dimanche 12 mai 2013

Évaluer différemment les élèves : l’exemple danois

Pas de notes avant 15 ans, pas de palmarès des établissements, des examens qui privilégient les projets ou les travaux inédits, l’utilisation généralisé des TIC dans l’évaluation : le Danemark présente une série de caractéristiques susceptible de faire réfléchir sur les relations entre l’apprentissage et les évaluations scolaires.

Ce n’est certainement pas un modèle à recopier (les écoles était d’ailleurs ces derniers jours bloquées par un conflit entre les enseignants et les municipalités) mais il a le mérite d’aider à faire bouger les lignes et de considérer différemment des traits de notre système considérés comme naturels voire inhérents à toute situation scolaire.

En France, toute réforme des modalités du Bac semble porter atteinte à la civilisation (universelle, cela va de soi), dévaluer les diplômes ou menacer l’équilibre des savoirs. De ce point de vue, il est pour le moins salutaire de voir qu’un pays comme le Danemark, qui n’est ni une contrée du tiers-monde ni un pays exotique loin du coeur de l’Europe, développe des pratiques d’évaluation différentes !

Une école qui n’était pas obsédée par l’évaluation

L’équivalent de notre “école du socle commun” est la “Folkeskole”, qui comprend l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire inférieur (collège), dans un parcours de dix ans (dont un an de pré-scolaire au début).

Cette école obligatoire rassemble 600 000 élèves, encadrés par 51 000 enseignants (un peu moins de 19 élèves par classe).

C’est un système décentralisé, organisé autour de 1605 écoles pilotées par 98 municipalités, qui repose largement sur la confiance et fonctionne sans système d’inspection : l’évaluation se situe traditionnellement à un niveau local.

Concernant l’évaluation des élèves, la situation est tout aussi étonnante aux yeux d’un observateur français, puisque les danois ne connaissent pas les notes avant le grade 8, qui correspond à l’âge de 15 ans ! Revers de la médaille, personne, à part les enseignants dans leur classe, ne sait trop ce qui se passe entre le grade 1 et le grade 9.

A noter, par ailleurs, que la notation suit une échelle de 7 points (détail sur le site du ministère)

Au tournant des années 2000, les inévitables résultats PISA (jugés décevants) ainsi qu’une étude de l’OCDE poussent le gouvernement à prendre des mesures pour améliorer la culture de l’évaluation dans le système. L’objectif est surtout d’améliorer le taux de poursuite d’études dans l’enseignement supérieur, afin que 95% des élèves poursuivent leur formation au delà de l’enseignement secondaire.

C’est ainsi que des tests nationaux ont été mis en place en 2008 pour suivre les acquis des élèves au cours de la scolarité dans les grands domaines (danois, anglais, mathématiques, géographie, biologie, physique-chimie).

Tout ces tests se déroulent par ordinateur et sont adaptatifs : les questions proposées s’adaptent aux réponses des élèves. Ainsi, une réponse incorrecte amène une question plus facile, et une réponse correcte, une question plus difficile.

Les résultats restent confidentiels. Ils ne sont publics qu’à leur niveau national agrégé et ne sont communiqué qu’à la famille, sans les résultats au niveau de la classe ou de l’école, pour éviter toute dérive en terme de palmarès. L’objectif est de n’utiliser les tests que comme un outil pédagogique pour les enseignants, en vue d’adapter leurs pratiques, si nécessaire.

Des livrets de suivi des élèves (student plans) ont également été introduits, prévoyant au moins une évaluation par an dans toutes les matières (sans que la forme de cette évaluation et son inscription dans le libre ne soient imposés au niveau national). Un dispositif qui semble mal vécu par les enseignants, qui y voient une routine administrative pesante et sans grande utilité.

