Un petit tour dans l’espace ? Ce qui était une lubie pour le commun des mortels il y a une décennie va devenir réalité. Revue des futurs engins de croisière en apesanteur.
Demain, voir la courbure de la Terre depuis l’espace ne sera plus un privilège d’astronaute. Le tourisme spatial n’est déjà plus un rêve, mais bien une réalité à portée de main (sinon de bourse). Et la question est désormais de savoir qui sera le premier opérateur à envoyer un « non-professionnel » dans le firmament. Aujourd’hui, une dizaine d’équipes concourent à ce projet fou. La plus connue, la Spaceship Company, portée par le très médiatique sir Richard Branson, associé au génial ingénieur Burt Rutan, avec son curieux vaisseau Space Ship Two, a réussi, fin avril, un essai en vol durant… seize secondes. Depuis, cette entreprise, installée dans le désert de Mojave, en Californie (Etats-Unis), et comptant près de 250 employés, multiplie les essais pour mettre au point un engin aussi sûr que performant. « Le génie de Branson est d’avoir fait valoriser sa société à hauteur de 900 millions de dollars, alors qu’il n’a toujours pas fait voler un seul touriste, explique Alain Dupas, chercheur associé à l’université de Washington. Mais le défi technologique se révèle plus compliqué que ce qu’il imaginait. »
600 billets vendus à 187 000 euros l’unité !
Au final, la suractivité du Britannique, qui orchestre parfaitement la communication autour de sa marque, a fini par provoquer quelques ricanements… même s’il a déjà vendu 600 billets à 187 000 euros l’unité ! Le programme a connu des retards de développement, ponctué notamment par un accident dans son usine d’assemblage, qui a fait trois morts en 2007. « La mise au point du moteur hybride, particulièrement innovant, se révèle plus lente que prévu », explique Jean-Luc Wibaux, PDG d’Un ticket pour l’espace, la seule entité habilitée à vendre en France les billets pour Virgin Galactic. Le concept même semble complexe : Space Ship Two doit décoller d’une piste, emporté par un aéronef – le White Knight Two (chevalier blanc) – qui le largue à 15 kilomètres d’altitude, où il peut alors allumer son moteur-fusée afin de monter dans le firmament avant de redescendre sur Terre. Il n’en demeure pas moins que la société Spaceship reste la plus avancée, au point que son tout premier vol officiel avec ses touristes et une brochette de personnalités marquera une date majeure de l’histoire de l’espace. « Il est raisonnable de fixer cette échéance entre 2014 et 2015 », estime Jean-Luc Wibaux. Autant dire demain. D’autres concurrents, notamment en Europe, tentent de copier le principe – deux vaisseaux, deux pilotes, deux moteurs – , à l’instar des Suisses de S3, associés au français Dassault, ou encore de Booster Space Industries, un consortium né à Liège à l’initiative de James Jason Murray, qui a travaillé 9 ans durant chez Techspace Aero. Mais il leur sera difficile d’envisager de décoller avant 2020.
« Pour coiffer Branson sur le fil, il faut développer un concept plus simple, avec un seul avion qui s’envolerait de n’importe où », estime Christophe Bonnal, de la direction des lanceurs du Cnes, le Centre national français d’études spatiales. Et, dans cette catégorie alternative, le champion s’appelle XCOR, société également située dans le désert de Mojave, en face de son concurrent direct. Ici, le vaisseau s’appelle Lynx et ressemble à une petite navette spatiale, dont l’essentiel de la carlingue se trouve occupé par le réservoir et par le bloc-moteur (ce qui réduit considérablement l’habitacle : un pilote et un seul passager). Ce dernier, réutilisable et réallumable, possède un système de pompe à pistons dérivé de l’industrie automobile, plus fiable qu’une turbopompe. Si XCOR semble moins au point que Virgin en termes d’appareil, ses résultats en matière de propulsion lui donnent de sérieux atouts, qui laissent entrevoir un vol inaugural avant la fin de cette année. « Ils ont construit 13 moteurs et totalisé plus de 4 000 mises à feu », détaille Garrett Smith, qui dirige Cosmicaspacelines et espère acheter un Lynx au plus vite pour l’exploiter depuis la France ou l’Espagne. Ce qui est loin d’être gagné et entraînera des contraintes liées à la certification. Or, celles-ci n’ont pas été anticipées. A quelle catégorie d’engins volants appartient ce type d’appareils ? Si, depuis trente ans, les Etats-Unis disposent – via la Federal Aviation Administration (FAA) – d’une branche s’occupant des vols commerciaux spatiaux, il n’en est rien sur le territoire de l’Union européenne. « Nous travaillons à l’adaptation de notre cadre réglementaire afin que ces aéronefs puissent voler en Europe, mais à condition que la sécurité des vols soit assurée, ainsi que celle des populations survolées », explique Jean-Bruno Marciacq, de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (Easa).
L’autre possibilité pour faciliter l’essor du tourisme spatial consisterait à créer une fusée qui ressemblerait le plus possible à un… avion classique. C’est la troisième voie, celle sur laquelle s’est engagée Astrium, constructeur de satellites et concepteur d’Ariane. « L’espace est quand même notre cœur de métier, et nous nous lançons sur ce marché parce que nos études montrent qu’il arrive à maturité », explique Alain Charmeau, patron de la branche transport spatial de la filiale d’EADS. Avec une obsession : assurer un niveau de sécurité maximal, aussi élevé que lorsqu’un constructeur comme Airbus conçoit un nouvel appareil type A 380 ou A 350. Pour cela, l’équipe d’ingénieurs cherche à mettre au point un vaisseau « à peine plus gros qu’un jet d’affaires », qui, à l’instar du Lynx, partira de n’importe quel grand aéroport du monde, avec une capacité de vol quasi quotidienne. Sa particularité ? « Il disposera de deux moteurs classiques pour les phases de décollage et d’atterrissage, et d’un troisième de type fusée pour la phase ascendante. Ce dernier utilisera un carburant novateur à base de méthane liquide », explique Christophe Chavagnac, directeur technique du programme Spaceplane. Autre innovation de taille, déjà brevetée : la cabine totalement dépouillée, afin que les passagers puissent profiter au mieux de leurs quelques minutes en apesanteur et détacher leur ceinture pour flotter dans l’habitacle. Si une maquette avionique a déjà été éprouvée en soufflerie et si les tests moteurs se multiplient dans les usines allemandes d’Astrium, le constructeur reste assez discret sur le coût du projet (entre 1 et 2 milliards d’euros) et sur une éventuelle date de vol inaugural (pas avant 2020). Une stratégie à l’inverse de la communication à outrance de Virgin, que d’autres concurrents ont aussi adoptée. Comme, par exemple, Jeff Bezos, le célèbre fondateur d’Amazon et nouveau propriétaire du Washington Post, dont la société Blue Origin conçoit ainsi dans le plus grand secret le New Shepard, une capsule réutilisable. Dans le firmament, le silence est le plus sûr moyen d’avancer à grands pas.
Indéniablement, le tourisme spatial en sera un pour l’ensemble de l’humanité.
B. D. C.
Le Vif
dimanche 18 août 2013 à 10h44
Le Space Ship Two, largué par son vaisseau porteur, le White Knight Two, reste à ce jour le projet le plus avancé. © Galactic |
Demain, voir la courbure de la Terre depuis l’espace ne sera plus un privilège d’astronaute. Le tourisme spatial n’est déjà plus un rêve, mais bien une réalité à portée de main (sinon de bourse). Et la question est désormais de savoir qui sera le premier opérateur à envoyer un « non-professionnel » dans le firmament. Aujourd’hui, une dizaine d’équipes concourent à ce projet fou. La plus connue, la Spaceship Company, portée par le très médiatique sir Richard Branson, associé au génial ingénieur Burt Rutan, avec son curieux vaisseau Space Ship Two, a réussi, fin avril, un essai en vol durant… seize secondes. Depuis, cette entreprise, installée dans le désert de Mojave, en Californie (Etats-Unis), et comptant près de 250 employés, multiplie les essais pour mettre au point un engin aussi sûr que performant. « Le génie de Branson est d’avoir fait valoriser sa société à hauteur de 900 millions de dollars, alors qu’il n’a toujours pas fait voler un seul touriste, explique Alain Dupas, chercheur associé à l’université de Washington. Mais le défi technologique se révèle plus compliqué que ce qu’il imaginait. »
600 billets vendus à 187 000 euros l’unité !
Au final, la suractivité du Britannique, qui orchestre parfaitement la communication autour de sa marque, a fini par provoquer quelques ricanements… même s’il a déjà vendu 600 billets à 187 000 euros l’unité ! Le programme a connu des retards de développement, ponctué notamment par un accident dans son usine d’assemblage, qui a fait trois morts en 2007. « La mise au point du moteur hybride, particulièrement innovant, se révèle plus lente que prévu », explique Jean-Luc Wibaux, PDG d’Un ticket pour l’espace, la seule entité habilitée à vendre en France les billets pour Virgin Galactic. Le concept même semble complexe : Space Ship Two doit décoller d’une piste, emporté par un aéronef – le White Knight Two (chevalier blanc) – qui le largue à 15 kilomètres d’altitude, où il peut alors allumer son moteur-fusée afin de monter dans le firmament avant de redescendre sur Terre. Il n’en demeure pas moins que la société Spaceship reste la plus avancée, au point que son tout premier vol officiel avec ses touristes et une brochette de personnalités marquera une date majeure de l’histoire de l’espace. « Il est raisonnable de fixer cette échéance entre 2014 et 2015 », estime Jean-Luc Wibaux. Autant dire demain. D’autres concurrents, notamment en Europe, tentent de copier le principe – deux vaisseaux, deux pilotes, deux moteurs – , à l’instar des Suisses de S3, associés au français Dassault, ou encore de Booster Space Industries, un consortium né à Liège à l’initiative de James Jason Murray, qui a travaillé 9 ans durant chez Techspace Aero. Mais il leur sera difficile d’envisager de décoller avant 2020.
