Diriger aujourd’hui n’est pas une sinécure, construire sa légitimité et faire autorité non plus.
Diriger est moins que jamais une sinécure. Voici, pour commencer, les réflexions de deux de nos gouvernants : Nicolas Sarkozy, le 19 février 2012, à Marseille : « Je vais à la rencontre des Français pour leur parler de l’autorité. Je veux leur parler de l’autorité du maître à l’école, pas du copain à l’école, de l’autorité du professeur, de l’Etat, de la loi. Je veux parler de l’autorité que confère le savoir et que confère la morale. Un monde sans autorité est un monde sans liberté. ».
François Hollande, le 22 janvier de la même année : « je revendique une simplicité qui n’est pas une retenue, mais la marque de l’authentique autorité ». Visiblement, nos deux compères s’interrogent sur la chose et nous avec eux. Comment peut-on être dirigeant se demanderait Montesquieu ?
La fin du « leader visionnaire »Longtemps les entreprises françaises ont été dirigées par des têtes bien faites, issues de l’X et de quelques autres, tandis que les dirigeants politiques étaient formés à l’ENA. Bertrand Collomb par exemple disait ingénument : « quand on avait fait l’X et qu’on entrait dans une entreprise privée, devenir président cela semblait naturel » (Cf. Profession PDG, 2006, en collaboration avec Olivier Basso). Comme d’autres de sa génération, il a incarné un modèle, celui défini par O. Basso dans sa conférence du 12 février 2013 à l’ENS Ulm comme le « dirigeant modélisateur », le « leader visionnaire ».
Il voit plus loin que les autres. Il sait plus qu’eux et tire son autorité de ce savoir, sa légitimité étant assurée par les institutions dont il est issu (X, Mines, fonction publique, PhD) et par le succès de l’expérience américaine. C’est bien ce type de dirigeant que Nicolas Sarkozy veut remettre à l’honneur à travers la figure du « maître d’école », du « professeur ». Malheureusement, l’opération « restauration » est vouée à l’échec. Souvenons-nous de ce qui s’est passé au moment de la crise financière lorsqu’Eric Cantona a lancé l’idée de retirer notre argent des banques et qu’Alain Minc s’en est indigné, renvoyant la star du football à son ballon au prétexte qu’il ne savait pas puisqu’il n’était pas. Le sachant, l’expert « taclait » vertement l’ignare des stades. Etait-ce si simple ?
Construire sa légitimité
Poursuivons donc avec la légitimité avant de revenir sur l’autorité, en nous arrêtant un instant sur leurs définitions respectives, précisément parce qu’elles sont souvent confondues. Par « autorité » ici, nous entendrons : l’obtention d’un assentiment d’autrui à l’action prescrite sans violence et sans persuasion. Elle concerne donc la manière dont le pouvoir s’exerce. La « légitimité » renvoie, quant à elle, aux conditions préalables à l’exercice du pouvoir. Le mot se réfère au droit, à la loi, même si elle ne se confond pas avec la « légalité ». C’est ce qu’avait bien compris Machiavel, qui met en valeur la fin d’une légitimation divine et l’autonomisation du politique. La question de la légitimité est première et conditionne celle de l’autorité. Dans les entreprises, un candidat légitime ne fait pas forcément un président légitime, tout comme un DG ou un DAF ne devient pas mécaniquement un PDG légitime. L’entreprise n’est pas une « démocratie » entend-on souvent.
Certes, mais elle est le reflet de son époque. Ainsi, à bien des égards, « l’hyperprésidence », comme on l’a appelée, fut surtout une quête éperdue de cette légitimité. Du côté de « l’hypoprésidence » actuelle, la ou les réponses restent en suspens. De la même manière, dans les entreprises, la nomination par les actionnaires ou le président ou le DG ne suffisent plus. Voilà pourquoi Eric Cantona, fort de sa légitimité issue des stades, peut contrarier Alain Minc. Claude Lefort définissait en effet la démocratie comme le « lieu vide » du pouvoir (Cf. Temps présent, 2007).
Ce « vide » structurel place la question de la légitimité au cœur de l’exercice du pouvoir. Eric Cantona est-il moins légitime qu’Alain Minc à s’exprimer sur la crise financière ? Bien entendu, une grande école, une expérience opérationnelle éventuellement marquée par des résultats financiers positifs, si possible à l’étranger, contribuent largement à l’accès au poste de dirigeant d’une entreprise de taille conséquente. Seulement, ces éléments ne suffisent plus. La légitimité, de nos jours, n’est plus substantielle. Elle se fait procédurale. Autrement dit, elle se construit. Et cette construction se fait avec les autres. De là, pour les dirigeants d’entreprises, l’absolue nécessité du « réseau » et la fin des PDG avec portes capitonnées.
