(Agence Science-Presse) Tout le monde veut une société du savoir, mais personne ne voit la même à l’horizon.
Certains politiciens se sentent par exemple autorisés à imposer leur vision du type de recherche qui devrait être financé, quitte à court-circuiter les organismes subventionnaires formés d’experts. Les experts de leur côté, aimeraient bien faire comprendre aux politiciens pourquoi leur domaine de recherche mériterait plus de sous. Cette incompréhension est une des motivations derrière des initiatives « science et politique » qui ont fleuri ces dernières années en Amérique du nord. Les étudiants de l’Université McGill tenaient ainsi vendredi leur deuxième « Dialogue sciences et politiques » annuel, dont le but, comme l’indique le titre, est de créer un dialogue entre ces deux planètes qui s’ignorent trop souvent.
Dialoguer, tout le monde est d’accord. Mais jusqu’à quel point, a demandé le président de l’Acfas, Pierre Noreau, en ouvrant la journée. « Il y a un risque si les scientifiques en arrivent à parler le langage des politiciens pour faire financer leur recherche. Parler lobbying, rentabilité... Le jour où ils commencent à parler le langage des politiciens plutôt que celui de la science, l’indépendance de la science est menacée. »
Des propos appuyés par Yves Gingras, sociologue des sciences à l’UQAM, qui a rappelé l’épisode de l’Institut Périmètre, en Ontario, ce centre de physique théorique qui a eu droit cette année à un cadeau de 50 millions$ du gouvernement conservateur. Pas parce qu’il avait fait la démonstration que sa science était meilleure que celle des autres, mais manifestement parce qu’il y a eu, en arrière-plan, un excellent lobby.
Et des propos à leur tour renforcés par le sociologue Anton Allahar, de l’Université Western Ontario, pour qui l’université devient de plus en plus « corporatisée », vouée à la course aux contrats avec l’entreprise privée.
Mais tous les étudiants présents n’étaient pas du même avis —le congrès a été créé l’an dernier par des étudiants aux cycles supérieurs, et il est entièrement organisé par eux. La présence du secteur privé est au contraire bien accueillie par certains, inquiets de leur avenir. Dans mon domaine, est par exemple venue dire une étudiante lors de la période de questions, on n’a pas le choix que d’accepter le financement de l’industrie pharmaceutique. « Si on refuse, on n’a pas de job », ajoute-t-elle tout en prenant la peine de souligner qu’elle est « anti-commercialisation ».
Une précaution oratoire que n’a même pas utilisée celui qui la suivait au micro, un étudiant en chimie à McGill, qui a reproché à Anton Allahar d’être « décroché de la réalité » : si je suis dans cette université, a-t-il dit en substance, c’est pour obtenir un service, celui de m’aider à décrocher un job. Applaudissements de la moitié de la salle.
L’étudiant serait donc désormais un client, lui a répliqué en substance le sociologue ontarien, et l’université aurait des comptes à lui rendre comme si elle était une simple compagnie avec laquelle un consommateur a signé un contrat. C’est là une perception qui aurait été impensable il y a seulement 20 ans, et qu’il faut combattre farouchement, a-t-il insisté. Applaudissements de l’autre moitié de la salle.
Les deux visions sont-elles conciliables? Il le faudra bien, sans quoi tous ceux qui sont lancés dans des recherches dénuées de commercialisation, comme l’astrophysicienne Victoria Kaspi, risquent de passer un mauvais quart d’heure. « La curiosité intellectuelle est fondamentale à la civilisation », a-t-elle lancé. Difficile d’être en désaccord, dès lors qu’on promeut une société du savoir, mais laquelle?
Audio: Entrevue avec Ameur Manceur, doctorant en sciences végétales à McGill et président du congrès (23 sept. 2011, 3 min)
Pascal Lapointe, le 23 septembre 2011, 23h10
http://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2011/09/23/societe-savoir-laquelle
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire