LE PLUS. Le Figaro écrivait récemment que certains, dans l'entourage de Nicolas Sarkozy, jugeaient qu'il y avait "trop de femmes enseignantes". La sociologue de l'éducation Marlaine Cacouault tient à rappeler quelques vérités, chiffres à l'appui.
La présence majoritaire des femmes dans l’enseignement primaire suscite des interprétations qui méritent d’être corrigées en s’appuyant sur des faits.
Une école primaire du Mans, en 2009 (GILE MICHEL/SIPA)
Contrairement aux idées reçues, le taux de féminisation est déjà élevé, 62 %, en 1923. La figure du "maître" domine jusqu’à la dernière guerre, elle est étroitement liée à la politique de la Troisième République qui institue l’école obligatoire, laïque et gratuite.
Cependant, l’attachement des institutrices à leur métier a été souligné par les historien-ne-s, certaines ont assumé des responsabilités politiques et syndicales, même au cours de périodes troublées. Aujourd’hui, les professeures des écoles représentent plus de 80 % des enseignants dans le pré-élémentaire et l’élémentaire et l’image du métier "féminin" s’est imposée.
Et les hommes dans tout ça ?
Pourquoi les hommes boudent-ils une profession dont le niveau de qualification s’est élevé, qui procure une sécurité une fois la titularisation obtenue, et qui, au regard de l’attention accordée aux enfants dans la société, fait partie des métiers utiles et stimulants ? Certes, le salaire a plutôt décru, mais les avantages cités pourraient jouer un rôle de compensation. Nous nous bornons ici à dégager quelques pistes de réflexion.
1. Tout d’abord, les filles et les garçons s’orientent différemment dans le supérieur. Les premières fréquentent plus souvent des filières susceptibles de les conduire vers l’enseignement : elles forment environ 70 % des effectifs en lettres, langues, sciences humaines et sociales, plus de 60 % en Sciences de la nature et de la vie… Le recrutement s’effectuant par concours, une bonne réussite scolaire et universitaire est nécessaire.
Or, les garçons dont les performances dépassent la moyenne, sont souvent freinés par les parents et les professeurs lorsqu’ils souhaitent s’engager dans des études "littéraires" et (ou) dans le professorat. Des hommes manifestent un recul par rapport à un milieu de travail féminisé, au sens quantitatif et qualitatif.
2. La dynamique du genre joue dans l’espace professionnel et privé : on incite les filles à penser qu’elles doivent adapter leur vie professionnelle à une vie familiale dont la responsabilité leur incombe. Le professorat des écoles apparaît alors dans presque tous les milieux sociaux comme un idéal, d’autant plus que les mères instruites sont tenues pour responsables, aussi, de la carrière scolaire des enfants.
3. Enfin, l’accent mis sur les affaires de pédophilie semble écarter des hommes de l’enseignement "maternel" et primaire. Il y aurait des tendances contradictoires à l’œuvre dans la société, d’un côté une volonté d’associer les pères à l’éducation des jeunes enfants, de l’autre un préjugé à l’égard des femmes, toujours plus légitimes dans ce domaine.
Si ces raisons sont à prendre en compte pour expliquer l’hyperféminisation du premier degré, il ne s’agit pas d’adopter un point de vue misérabiliste.
Les niches "masculines"
Les professeures des écoles sont attirées par un métier qui suppose une autonomie, la possibilité de se renouveler, un intérêt pour le développement et l’épanouissement de l’être humain. Elles se trouvent bien souvent en première ligne pour lutter contre les fermetures d’écoles. Mais dans l’enseignement comme dans d’autres secteurs, les hommes cherchent à occuper des niches "masculines" : ils sont sur-représentés dans les postes de directeur d’école ou d’inspecteur.
Dans le second degré, 57,7 % des enseignants sont des femmes. La parité existe chez les agrégés (51,6 % de femmes), le taux de féminisation s’élève chez les certifiés (61,4 %). Les professeurs des classes préparatoires aux grandes écoles (peu nombreux au demeurant) font une place restreinte aux enseignantes (31, 6 % des effectifs).
En résumé, la spécialisation dans la discipline et l’âge des élèves ont pour effet de maintenir une proportion notable d’hommes dans la profession, ces derniers essayant d’obtenir les postes les plus prestigieux ou les plus masculins : les hommes certifiés sont sur-représentés dans les lycées et les femmes agrégées dans les collèges. Les proviseurs comptent une majorité d’hommes à la différence des adjoints.
(F.LEPAGE/SIPA)
Néanmoins, la procédure du concours, que d’aucuns seraient prêts à abandonner aujourd’hui, est protectrice pour les femmes et leur ouvre des perspectives de carrière. Les concours internes ont offert à certaines, qui n’avaient pas donné toute leur mesure dans leur jeunesse (le mariage, les enfants, le militantisme… les avaient détournées pour un temps de l’agrégation ou du CAPES) l’occasion d’approfondir leurs connaissances (ce qui ne peut nuire aux élèves) et de valoriser leur expérience pédagogique.
Les disparités entre disciplines (plus de 80 % de femmes en langues vivantes, 42,5 % en physique-chimie, 38,7 % en philosophie) renvoient à des processus d’orientation déjà évoqués et aux représentations genrées des savoirs.
Rappelons pour finir, que le travail à temps partiel concerne une minorité de professeures du secondaire, ce qui montre non seulement l’intérêt pour la profession, mais encore le besoin de percevoir un plein salaire… Certes, une partie des enseignantes sont mariées à des "cadres", le divorce concerne toutefois toutes les couches de la société et les conjoints ne sont pas à l’abri des accidents de parcours.
Chassons définitivement de nos têtes l’idée que les enseignantes du primaire et du secondaire travaillent pour gagner un "salaire d’appoint" ! Cela nous conduira à voir d’un autre œil le travail des femmes en général.
Par Marlaine Cacouault Sociologue
Edité par Hélène Decommer Auteur parrainé par Julie Rasplus
Modifié le 19-09-2011 à 18h15
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/194451;la-feminisation-de-l-enseignement-en-france-des-faits-et-des-prejuges.html
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