dimanche 20 mai 2012

Le gouvernement américain se mue en professionnel du capital risque pour aider les jeunes entreprises innovantes - Partie 1 : une tactique risquée

http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/70054.htm

Après une année 2012 que l'on pourrait qualifier de très bon millésime, avec 30 milliards investis dans les jeunes entreprises innovantes, l'industrie du capital risque est revenue sur terre en ce début d'année 2012. En effet, au premier trimestre, les investissements sont en baisse de 22% par rapport au dernier trimestre 2011. Ces chiffres sont principalement le fait de l'absence de "mega transactions" qui grossissent les chiffres, comme en 2011. Ils ne peuvent donc être considéré comme le signe d'une correction du marché ou de l'éclatement d'une bulle des investissements. En revanche, un phénomène important est à observer : les fonds de capital risque accentuent leurs prises de participation dans des projets en amont de l'innovation, en phase d'amorçage ou précoces [1]. Au premier trimestre 2012, un investissement sur cinq est effectué dans ce type de société. Cela est aussi nouveau...

Un nouveau programme fédéral pour soutenir les JEI

... qu'important. Nous le savons, les jeunes entreprises innovantes (JEI) sont très fragiles financièrement à ces stades [2] et l'existence de financements extérieurs conditionne le franchissement des étapes de maturation et de preuve de concept. Le gouvernement fédéral est certes bien conscient de cette situation mais son intervention était limitée, sauf par le biais d'incitations fiscales [3] et du programme SBIC ("Small Business Investment Companies"), géré par l'agence américaine des PME (SBA, pour "Small Business Administration"). Via ce programme, la SBA investit par l'intermédiaire de fonds d'investissement labellisés SBIC plusieurs centaines de millions de dollars par an dans des JEI. Ces dernières présentent la caractéristique d'être en phase de développement. Sur l'ensemble des E.-U., la question de l'accès au financement de ces jeunes entreprises reste entière : depuis 2006, seuls 10% des fonds de capital risque sont allés aux entreprises en phase précoce, et 69% de ces derniers se sont concentrés sur 3 régions : la Californie, le Massachusetts et New York. Les autres régions souffrent donc d'un sérieux déficit quant à l'accès au capital risque.

Pour pallier ce problème de financement des jeunes entreprises en phase précoce, la SBA vient de lancer un programme d'amorçage ("initiative" en anglais) qui répond au nom de "Early Stage SBIC". Il est doté de 1 milliard de dollars sur 5 ans. Seuls les fonds de capital risque qui s'engagent à investir des moyens dans des entreprises en phase précoce ou de démarrage pourront tenter leur chance pour obtenir la labellisation du programme et prétendre à un apport financier de la SBA.

Pour s'assurer de l'engagement des fonds labélisés, la SBA n'abondera qu'à hauteur du montant investi par l'entreprise de capital risque, c'est-à-dire jusqu'à 50 millions par fonds. La SBA, par ce système, met en place un mécanisme incitatif d'investissement dans les jeunes entreprises, en abondant ("match") l'engagement des fonds privés. L'objectif est double : rendre l'investissement dans ces très jeunes entreprises plus attractif en partageant les risques, et remédier au problème d'accès au capital pour les très jeunes entreprises. Le gouvernement fédéral espère également permettre une meilleure répartition géographique des investissements privés dans les JEI tout en limitant la concentration observée jusqu'à présent.

Le dispositif est une aubaine pour les fonds de capital risque et l'industrie financière américaine. Les sociétés de capital risque, qui ont de plus en plus de mal à lever de nouveaux fonds pour investir dans l'innovation [4], sont en effet face à des bailleurs de fonds (fonds de retraite, fonds de réserve universitaires, etc.) qui dirigent désormais leurs investissements sur des produits financiers associés à des échéances moins longues et des risques inférieurs.

Le "Early Stage SBIC" démarre, patientons quelques mois pour connaître l'impact du nouveau dispositif sur l'innovation et sur l'économie de l'industrie du capital risque.

Gouvernement et capital risque : un mélange détonant

Sans verser dans un pessimisme exagéré, il est ici utile de rappeler que l'association d'autorités étatiques avec des sociétés de capital risque n'a jamais été très heureuse, aux Etats-Unis ou ailleurs. Josh Lerner, spécialiste du sujet à HBS (Harvard Business School), explique que la plupart de ces alliances sont vouées à l'échec parce que bancales : elles souffrent de précipitation dans leur montage et les objectifs à long terme sont mal identifiés. S'ajoute à cela un manque d'implication et de suivi par les gouvernements une fois les fonds distribués. Selon cet auteur, la principale difficulté des gouvernements dans leur tentative d'adopter un modèle de capital risque réside d'une part dans le calibrage de leurs investissements dans des domaines où l'accès au capital fait défaut et d'autre part dans l'adéquation des financements avec les entreprises ayant un vrai potentiel. En d'autres termes, le gouvernement devrait éviter de dupliquer des investissements déjà existants, tout en ne s'aventurant pas dans des secteurs présentant une faible visibilité.