Des examens qui valorisent les compétences plus que la répétition

Le “Gymnasium” est l’équivalent de notre lycée (245 établissements très autonomes), au niveau de l’enseignement secondaire supérieur. Ces trois années sont organisées dans la voie générale, commerciale ou technique, suivies par 65% d’une génération (139 000 élèves) dans des classes qui regroupent en moyenne 28 élèves. Les élèves reçoivent trois notes par sujet en moyenne, ainsi qu’une note finale quand la matière est terminée.

Au moment de la sortie du lycée, une évaluation externe et centralisée intervient dans 7 domaines : 5 obligatoires (danois, mathématiques, anglais, chimie et sciences) + 2 domaines choisis chaque année de façon aléatoire par le ministère la veille de l’épreuve nationale (autrement dit, pas d’impasse possible…). Comme certaines matières font également l’objet d’un examen à l’oral (anglais, chimie…), chaque élève passe au total 9 examens.

On pourrait dire que les points de similarité avec notre baccalauréat s’arrêtent ici. Les examens danois sont en effet considérés comme des épreuves de compétences plus que de mémorisation ou de répétition. Elles privilégient par exemple des travaux sur des textes que les élèves n’ont jamais eu l’occasion d’étudier durant la scolarité ou sur des périodes historiques qui ne figurent pas au programme.

En outre, l’élève peut recourir à tous les types d’aide, y compris des ouvrages ou des ordinateurs. D’ailleurs, l’ordinateur personnel est d’usage courant. La seule limite est l’interdiction de communication, hormis dans certains cas. De toutes façons, sauf rares exceptions (certaines formules de mathématiques par exemple), la structure des examens fait qu’il n’y a pas de “bonnes” réponses toutes faites à recopier.

Ces examens terminaux peuvent prendre des formes extrêmement diversifiées :
sujet pluridisciplinaire avec interrogation orale par différents enseignants;
examen écrit de 4 à 5 heures avec accès à Internet;
15 à 20 pages de dissertation écrite sur un projet spécialisé, à faire en deux semaines;
examen oral en groupe, avec notation individuelle;
examen oral individuel avec 30 mn de préparation….ou 24 heures !;
examen oral de présentation de projet, avec questions aléatoires de type “grand oral” sur d’autres sujets.
L’ordinateur et Internet en voie de banalisation dans les examens

L’utilisation des TIC est d’ailleurs centrale dans les pratiques d’enseignement et d’apprentissage au Danemark, qui est allé assez loin en matière de culture numérique pour assurer l’alignement entre les pratiques, les objectifs pédagogiques et les modes d’évaluation.L’utilisation d’Internet pendant les examens a donné l’occasion de divers articles en Europe ( cf. article de Charles Brisson sur Thot-Cursus).

Dès 1997, l’ordinateur était autorisé dans les examens écrits des voies commerciales et techniques, puis généralisé en 2000 dans toutes les filières (98% des élèves utilisaient alors déjà un PC dans les examens écrits de la voie commerciale).Depuis 2001, des sujets sont donnés via CD-Rom, les devoirs écrits peuvent être réalisés sur traitement de texte (ou excel) et la copie à rendre imprimée.

Enfin, depuis 2008, l’usage d’Internet se répand au niveau des examens, avec les premiers sujets permettant l’accès en ligne en 2010 dans certaines matières (danois, mathématiques, sciences sociales, économie…) et, à partir de 2014, les examens d’anglais également.

Il pourra s’agir, en l’occurrence, non plus de réaliser une traduction ou un thème, car dans ce cas là le recours aux outils Internet videra l’épreuve de son sens, mais de comparer par exemple la pertinence de trois traductions proposées par les services en ligne et d’étayer son argumentation !

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Aller plus loin : présentation en anglais du système danois sur le site du ministère.
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Cet article a été écrit suite à la conférence de la présidence Irlandaise de l’Union européenne “Better Assessment and Evaluation to Improve Teaching and Learning“, dans le cadre d’une visite d’études du réseau européen sur les compétences clés KeyCoNet.

Par Olivier Rey
24 avril 2013

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