lundi 21 mai 2012

Six idées reçues sur la mondialisation

Par Daniel Bastien | 21/05 | 07:00

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Dans un nouveau rapport, le McKinsey Global Institute, think thank du célèbre cabinet de conseil, réfute la thèse de pays développés bientôt rattrapés par les émergents. Le message : si chacun prend conscience de ses forces, rien n'est inéluctable.


Image Source-AFP

Les mythes collant aux échanges internationaux sont-ils solubles dans la réalité ? Ils devraient l'être, estime-t-on au cabinet de conseil McKinsey. « C'est un sujet sur lequel les perceptions sont parfois faussées », explique Eric Labaye, président du McKinsey Global Institute, qui publie aujourd'hui un rapport sur le sujet ( « Trading myths : addressing misconceptions about trade, jobs, and competitiveness »). « En matière de commerce, on dit tout et n'importe quoi », résument plus prosaïquement certains experts.

On peut le vérifier chaque jour : le commerce international constitue un excellent sujet d'empoignades. Les altermondialistes sont toujours prêts à en découdre avec les gouvernants, et les gouvernants eux-mêmes toujours plus disposés à entonner les vieilles trompettes du protectionnisme. « Déficits », « délocalisations », « emploi », l'actualité du commerce est quotidienne, mais si le sujet est sérieux, il semble autant biaisé par une « sagesse conventionnelle » faite d'idées reçues, que par des « intérêts particuliers ». « Avec ce rapport, nous voulons apporter des faits », explique Eric Labaye.

Après avoir étudié le cas de 17 économies avancées (UE à 15, Etats-Unis, Japon), le McKinsey Global Institute, think thank créé en 1990, expose ses « 4 vérités » en démontant une demi-douzaine de grands mythes, et propose en conclusion une question toute simple : pourquoi ne pas chercher à localiser le maximum de valeur ajoutée dans chaque pays, en se fondant sur la bonne vieille théorie des avantages comparatifs qui veut que si on tire bien parti de ce dont on dispose, on sera compétitif ? « Il est important d'être clair sur les éléments de compétitivité qui permettent de s'en sortir. Rien n'est inéluctable ! Voyez la Belgique et les Pays-Bas : ils ont des balances commerciales positives dans le domaine industriel tout en ayant des systèmes sociaux développés », relève Eric Labaye. Pas de défaitisme, donc, face à ce qui n'est que « mythes », estime McKinsey. Revue de détail.

Les économies avancées perdraient des marchés face aux pays émergents, ce qui précipiterait leurs déficits commerciaux : FAUX

Certes, de grands écarts existent entre les grands pays développés, mais on ne constate pas de détérioration globale de leurs balances commerciales face aux émergents. Au cours des dix dernières années, leur déficit s'est même légèrement amélioré, passant de -1,6 % de leur PIB global à - 1,5 %. Dans le détail, le commerce de l'UE à 15 est globalement « largement équilibré », les pays nordiques restant de solides exportateurs et le Royaume-Uni un gros importateur. Excédentaire historique, le Japon n'est devenu importateur net que l'année dernière, alors que les Etats-Unis, abonnés aux déficits persistants depuis 1976, gagnent du terrain depuis 2005.

Ce sont les produits industriels qui font leurs déficits commerciaux : FAUX

La vraie raison des gros déficits tient aux importations de produits primaires -agricoles et matières premières -, même pour ceux qui en produisent eux-mêmes, comme les Etats-Unis. Victime de l'envolée des prix des matières premières, le déficit dans ce secteur a représenté un pic de 3,3 points de pourcentage du PIB des pays développés en 2008. « Si les prix des ressources primaires étaient restés au niveau de 2002, la balance commerciale des économies avancées aurait été équilibrée »cette année-là, relève McKinsey. « Au total, le déficit en produits primaires des économies avancées a été en 2009 plus important que leur déficit commercial total. » On s'aperçoit surtout que 12 de ces 17 pays ont enregistré un excédent de tous leurs produits manufacturés correspondant à 0,3 % de leur PIB en 2009, qui atteint même 1,3 point de PIB lorsqu'il s'agit de biens et services « à haute intensité de connaissance », Irlande, Allemagne et Japon en tête. Restés hors de ce palmarès positif : les Etats-Unis et le Royaume-Uni (un peu moins spécialisés dans le « haut niveau de connaissance » manufacturier), et les pays d'Europe du Sud - Espagne, Grèce, Portugal -pour lesquels l'entrée dans l'euro a provoqué une élévation du coût du travail d'environ 30 %. Ce petit groupe a d'ailleurs encore des avantages comparatifs dans les secteurs manufacturiers réclamant de la main-d'oeuvre, relève McKinsey, tout comme les pays nordiques ont su rester exportateurs nets de produits industriels réclamant du capital, comme le secteur du papier.

