Crédits : André Waksman |
Les femmes tunisiennes en ont assez
« Nous ne sommes plus que 10 femmes non voilées dans mon gouvernorat (Bou-Salem au Nord de la Tunisie) » pleure Djamila, enseignante. « Je refuse le voile mais malgré tout, j’ai changé ma façon de m’habiller, parce que j’ai peur. Toutes les associations culturelles ont perdu leur subvention, à part bien sur les religieuses. Les écoles laïques n’ont plus de budget. Et de plus en plus d’hommes prennent une deuxième, voire une troisième femme. Ce n’est pas légal, mais certains magistrats pro-Ennahda valident ces unions. Petit à petit, les salafistes sont en train d’imposer leur vue.»
Vue et méthodes qui ne sont plus partagées par la majorité de la population tunisienne. « Je veux être une musulmane protégée par la loi. Mon rapport à la religion : c’est entre moi et Dieu » insiste Ahleb, formatrice dans l’industrie textile. Et Jehita, propriétaire de salons de coiffure, de renchérir : « je n’avais jamais fait de politique avant. Et je n’appartiens pas à un parti. Mais j’ai senti que mon pays se perdait et que chaque voix comptait. Je le fais pour mes enfants, pour tous les enfants de la Tunisie ».
La nuit de l’espoir
C’est pourquoi, ils étaient plus de 200 000 militants et militantes, mardi 6 aout, en fin d’après-midi, place du Bardo à Tunis, au pied de l’immeuble qui abrite l’assemblée nationale constituante (ANC), à demander la démission du gouvernement. Et, cela malgré la séquestration par le ministère des transports, des bus mis à disposition des différentes villes tunisiennes (Bizerte, Sfax,…) pour rallier la capitale. La date est symbolique : elle correspond à la fois à la date anniversaire de l’assassinat (06/02/13) du député Chrokri Belaid et à la nuit des vœux du ramadan. « Pour tous les musulmans, c’est la nuit de l’espoir. Alors, ce soir, plus que jamais, on espère que notre souhait va se réaliser » explique Mina.
Une manifestation pacifique et déterminée
Très jeunes, moins jeunes, hommes, femmes, toute génération et classe sociale confondues sont là. La chaleur pourtant accablante (plus de 30°C) ne les arrête pas. Ils sont réunis ce soir, comme tous les soirs depuis l’assassinat de l’avocat socialiste Mohamed Brahmi, pour demander la démission du gouvernement. Qui, soit dit en passant n’avait été élu que pour un an (jusqu’au 23 octobre 2012) et pour mettre en place une constitution. « Un an et dix mois plus tard, toujours pas de constitution et ils sont toujours là » remarque Selma Baccar, réalisatrice et membre de l’Assemblée Nationale Constituante. En effet, un décret publié dans le JO tunisien le 09/08/11 stipulait que « l’assemblée nationale constituante est chargée essentiellement d’écrire une constitution dans le délai d’un an maximum.
Des revendications légitimes
A ce jour, pratiquement aucune loi n’a été rédigée et il refuse de laisser le pouvoir. « Je suis élue et n’ai aucun pouvoir » s’insurge la franco-tunisienne Karima Souid, députée « dehors » du parti Almassar (ils sont 64 députés à avoir quitté l’Assemblée Nationale Constituante – ANC) et ancienne élue de Venissieux. « Nous sommes confrontés à une crise politique et sociale grave. Le but de ses manifestations quotidiennes est de mener le pays vers la démocratie. Nous exigeons un gouvernement de salut public, c’est à dire composer d’experts technocrates apolitiques qui prépare la constitution et les futures élections ». L’enjeu est majeur pour ce pays traditionnellement laïc et le premier à avoir déclencher la vague de révolutions qui a secoué le monde arabe, ces deux dernières années. Une révolution pacifique, mais déterminée et sans bain de sang. Alors, tous les soirs et dans toutes les villes de Tunisie, ils vont continuer à se réunir et à manifester pour une vraie démocratie.
La fête malgré tout
La nuit est tombée sur la place du Bardo et avec elle, la rupture du jeune. Et là, dans une ambiance festive et sereine se met en place, un immense pique nique ! Tout le monde partage les repas apportés pour diner. Zohra Driss, éminente femme d’affaire tunisienne a organisé une couscous party. Une file se forme devant son « stand ». C’est qu’il est délicieux son couscous (je sais j’en ai profité !). Un peu incongru : une sono diffuse du jazz dans le lointain.
Et une fois, restauré, tout le monde regagne la place. Feux d’artifice, slogans, musique ponctuent ce rassemblement qui s’il a l’air d’une grande fête, n’en reste pas moins une épine dans le pied du gouvernement. Et puis vers une heure, tout le monde regagne tranquillement son véhicule, jusqu’au lendemain soir.
Par Bénédicte Transon-Capone, le 08 août 2013
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