samedi 25 mai 2013

Un rapport du Sénat sur le métier d’enseignant à (re)lire

Il y moins d’un an est sorti un rapport du Sénat sur le métier d’enseignant, ce rapport commencé en janvier 2012 a été rendu en juillet 2012[1].

Ce rapport imposant de 133 pages est le fruit du travail d’une mission d’information composée d’une quinzaine de sénateurs de toutes tendances politiques et dirigée par Mme Gonthier-Maurin, sénatrice PCF, au nom de la commission culture du sénat. Cette mission a auditionné une cinquantaine des personnes (chercheurs, chargé d’études de l’IFE, responsables de l’Education nationale, syndicalistes). L’intérêt de ce rapport est d’avoir été publié lors d’un changement de majorité politique. En plus de l’observation de la dégradation des conditions du métier d’enseignant ce rapport comportait des propositions. Il est donc intéressant de voir ce qu’il est advenu de ces propositions un an plus tard avec un nouveau ministère.

Un métier dégradé à refonder

Le rapport reprend les analyses de nombreux chercheurs dont Françoise Lantheaume (Université Lyon 2) sur la souffrance ordinaire des enseignants et le rapport insiste sur le fait que la difficulté des enseignants n’est pas un problème personnel mais qu’il faut soigner le métier pour ne pas avoir à soigner les individus. Parmi les facteurs de ce « travail empêché » les auteurs notent la multiplication des évaluations et la solitude croissante face à cette pression évaluative. Le rapport s’appuie sur les travaux du CNAM (Yves Clot et Jean-Luc Roger) qui montrent que les dilemmes professionnels sont de plus en plus nombreux pour les enseignants. Le rapport cite aussi une enquête de la MGEN de 2011 qui montre que sur 5000 agents de l’éducation nationale 24% sont en état de tension alors que ce taux est de14% chez les autres cadres. Ce malaise est accentué par le fait que l’Education nationale ne compte qu’un médecin pour 18 000 enseignants. Les enseignants manquent de reconnaissance de leur hiérarchie et du public. De même, l’appui de l’inspection, parasitée par l’objectif de faire appliquer les instructions, est trop rare. Les fins de carrières sont problématiques et les enseignants sont confrontés à l’injonction d’innover et dans le même temps ils subissent des prescriptions normatives.

Tout ceci abouti à l’exacerbation des conflits au sein des établissements et comme le montre les travaux d’Anne Barrère (Université Paris V) chaque acteur voit ses difficultés niées par les autres. Les conseils d’administration et les conseils pédagogiques ne sont pas des espaces de dialogue. Le rapport annuel du médiateur de l’Education nationale montre ainsi que les réclamations concernant des conflits entre direction et enseignants ont augmenté de 12% entre 2000 et 2010. De même la Fédération des Autonome de Solidarité enregistre une hausse des signalements, de la part des enseignants, de harcèlement.

La suppression de 70 600 postes entre 2006 et 2012 a non seulement fait disparaître la scolarisation des moins de 3 ans mais aussi exacerbé la pression sur les enseignants. De plus, la gestion, par académie, des suppressions de postes a abouti à des inégalités. Les suppressions de postes ont dû être compensées par un recours démesuré et onéreux aux heures supplémentaires (plus d’un professeur sur deux fait des heures supplémentaires dans le second degré). Enfin l’accumulation de réformes et de responsabilités alourdit le travail des enseignants. Les professeurs ne sont pas forcément hostiles au changement mais leur réticence naît plutôt du sentiment que le « bout de la chaîne » éducative n’est pas pris en compte lors de la conception des réformes, comme si la réalité de leur travail et de leur expertise étaient niées. Le rapport prend l’exemple de l’évaluation par compétences qui a été plaquée et qui devient un livret à cocher chronophage. Le rapport site aussi le programme CLAIR, soi-disant expérimental qui a été étendu sans évaluation[2] ou la réforme du lycée professionnel en trois ans qui ne convient pas à la majorité des élèves. La rapporteure note que ces deux réformes négatives ont touché principalement les élèves issus de milieux populaires. La réforme de la formation des enseignants accentue le malaise. La masterisation, qui couple le master 1 et le concours, pose problème. Le budget des IUFM intégré à l’université devient la variable d’ajustement et les stages sont devenus problématiques. Les enseignants stagiaires sont souvent envoyés en éducation prioritaire.

