonceurs: peu à peu les grands industriels ont appris à ne plus accepter de ne pas savoir “quelle moitié de leur investissement publicitaire est gaché” pour reprendre la célèbre phrase de John Wanamaker. En effet, sur internet l’espace publicitaire s’achète de moins en moins au volume (compté en milliers de visiteurs), et de plus en plus “au clic”. Les annonceurs ont appris à ne payer que lorsque la publicité a généré l’action qui matérialise une mise en relation effective.
Avec la social TV, on peut mesurer l'engagement
Les usages “second écran” sont le deuxième “fil à la patte” que doit désormais gérer la télévision. Bien sûr, les professionnels de la TV savent depuis longtemps qu’il existe des usages simultanés à la télévision, mais ce qui est nouveau avec les smartphones et les tablettes c’est que pour la première fois dans l’histoire, ils peuvent désormais quantifier le volume, et la nature de ces usages simultanés. Si ce sujet déchaîne les passions, autour du thème fourre-tout de “social TV”, c’est parce qu’une nouvelle monnaie d’échange est en train de naître : la notion “d’engagement” qui vient en complément de la notion l’audience.
Qu’est que l’engagement ? La réponse dépend de l’acteur dans la chaîne de valeur à qui vous posez la question, et sa définition change avec chaque génération. Le point de vue qui nous intéresse ici c’est évidement celui de l’annonceur : et il connaît très bien les ficelles de “l’engagement” : elle existent depuis que le commerce existe. Bien que constamment mis à jour, ces ficelles sont la tarte à la crème du marketing, et pour s’en souvenir il suffit de retenir l’acronyme “A.I.D.A”:
- A comme “Awareness” : une offre doit être portée à la connaissance d’un client,
- I comme “Interest” : une offre doit détecter la manifestation d’intérêt et savoir y donner suite,
- D comme “Desire” : une marque doit savoir détecter et satisfaire la manifestation du désir
- A comme Action : une marque, bien-sûr doit savoir donner satisfaction : satisfaire l’action d’achat.
Rien de nouveau donc… Sauf que les nouvelles exigences des annonceurs s’invitent à la télévision, et cela va tout changer !
Il faut se souvenir qu’au départ de la télévision gratuite il n’était pas question d’un dialogue possible au travers de ce médium : il n’était pas possible pour une marque d'envisager capter la manifestation d'intérêt d’un téléspecteur, ni même son désir - à l'exception notable des émissions et chaînes de télé-achats. Ainsi, la télévision gratuite telle que nous la connaissons tire son “format” d’un mandat unique: agir sur “l’awareness” des téléspectateurs. C’est à dire porter à leur attention - de gré ou de force - l’existence d’offres commerciales... et cela a été extrêmement puissant pendant des années.
Les nouvelles exigences des annonceurs
Mais quel avenir pour cette vision restreinte du rôle de la TV alors qu’elle est utilisée de façon simultanée avec des terminaux reliés à internet, ou qu’elle devient elle même connectée ? Quelle avenir pour cette vision du rôle de la TV au moment où les annonceurs font pression pour exiger des opérateurs de télévision des façons d’acheter de l’espace publicitaire dans des modèles qui prennent en compte le nombre de transactions générées (sur leur site web, mobile, ou pourquoi pas, dans leur magasins directement ? ) Ils exigent déjà cela des supports internet et mobile aujourd’hui : la télévision telle que nous la connaissons ne pourra subsister si elle ne sait pas créer un lien entre son rôle de média et les nouvelles exigences des annonceurs. Les annonceurs privilègieront toujours le media le plus efficace et “prédictible”... et quelle meilleure “predictibilité” que de ne payer un espace publicitaire que lorsqu’il a créé le trafic recherché ?
Pour répondre à ce défi, la télévision gratuite devra s’adapter pour offrir les mêmes services que les supports qui la concurrencent: accompagner le cycle complet de l’engagement. Générer “l’awareness”, détecter la “manifestation d’intérêt”, savoir alimenter le “desir”, voire accompagner la transaction.
