samedi 19 juillet 2014

Les réseaux sociaux : une nouvelle arme de guerre ?

« L’avancée d’une armée était auparavant rythmée par le son des tambours. Aujourd’hui, elle est marquée par des salves de tweets »,expliquait le chroniqueur spécialisé JM Berger dans l’un des premiers articles consacrés à la communication de l’Etat Islamique (EI,anciennement EIIL). Car le groupe armé djihadiste à l’origine de violents affrontements en Irak se livre depuis quelques mois à une stratégie de communication tout aussi offensive sur Internet. Quand une milice s’empare des codes des réseaux sociaux et suit les recommandations d’agences de communication, parvient-elle à faire du web une véritable menace ?

Créé en 2004 en Irak, l’« Etat Islamique en Irak » a un temps été sous la houlette d’Al Qaida en Mésopotamie. Mais en 2010, l’EI trouve un nouveau souffle à la faveur du conflit syrien et de son nouveau chef djihadisteAbou Bakr al-Baghdadi, dont les prises de positions vont éloigner l’organisation du giron d’Al Qaida. C’est en 2013 que celui-ci renomme l’organisation « Etat Islamique en Irak et au Levant » et affirme son ambition d’établir un « califat » s’étendant d’Irak au Liban, en passant par la Jordanie et la Palestine, explique Le Point.

Essentiellement composé de combattants djihadistes étrangers, l’EILL se livre depuis ces derniers mois à une fulgurante offensive en Irak : affrontements avec les troupes au service de Nouri al-Maliki (le premier ministre irakien) et instauration du califat dans certaines zones menacent la stabilité du pays. Mais c’est aussi à travers le relais de contenus violents visant à instaurer la terreur en même temps qu’une propagande pour rallier les populations que l’EILL (rebaptisée EI le mois dernier) se démarque des autres groupes rebelles, puisque c’est la première fois que les réseaux sociaux sont à ce point mobilisés pour faire la guerre.

Diffusion de masse

Comptes Twitter et Instagram par centaines, chaînes Youtube, sites et forums pour héberger ses contenus et échanger avec sa communauté comme les internautes du monde entier… L’EI n’a, en apparence, rien à envier à une star mondiale ou à une puissante institution en matière de présence et d’influence sur le web. Le « groupe terroriste le plus riche du monde » a même fait développer une application, The Dawn Of Glad Tidings (l’Aube de la Bonne Nouvelle), devenue clé de voûte de sa stratégie de communication.

Une fois téléchargée par des utilisateurs peu frileux de laisser à disposition du groupe armé leurs informations personnelles ainsi que leurs comptes Twitter, la surnommée « The Dawn » est en mesure de tweeter les contenus qu’elle entend sur des milliers de comptes différents. Lors de la prise de Mossoul le 10 juin dernier, l’application a ainsi posté plus de 40 000 tweets en une journée. Et cela, nous explique un article de Diplomatie Digitale, a permis à l'organisation de répondre à des objectifs tactiques : accroître sa visibilité sur Twitter, maîtriser l’actualité (ses propres images couvrant celles des chaînes d’informations sur le réseau social) et valoriser ses hashtags auprès des sympathisants.

Engagement des foules

Et les membres de l’EI savent utiliser les codes de Twitter comme rarement des membres d’organisation terroriste en ont été capables : à travers des jeux de mots, des formules proches du slogan ou encore des memes et des hashtagsdédiés, ces derniers deviennent des community managers de plus en plus performants.

Durant la coupe du monde, certains surfaient même sur le sujet tendance (trending topic) #WorldCup afin de diffuser des vidéos extrêmement violentes auprès d’une plus large audience.

Une pratique que semble encourager l’EI puisque sur Facebook, Twitter et ses forums, la « communauté » est souvent sollicitée pour diffuser des contenus comme pour discuter des choix stratégiques à adopter. Ce faisant, explique Mashable, les « têtes pensantes » simulent des débats qui seraient en fait totalement scénarisés pour fédérer les rebelles.

Car la maestria avec laquelle l’EI assure sa présence sur la toile ne doit pas tout au hasard : derrière des spots de propagande avec vues aériennes et explosions au ralenti se cachent en fait des agences de communication comme Al-Furqan Media Production, explique au Monde le spécialiste de l’Islam politique Dominique Thomas.

Une communication moins officielle risquée

Mais le chercheur souligne aussi qu'en dépit d'une volonté évidente d’unifier les prises de paroles (à travers des codes précis comme l’utilisation de hashtags spécifiques et de logos de l’EI), la production de contenus médiatiques n’est pas si centralisée. Elle est même parfois déléguée à des centres régionaux voire laissée au soin individuel des combattants. Un point faible pour l’EI, qui en permettant ainsi la place aux initiatives plus personnelles, laisse certaines informations stratégiques s’échapper.

C’est ainsi que le compte Twitter @wikibaghdadi (a priori tenu par un membre de l’EI selon The Daily Beast) diffuse au détriment du groupe armé des informations capitales sur les futures attaques : plans de bataille, nom des participants ... Et malgré la diffusion massive de communiqués de presse et de magazines émis par l’EI pour assurer sa propre communication, c’est davantage à ce genre de prises de paroles « hors circuit » que s’intéressent la presse et… les services d’informations américains.

« Si les analystes savent où chercher, la seule chose à faire est de regarder »

Car pour certains membres de l’EI, l’expression de soi sur les réseaux sociaux est devenu une part constitutive de l’identité de combattants, explique JM Berger pour Atlantico : quand ils cessent de combattre, les militants tweetent et postent sans fin, au point que les experts américains en viennent à s’interroger sur leur intelligence tactique.

Peter Van Ostaeyen, expert en « intelligence » raconte ainsi à Mashablel’anecdote de deux jeunes djihadistes se donnant rendez-vous, via Twitter, dans un cyber-café en Irak. Des informations qui auraient pu servir aux Etats-Unis à envoyer des drones sur le lieu de rendez-vous et à mener une attaque, explique l’expert avec circonspection : « Ils ne semblent pas du tout effrayés (…) ou bien ils ne réalisent simplement pas ce qu’ils font ».

Clint Watts, chercheur à l’Institut de Recherche de Politique Etrangère, ironise même sur « l’amateurisme » de certains djihadistes : « Ces gars sont tellement occupés à se mettre en scène sur le web qu’on se demande s’il s’agit de Justin Bieber ». Mais si certaines photos diffusées par l’EI et relayées par l’AFP (qui met en garde contre les retouches photo) sont bien des mises en scènes, elles sont parfois totalement macabres et sans aucun rapport avec la pop star : têtes coupées, cadavres entassés… Au point que l’Irak a bloqué un temps l’accès à Internet pour endiguer la propagation de certains contenus visant à terroriser les populations locales et les internautes du monde entier.

Un acte inutile et inefficace pour les Etats-Unis qui tiennent paradoxalement à ce que les membres de l’EI continuent de tweeter, poster, communiquer... Car si les réseaux sociaux deviennent une arme de guerre, ils pourraient aussi permettre, grâce aux informations qu’ils recueillent, d’identifier et d’arrêter certains membres de l'organisation terroriste. 

Elisa Braun le 17/07/2014

http://www.rslnmag.fr/post/2014/07/17/les-reseaux-sociaux-une-nouvelle-arme-de-guerre-.aspx

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