« Pour coiffer Branson sur le fil, il faut développer un concept plus simple, avec un seul avion qui s’envolerait de n’importe où », estime Christophe Bonnal, de la direction des lanceurs du Cnes, le Centre national français d’études spatiales. Et, dans cette catégorie alternative, le champion s’appelle XCOR, société également située dans le désert de Mojave, en face de son concurrent direct. Ici, le vaisseau s’appelle Lynx et ressemble à une petite navette spatiale, dont l’essentiel de la carlingue se trouve occupé par le réservoir et par le bloc-moteur (ce qui réduit considérablement l’habitacle : un pilote et un seul passager). Ce dernier, réutilisable et réallumable, possède un système de pompe à pistons dérivé de l’industrie automobile, plus fiable qu’une turbopompe. Si XCOR semble moins au point que Virgin en termes d’appareil, ses résultats en matière de propulsion lui donnent de sérieux atouts, qui laissent entrevoir un vol inaugural avant la fin de cette année. « Ils ont construit 13 moteurs et totalisé plus de 4 000 mises à feu », détaille Garrett Smith, qui dirige Cosmicaspacelines et espère acheter un Lynx au plus vite pour l’exploiter depuis la France ou l’Espagne. Ce qui est loin d’être gagné et entraînera des contraintes liées à la certification. Or, celles-ci n’ont pas été anticipées. A quelle catégorie d’engins volants appartient ce type d’appareils ? Si, depuis trente ans, les Etats-Unis disposent – via la Federal Aviation Administration (FAA) – d’une branche s’occupant des vols commerciaux spatiaux, il n’en est rien sur le territoire de l’Union européenne. « Nous travaillons à l’adaptation de notre cadre réglementaire afin que ces aéronefs puissent voler en Europe, mais à condition que la sécurité des vols soit assurée, ainsi que celle des populations survolées », explique Jean-Bruno Marciacq, de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (Easa).
L’autre possibilité pour faciliter l’essor du tourisme spatial consisterait à créer une fusée qui ressemblerait le plus possible à un… avion classique. C’est la troisième voie, celle sur laquelle s’est engagée Astrium, constructeur de satellites et concepteur d’Ariane. « L’espace est quand même notre cœur de métier, et nous nous lançons sur ce marché parce que nos études montrent qu’il arrive à maturité », explique Alain Charmeau, patron de la branche transport spatial de la filiale d’EADS. Avec une obsession : assurer un niveau de sécurité maximal, aussi élevé que lorsqu’un constructeur comme Airbus conçoit un nouvel appareil type A 380 ou A 350. Pour cela, l’équipe d’ingénieurs cherche à mettre au point un vaisseau « à peine plus gros qu’un jet d’affaires », qui, à l’instar du Lynx, partira de n’importe quel grand aéroport du monde, avec une capacité de vol quasi quotidienne. Sa particularité ? « Il disposera de deux moteurs classiques pour les phases de décollage et d’atterrissage, et d’un troisième de type fusée pour la phase ascendante. Ce dernier utilisera un carburant novateur à base de méthane liquide », explique Christophe Chavagnac, directeur technique du programme Spaceplane. Autre innovation de taille, déjà brevetée : la cabine totalement dépouillée, afin que les passagers puissent profiter au mieux de leurs quelques minutes en apesanteur et détacher leur ceinture pour flotter dans l’habitacle. Si une maquette avionique a déjà été éprouvée en soufflerie et si les tests moteurs se multiplient dans les usines allemandes d’Astrium, le constructeur reste assez discret sur le coût du projet (entre 1 et 2 milliards d’euros) et sur une éventuelle date de vol inaugural (pas avant 2020). Une stratégie à l’inverse de la communication à outrance de Virgin, que d’autres concurrents ont aussi adoptée. Comme, par exemple, Jeff Bezos, le célèbre fondateur d’Amazon et nouveau propriétaire du Washington Post, dont la société Blue Origin conçoit ainsi dans le plus grand secret le New Shepard, une capsule réutilisable. Dans le firmament, le silence est le plus sûr moyen d’avancer à grands pas.
Indéniablement, le tourisme spatial en sera un pour l’ensemble de l’humanité.
B. D. C.
Le Vif
dimanche 18 août 2013 à 10h44
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