Les dirigeants qui croient ne pas avoir à construire cette légitimité, s’exposent à courir après l’autorité, au risque de la confondre avec l’autoritarisme, également appelé « micro-management ».
S’autoriser à faire autorité
Bien entendu, un dirigeant à peu près tranquille sur sa légitimité n’est pas assuré du succès. Loin s’en faut ! Alain Renaut nous a annoncé La fin de l’autorité (Flammarion, 2004). Heureusement, Myriam Revault d’Allonnes aborde la question autrement pour montrer qu’elle n’a pas disparu mais que les ingrédients ont changé (Cf. l’Autorité, essai sur le pouvoir des commencements, Seuil, 2006). La tradition et le passé ne font plus autorité pour personne aujourd’hui, dirigeants ou dirigés. Quant au futur, comme nous ne croyons plus au progrès systématique ni aux lendemains qui chantent, il nous inspire souvent défiance ou peur.
Dans ces conditions, diriger une école, une entreprise du CAC 40 ou un Etat, n’a rien d’une sinécure. Qu’est-ce qui peut bien faire autorité si le statut et l’expérience ne suffisent plus ? Peut-être ce qui, au fil du temps, ne semble pas avoir varié pour « l’auctoritas » et tient à l’étymologie du mot autant qu’à des dérivés : « auteur », « augmenter » ou « autoriser ».
L’autorité appelle aujourd’hui le geste de s’autoriser. Ce qui fait autorité, c’est la capacité à poser des actes qui tiennent lieu de réponse, alors même que vous n’êtes pas sûrs de ce que vous avancez, que vous n’avez aucune vision de l’avenir ni aucune expérience, dans certains cas. Pour ceux qui s’aventurent à venir occuper cette place de dirigeant, deux actions s’imposent : construire sa légitimité et faire autorité.
Catherine Blondel
Directrice scientifique des séminaires pour dirigeants de l’Institut de l’ENS Ulm,
Conseillère de dirigeants
Publié le 22/08/2013
Diriger est moins que jamais une sinécure. Voici, pour commencer, les réflexions de deux de nos gouvernants : Nicolas Sarkozy, le 19 février 2012, à Marseille : « Je vais à la rencontre des Français pour leur parler de l’autorité. Je veux leur parler de l’autorité du maître à l’école, pas du copain à l’école, de l’autorité du professeur, de l’Etat, de la loi. Je veux parler de l’autorité que confère le savoir et que confère la morale. Un monde sans autorité est un monde sans liberté. ».
François Hollande, le 22 janvier de la même année : « je revendique une simplicité qui n’est pas une retenue, mais la marque de l’authentique autorité ». Visiblement, nos deux compères s’interrogent sur la chose et nous avec eux. Comment peut-on être dirigeant se demanderait Montesquieu ?
La fin du « leader visionnaire »Longtemps les entreprises françaises ont été dirigées par des têtes bien faites, issues de l’X et de quelques autres, tandis que les dirigeants politiques étaient formés à l’ENA. Bertrand Collomb par exemple disait ingénument : « quand on avait fait l’X et qu’on entrait dans une entreprise privée, devenir président cela semblait naturel » (Cf. Profession PDG, 2006, en collaboration avec Olivier Basso). Comme d’autres de sa génération, il a incarné un modèle, celui défini par O. Basso dans sa conférence du 12 février 2013 à l’ENS Ulm comme le « dirigeant modélisateur », le « leader visionnaire ».
Il voit plus loin que les autres. Il sait plus qu’eux et tire son autorité de ce savoir, sa légitimité étant assurée par les institutions dont il est issu (X, Mines, fonction publique, PhD) et par le succès de l’expérience américaine. C’est bien ce type de dirigeant que Nicolas Sarkozy veut remettre à l’honneur à travers la figure du « maître d’école », du « professeur ». Malheureusement, l’opération « restauration » est vouée à l’échec. Souvenons-nous de ce qui s’est passé au moment de la crise financière lorsqu’Eric Cantona a lancé l’idée de retirer notre argent des banques et qu’Alain Minc s’en est indigné, renvoyant la star du football à son ballon au prétexte qu’il ne savait pas puisqu’il n’était pas. Le sachant, l’expert « taclait » vertement l’ignare des stades. Etait-ce si simple ?