Vous pensez sans doute que je parle ici de science fiction ? Cette logique d’accompagnement existe déjà et les champions du genre s’appellent Google et Amazon. ( Voir à ce propos le brand content de Google et son concept de ZMOT. )
Une véritable révolution s’annonce
Pour les chaînes traditionnelles, le scénario le plus populaire de nos jours est celui de la création d’une complémentarité entre la télévision gratuite telle que nous la connaissons et l’écosystème des “seconds écrans”. C’est un scénario qui a l’avantage d’être pragmatique et simple : c’est l’idée de créer pour les annonceurs une “publicité augmentée”, l’idée de fournir à des marques une dimension d’interactions en plus du spot traditionnel. C’est un scénario qui tombe sous le sens…
C’est pourtant un scénario qui choisi d’ignorer plus de 25 ans échec constant de la “télévision interactive” ! C’est un scénario qui s’appuie pour la énième fois de son histoire sur “l’amélioration des outils techniques” pour justifier des nouvelles raisons de croire cette fois-ci à la télévision interactive.
Il faut gagner la tolérance du téléspectateur
L’avenir nous le dira, mais cela semble très improbable, car la télévision gratuite telle que nous la connaissons porte dans son format un inconvénient majeur dans sa façon de construire l’audience qu’elle met à disposition des annonceurs: elle génère un engagement avec le programme audiovisuel en lui même ! Et plus l’audience est robuste, en volume, et en récurrence, plus cette audience est engagée avec le contenu, avec le programme, et non avec le message des annonceurs.
C’est une notion très simple a expliquer. Prenons une série par exemple: le principe de la télévision gratuite, c’est de construire une narration, puis de l'interrompre au moment le plus critique, au moment du “point d’orgue”, du “climax”, pour gagner “l’autorisation” - c’est à dire en pratique la “tolérance” - du téléspectateur pour l’exposer à des messages publicitaires. Il s’agit d’avoir l’assurance que le téléspectateur restera devant les messages. Ca marche depuis 50 ans (même si nous prétendons tous ne pas regarder ces réclames). Mais le prix a payer pour les annonceurs pose un gros problème aujourd’hui : les téléspectateurs restent avant tout “engagés” avec le programme et non avec les messages des annonceurs.
Retrouver l'engagement
Preuve en est notre tolérance à la répétition des messages publicitaires, à leur densité et à leur volume, qui, à la télévision, repose sur une attention “distraite”. N’avez-vous jamais perçus combien ces mêmes pub distribuées en introduction de vidéos à la demande sur internet vous semblent insupportable ? Dès leur première visualisation ? 78% des utilisateurs de Youtube ne tolèrent même pas une seule pub avant de regarder un programme à la demande.
Dans les faits, ce que veulent les téléspectateurs lorsqu’ils regardent la TV, c’est retrouver la narration avec laquelle ils sont vraiment “engagés”... et ils ne sont pas prêt à entrer dans un processus d’interaction a moins d’être sûrs, certains de ne pas rater le dénouement de la narration tant attendu qui récompense une séance de publicité et favorise l’oubli de l’extraordinaire agressivité de l’interruption de la coupure pub. Le scénario “publicité enrichie” n’aura donc qu’un temps.
Existe-t-il un autre scénario ?
Je propose un axe pour en envisager un autre : il s’agit de remettre en cause le format même de la télévision telle que nous la connaissons, le principe de construction d’une narration articulé autour d’un climax en vue d’une interruption. Cela parait fou, mais si la télévision gratuite veut continuer à satisfaire ses clients, les annonceurs, elle va devoir faire évoluer son format.
C’est un scénario où programme, annonceur, et transaction doivent être réconciliés. Ce scénario consiste à envisager un futur où les contenus des chaînes gratuites aura pour objet d’informer (Awareness), de générer et de satisfaire la curiosité (Interest), de supporter l’exploration (Desire), voire de supporter... des transactions (Action) !
De façon intéressante, la pyramide de valeur des programmes audiovisuels d’une telle télévision gratuite du futur pourrait bien être différentes de celle que nous connaissons aujourd’hui : adieu séries, cinéma, et autres évènements sportifs (sauf ceux avec une mi-temps) qui ne se prêtent pas aux contraintes d’AIDA... et bonjour documentaires, magazine et info, ou plutôt “infotainment transactionnel”. Cauchemar ou réalité ?
Gabriel Dabi-Schwebel, fondateur de l'agence web 1min30
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