Logiquement le rapport préconise l’arrêt de la RGPP et de la suppression de postes en annonçant un plan pluriannuel de recrutement. Il faut remettre à plat la formation des enseignants pour une refonte partagée de la masterisation. Il faut redonner sens à l’école en mettant la prévention des difficultés d’apprentissage au cœur de la formation des enseignants avec la remise en place de l’alternance lors de l’année de stage. Le rapport préconise aussi la mise en place de dispositifs de pré-recrutement pour reconstituer le vivier des professeurs et sécuriser le parcours des étudiants. Il faut redéfinir l’articulation du master et du concours en étendant l’admissibilité sur trois ans pour laisser le temps de valider le master aux étudiants. Les auteurs proposent aussi de dynamiser la formation continue tout au long de la carrière, d’aménager la fin des carrières car les recherches des ergonomes montrent que l’expérience accumulée par les professeurs ne permet pas, à elle seule, d’amortir les effets du vieillissement. Le rapport invite aussi la création de collectifs d’enseignants hors de logiques hiérarchiques comme ceux suivi par le CNAM. Cela permettrait de préparer les futures réformes dans la concertation avec des enseignants reconnus comme experts de leur métier. Concernant l’évolution du statut des enseignants, elle doit se faire par une amélioration des conditions de travail et la fixation d’un horaire hebdomadaire devant élève doit rester la norme, qui peut être aménagé en éducation prioritaire.

Un rapport toujours d’actualité

Ce rapport n’a pas été voté par le groupe UMP qui défend le bilan du gouvernement précédent. Toutefois il est à noter que la contribution de ce groupe, auquel participe Jean-Claude Carle[3], rejoint le rapport sur le fait que le double regard de l’inspecteur et du chef d’établissement est en effet la garantie d’une notation équilibrée alors que l’une des dernières décisions du gouvernement avait été de supprimer cette double notation. Cette contribution propose aussi d’empêcher l’affectation d’enseignants néo-titulaires en éducation prioritaire. La parution de ce rapport, dans l’été, n’a pas suscité beaucoup de réactions. Le groupe de recherche sur la démocratisation scolaire salue son approche globale voire anthropologique du travail enseignant[4]. Par ailleurs, quelques semaines après, est paru le rapport de l’Inspection générale sur les composantes de l’activité enseignante hors la classe qui rejoint le rapport du Sénat sur l’alourdissement du travail enseignant et la possibilité d’aménager les horaires des enseignants en éducation prioritaire[5]. Le café pédagogique souligne les apports sur la difficulté du travail enseignant mais regrette que le rapport passe vite sur l’évolution des missions des enseignants. Cet article du café pédagogique a suscité depuis quelques réactions[6]. En effet, entre temps le nouveau ministre de l’Education a annoncé le recrutement de 60 000 enseignants et la mise en place des Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Education répondant ainsi au vœu du rapport du Sénat. Mais en ce qui concerne le malaise des enseignants, très bien décrit par le rapport, peu de choses ont été faites et cela explique en partie que la refondation de l’école se soit heurtée au refus de la part d’enseignants de la réforme des rythmes scolaires. Soigner le métier d’enseignant reste donc une urgence.

[1] http://www.senat.fr/notice-rapport/2011/r11-601-notice.html

[2] voir à ce sujet http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/education-prioritaire/eclair-un-rapport-critique-de-linspection-generale

[3] Auteur depuis d’un projet alternatif de refondation de l’Ecole http://www.ump-senat.fr/IMG/pdf/j-c_carle_un_projet_alternatif_de_refondation_de_l_cole_1_.pdf

[4] http://www.democratisation-scolaire.fr/spip.php?article148

[5] http://centre-alain-savary.ens-lyon.fr/CAS/nouvelles-professionnalites/un-rapport-prudent-des-inspections-generales-sur-le-travail-des-enseignants-hors-de-la-classe

[6]http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/06/21062012Article634758580270184867.aspx

Par Marc Jampy

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