Construire sa légitimité
Poursuivons donc avec la légitimité avant de revenir sur l’autorité, en nous arrêtant un instant sur leurs définitions respectives, précisément parce qu’elles sont souvent confondues. Par « autorité » ici, nous entendrons : l’obtention d’un assentiment d’autrui à l’action prescrite sans violence et sans persuasion. Elle concerne donc la manière dont le pouvoir s’exerce. La « légitimité » renvoie, quant à elle, aux conditions préalables à l’exercice du pouvoir. Le mot se réfère au droit, à la loi, même si elle ne se confond pas avec la « légalité ». C’est ce qu’avait bien compris Machiavel, qui met en valeur la fin d’une légitimation divine et l’autonomisation du politique. La question de la légitimité est première et conditionne celle de l’autorité. Dans les entreprises, un candidat légitime ne fait pas forcément un président légitime, tout comme un DG ou un DAF ne devient pas mécaniquement un PDG légitime. L’entreprise n’est pas une « démocratie » entend-on souvent.
Certes, mais elle est le reflet de son époque. Ainsi, à bien des égards, « l’hyperprésidence », comme on l’a appelée, fut surtout une quête éperdue de cette légitimité. Du côté de « l’hypoprésidence » actuelle, la ou les réponses restent en suspens. De la même manière, dans les entreprises, la nomination par les actionnaires ou le président ou le DG ne suffisent plus. Voilà pourquoi Eric Cantona, fort de sa légitimité issue des stades, peut contrarier Alain Minc. Claude Lefort définissait en effet la démocratie comme le « lieu vide » du pouvoir (Cf. Temps présent, 2007).
Ce « vide » structurel place la question de la légitimité au cœur de l’exercice du pouvoir. Eric Cantona est-il moins légitime qu’Alain Minc à s’exprimer sur la crise financière ? Bien entendu, une grande école, une expérience opérationnelle éventuellement marquée par des résultats financiers positifs, si possible à l’étranger, contribuent largement à l’accès au poste de dirigeant d’une entreprise de taille conséquente. Seulement, ces éléments ne suffisent plus. La légitimité, de nos jours, n’est plus substantielle. Elle se fait procédurale. Autrement dit, elle se construit. Et cette construction se fait avec les autres. De là, pour les dirigeants d’entreprises, l’absolue nécessité du « réseau » et la fin des PDG avec portes capitonnées.
Les dirigeants qui croient ne pas avoir à construire cette légitimité, s’exposent à courir après l’autorité, au risque de la confondre avec l’autoritarisme, également appelé « micro-management ».
S’autoriser à faire autorité
Bien entendu, un dirigeant à peu près tranquille sur sa légitimité n’est pas assuré du succès. Loin s’en faut ! Alain Renaut nous a annoncé La fin de l’autorité (Flammarion, 2004). Heureusement, Myriam Revault d’Allonnes aborde la question autrement pour montrer qu’elle n’a pas disparu mais que les ingrédients ont changé (Cf. l’Autorité, essai sur le pouvoir des commencements, Seuil, 2006). La tradition et le passé ne font plus autorité pour personne aujourd’hui, dirigeants ou dirigés. Quant au futur, comme nous ne croyons plus au progrès systématique ni aux lendemains qui chantent, il nous inspire souvent défiance ou peur.
Dans ces conditions, diriger une école, une entreprise du CAC 40 ou un Etat, n’a rien d’une sinécure. Qu’est-ce qui peut bien faire autorité si le statut et l’expérience ne suffisent plus ? Peut-être ce qui, au fil du temps, ne semble pas avoir varié pour « l’auctoritas » et tient à l’étymologie du mot autant qu’à des dérivés : « auteur », « augmenter » ou « autoriser ».
L’autorité appelle aujourd’hui le geste de s’autoriser. Ce qui fait autorité, c’est la capacité à poser des actes qui tiennent lieu de réponse, alors même que vous n’êtes pas sûrs de ce que vous avancez, que vous n’avez aucune vision de l’avenir ni aucune expérience, dans certains cas. Pour ceux qui s’aventurent à venir occuper cette place de dirigeant, deux actions s’imposent : construire sa légitimité et faire autorité.
Catherine Blondel
Directrice scientifique des séminaires pour dirigeants de l’Institut de l’ENS Ulm,
Conseillère de dirigeants
Publié le 22/08/2013
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