Le commerce mondial est la cause des pertes d'emplois industriels : FAUX

Les délocalisations ne sont pas « le » coupable. Si le déclin de l'emploi industriel dans les économies avancées est incontestable, elle est « une tendance à long terme dans tous ces pays » qui s'explique avant tout par une faiblesse de la demande -qui s'oriente davantage vers les services -et par les progrès constants en termes de productivité, dus à une combinaison de capital, d'avancées technologiques, d'innovations, d'efficacité et de spécialisation. Exemple patent : les Etats-Unis, où la perte de 5,8 millions d'emplois industriels entre 2000 et 2010 est « largement due aux progrès de la productivité couplés à la stagnation de la demande domestique ». La valeur ajoutée réelle du secteur industriel des économies avancées a d'ailleurs atteint son plus haut historique en 2007, avant la récession. Au total, seulement 20 % des pertes d'emplois industriels « peuvent être attribuées au commerce ou aux délocalisations », estime donc McKinsey. « Même si on avait équilibré la balance courante 2010 des Etats-Unis grâce à des exportations industrielles, cela aurait permis de gagner environ 2,2 millions de jobs dans ce secteur, loin des pertes de la dernière décennie. »

Les économies avancées ne créent des emplois que dans les services sur le plan national, peu payés et à faible valeur ajoutée : FAUX

Ces économies continuent à créer des jobs de haut niveau, à haute intensité de connaissance, dans des secteurs exportateurs, et qui se déplacent toujours davantage vers les services. Si, de 1996 à 2006, ces économies ont perdu 8 millions d'emplois industriels, le gain net en emplois dans les services a été de 30 millions, dont la moitié dans des secteurs intensifs en savoir, hautement qualifiés et bien payés. En moyenne, les salaires restent plus élevés dans l'industrie que dans les services, mais les rémunérations de ce secteur sont désormais en ligne avec ceux de l'industrie à facteur de production équivalent (travail, capital, savoir), et on trouve actuellement dans ce secteur parmi les meilleurs salaires de ces économies, note McKinsey.

Point capital : les frontières deviennent de plus en plus « floues » entre industrie et services, alors que les entreprises industrielles intègrent de plus en plus d'activités de service en amont, vers la recherche-développement, et en aval, vers la vente, la finance et le service à la clientèle. En Allemagne, les services contribuent déjà à 34 % de la valeur ajoutée domestique dans les exportations industrielles...

Le commerce des services est limité, et les pays émergents à positionnement low cost vont accaparer sa croissance : FAUX

Les exportations de services représentent déjà aujourd'hui le quart des exportations totales des économies avancées et elles atteindront le tiers d'ici à 2030, sans même compter la part des services incorporée dans les produits industriels. Certains pays avancés exportent déjà davantage de valeur ajoutée liée aux services qu'au secteur industriel, et, selon les scénarios, les exportations de services représenteront de 6 à 11 points du PIB des économies avancées à cette échéance. Et l'Allemagne en est à 13 % aujourd'hui...

Fait notable, les exportations de services à haute résolution de connaissances (propriété intellectuelle, licences, services financiers et services aux entreprises) croissent actuellement deux fois plus vite que les services à haute intensité de main-d'oeuvre, comme le tourisme et le transport. Le service aux entreprises -une spécialité des pays développés -constitue d'ailleurs un secteur particulièrement dynamique, dont l'excédent commercial est dès aujourd'hui supérieur à celui des services financiers. De quoi relativiser au total les inquiétudes suscitées par la délocalisation des call centers, par exemple...

Les économies de services comme les Etats-Unis sont leaders mondiaux dans ce secteur : FAUX

L'Union européenne à 15 est en tête des exportations de services, devant les Etats-Unis... même si on ne prend en compte que le commerce extra-européen. En 2009, les exportations totales de services de l'UE-15 ont ainsi représenté 9,4 % de son PIB, et 4,1 % en excluant l'intracommunautaire, comparé à 3,5 % pour les Etats-Unis et 2,5 % pour le Japon. Et si les gros clients des Etats-Unis se limitent en ce domaine au Canada et à l'Amérique latine, l'Union a de fortes positions dans toute l'Europe, au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie. « Les traditionnelles machines exportatrices de produits industriels, comme l'Allemagne, sont aussi de puissants exportateurs de services », constate McKinsey, ce qui « contraste avec l'opinion générale qu'un pays doit choisir entre une réussite dans l'industrie ou dans les services ». « N'ayons pas peur » du commerce international, semble donc dire McKinsey. Résister aux pressions protectionnistes et voir les économies émergentes comme des opportunités plus que comme des menaces est possible, à la condition d'utiliser des outils qui sont à portée de main : considérer globalement l'avantage comparatif plutôt que l'emploi direct ; penser en termes de chaînes de valeur plutôt qu'en frontières de secteurs démodées, et raisonner en valeur ajoutée et non en chiffre d'affaires ; soutenir la compétitivité par l'éducation, l'innovation et l'amélioration de la productivité des ressources -de l'énergie en particulier. « Si on pense "création d'emploi", il faut à l'évidence mettre l'accent sur les services, même si l'industrie reste une source absolument majeure d'exportations. En fait, il ne faut pas craindre de "ratisser large", car il n'y a pas de mauvais secteur a priori. Le tout est de développer le maximum de valeur ajoutée en capturant les segments des chaînes de valeur des entreprises sur lesquels on est le plus compétitif », conclut Eric Labaye. Rassurant, non ?

DANIEL BASTIEN

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