Il existe pourtant des contre-exemples de fonds de capital risque "publics" qui fonctionnent de manière satisfaisante. C'est le cas dans le Massachusetts. Le Département pour les énergies renouvelables du Massachusetts [5] (MCEC) a constitué, depuis 2008, un petit fonds d'investissement de 4,5 millions de dollars par an, destiné à une catégorie spécifique de très jeunes entreprises évoluant dans l'industrie des énergies propres. Afin de rendre l'utilisation de ce fonds la plus efficace possible, le MCEC observe de façon stricte 4 principes :
- Le fonds se concentre sur les secteurs faiblement couverts par les investisseurs privés, c'est-à-dire les très jeunes entreprises dans le domaine des énergies propres ayant un faible accès au capital en raison du fait que les investisseurs se concentrent principalement sur le web et la santé.
- Le fonds exige que, pour chaque investissement, un fonds privé abonde à même hauteur dans l'entreprise choisie. Le MCEC s'assure donc que ses investissements répondent aux besoins du marché et qu'ils aillent dans des entreprises potentiellement viables.
- Le MCEC s'appuie sur des spécialistes de l'investissement privé pour gérer ce fonds, en plaçant notamment à sa tête Arif Padaria, ancien directeur des investissements stratégiques chez Microsoft après avoir évolué dans le capital risque.
- Le fonds s'est engagé à ne pas effectuer de préférence géographique pour ses investissements, ce qui évite d'introduire tout biais, notamment lors de l'évaluation des sociétés candidates

Ces 4 principes ont été identifiés par Josh Lerner comme étant les clés de la réussite d'un fonds d'investissement gouvernemental. S'il est trop tôt pour juger de la performance à long terme du fonds, les 3 premières "sorties du capital" du fond MCEC ont généré un multiple de 1,4 sur l'investissement initial, ce qui est très encourageant. Le succès du fonds MCEC dépendra sans doute de sa capacité à attirer et retenir dans ses équipes les meilleurs talents de l'investissement privé. Précisons que ces derniers sont payés par le MCEC sous forme de salaire fixe, contrairement au système de rémunération classique des fonds de capital risque.

Un autre fonds lié à l'état du Mass., le MTDC (société de développement technologique du Massachusetts), a généré un taux de retour moyen sur investissement de 16,5% sur les 30 dernières années, en suivant les mêmes règles de développement que le fonds du MCEC, validant l'existence de modèles performants.

Les gouvernements locaux sont-ils mieux placés pour investir directement dans des entreprises ?

Les deux fonds évoqués présentent également la particularité d'être locaux et d'avoir adapté leurs objectifs aux caractéristiques des écosystèmes dans lesquels ils ont été créés, en identifiant des "manques" locaux. De telles initiatives sont plus délicates à mettre en oeuvre au niveau du gouvernement fédéral, la difficulté étant de prendre en compte les caractéristiques économiques locales : tissu industriel, niveau de compétitivité, de niveau de financement existant ; etc.

Le modèle du capital risque : un bon choix pour le gouvernement ?

L'initiative "Early Stage SBIC", aussi louable soit-elle, devra donc relever des défis importants pour apparaître comme un complément efficace aux investissements "traditionnels" dans les très jeunes entreprises innovantes.

En choisissant le modèle du capital risque, l'administration fédérale prend aussi un autre risque. En effet, si le modèle est une source de financement importante pour les jeunes entreprises, il est de plus en plus décrié pour son incapacité à procurer des retours sur investissement importants à ses bailleurs de fonds, c'est à dire les "Limited Partners". Ces derniers, mis à part quelques "gros coups" comme Groupon, Facebook ou Instagram, ne font pas d'excellentes affaires. D'où la très grande difficulté pour les firmes de capital risque à lever de l'argent auprès des bailleurs de fonds.

Un rapport récent de la fondation Kaufman dévoilant l'inefficacité globale du système actuel des firmes de capital risque, a d'ailleurs fait l'effet d'une bombe dans le paysage des investisseurs. C'est ce modèle de financement que nous nous proposerons d'étudier dans la seconde partie de cet article.

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[1] Appelés "seed stage" ou "early stage"

[4] Un point bas a été atteint en 2011 avec 18 milliards de dollars levés.

[5] Massachusetts Clean Energy Center

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