Les entreprises ont depuis longtemps mis en place une gestion de leurs compétences. Mais du côté des écoles et des universités, les talents des étudiants restent encore très flous et le travail des recruteurs s'en ressent. Pour améliorer la visibilité des compétences de leurs diplômés, les établissements français se lancent donc dans l'"approche par compétences".
"A l'issue de leur formation les jeunes sont préparés à répondre aux questions 'qu'avez-vous appris' mais pas à la question 'que savez-vous faire'". Ce constat ne vient pas d'un recruteur, mais de la ministre de l'Enseignement supérieur Valérie Pécresse qui, ces derniers temps, a fait de l'introduction d'un référentiel de compétences dans les licences universitaires son cheval de bataille.
Une idée venue des entreprises
Les compétences, à travers leur gestion, se sont développées dans les grandes entreprises à partir des années 90. Elles commencent aujourd'hui à faire parler d'elles dans l'enseignement supérieur, qui parle lui d'"approche par compétences" (APC). Le mouvement est encore discret, mais l'on y entend de plus en plus être évoqué le sacro-saint triptyque "savoir, savoir-faire et savoir-être", quand on pensait que l'école n'avait la charge que du premier, voire du second. Il ne s'agit pas d'instaurer dans les établissements une GPEC (Gestion prévisionnelle des emplois et compétences) qui s'appliquerait aux étudiants. "Si la démarche compétence dans l'enseignement supérieur est en partie inspirée de ce qui se fait dans le monde de l'entreprise, il n'est pas question de dupliquer tels quels ses outils et surtout l'objectif n'est pas le même", explique Christelle Havard, enseignant chercheur à l'ESC Dijon, en charge avec Fabrice Galia de l'élaboration et de la mise en place de la démarche "Building up Skills for Business" (BSB) pour son école. "La démarche compétence dans une école s'applique à sa mission : former des étudiants dotés de connaissances et de compétences définies et faire en sorte que les étudiants soient conscients qu'ils les possèdent", expose-t-elle.
Un mouvement de fond
La question de l'approche par compétences dans l'enseignement, qui se pose de plus en plus en France, n'est pas déconnectée du contexte international. Ainsi le Canada, l'Angleterre ou, plus récemment, la Belgique ont mis en place des processus d'APC dans leur formation. La commission européenne a également institué le principe de "compétences de base" visant à améliorer la mobilité étudiante et professionnelle dans l'Union Européenne. D'une certaine manière, les organismes accréditeurs de l'enseignement supérieur incitent également les établissements à mettre en place ce type de démarches. "Pour les écoles de commerce, l'AACSB demande de définir des objectifs d'apprentissage (learning goals), tandis que l'EFMD désire connaître pour une formation ses "intending learning outcomes"", signale Christelle Havard. Du côté des écoles d'ingénieurs, la CTI (Commission des Titres de l'Ingénieur) s'est déclarée "favorable à l'approche compétences" et "encourage les écoles dans cette voie".
Un sommet du dialogue écoles entreprises
L'arrivée de l'approche par compétences dans les écoles de commerce et d'ingénieurs, et même dans l'université, a sa place dans le débat plus large de la professionnalisation des formations et de leur adéquation avec les besoins des entreprises. "Lorsque la démarche BSB a été initiée à l'ESC Dijon, l'école avait déjà des relations existantes avec les entreprises, mais qu'elle souhaitait renforcer", se souvient Christelle Havard, "ceci était une autre façon de voir si nos formations répondaient à leurs attentes". Cette opinion est partagée par Noël Bouffard, directeur délégué de Sopra Group, co-président de la commission formations spécialisées de l’Association Pasc@line* avec Alain Ayache, le Directeur de l’Ecole INP- ENSEEIHT. Au sein de cet organe de réflexion, tous deux mènent depuis 2006 un travail important sur l'approche compétences avec les écoles d'ingénieurs membres de l'association. "L'approche compétences est un moyen pour les écoles de tisser des liens encore plus forts avec les entreprises", estime ainsi Noël Bouffard, "ceci fait partie d'un mouvement plus large, par exemple de plus en plus d'écoles ont intégré des représentants des entreprises dans leurs conseils de perfectionnement". Dernier point souligné par Fabrice Galia : "la mise en place d'une démarche compétences se fait au service des étudiant, afin de renforcer leur intégration sur le marché du travail, en leur faisant comprendre que le diplôme seul ne suffit pas". "C'est l'étudiant qui doit être le premier gagnant de l'approche compétences", complète Noël Bouffard, "il est important qu'il connaisse les règles de l'entreprise où les collaborateurs sont notamment évalués sur leur compétences". La démarche compétences se présente donc comme un service dirigé vers l'étudiant, qui lui permettra de mieux se connaître et d'utiliser cet outil tout au long des différentes étapes de son parcours : orientation, choix d'une spécialisation, recherche d'emploi, entretiens de recrutement, voire même meilleure gestion de sa carrière professionnelle.
Où se cachent les compétences ?
La réflexion sur les compétences commence par une définition de ce que l'on attache à ce terme. L'association Pasc@line, dans un livre blanc consacré à ce sujet, définit la compétence comme "la capacité à mobiliser un certain nombre de ressources personnelles ou externes pour pouvoir agir efficacement dans une situation professionnelle". Fabrice Galia et Christelle Havard ont abouti à une définition** proche de celle-ci, à laquelle s'ajoute une notion de validation par un tiers. "Les connaissances mobilisent des ressources strictement cognitives, tandis que les compétences ne concernent pas que du cognitif, elles vont se traduire par une action", complète Christelle Havard, avant d'illustrer cette notion par l'exemple d'un responsable commercial. "Celui-ci avant et après la signature d'un contrat devra mobiliser sa culture générale, afin de pouvoir mener une conversation avec son client et créer une relation de confiance".
Améliorer l'adéquation de la formation et des besoins des entreprises
Une étape importante est ensuite de définir les compétences qui peuvent être développées dans un programme de formation, afin d'établir un "référentiel de compétences" qui lui correspondra. Cette élaboration implique à la fois les entreprises, qui formulent les compétences qu'elles attendent, et l'école et son corps professoral, qui doivent identifier les compétences développées dans le cursus. Pour élaborer le référentiel de compétences de son Programme Grande Ecole, l'ESC Dijon a interrogé 34 entreprises. De ce travail est ressorti une forte attente de celles-ci pour des compétences comportementales, au premier rang desquelles la capacité à s'adapter, à travailler en équipe et l'intelligence et les capacités relationnelles. En prenant également en compte les objectifs du programme, les deux enseignants chercheurs ont établi un référentiel structuré en trois catégories : des connaissances génériques (comme "connaître l'environnement économique, juridique et politique de l'entreprise"), des aptitudes comportementales et personnelles génériques (comme "faire preuve d'ouverture d'esprit et d'intégrité"), des compétences métiers, correspondant à chaque spécialisation du programme (comme "banque et gestion de patrimoine" dans la spécialité finance).
Une nouvelle approche pédagogique
L'observateur pourrait se demander si cette nouvelle mission d'acquisition de compétences, notamment de compétences comportementales, ne demande pas de revoir totalement la pédagogie des établissements. "Dans le cadre des cours classiques, l'étudiant va développer avant tout des connaissances" expose Christelle Havard, "néanmoins un programme de type Grande Ecole n'est pas constitué seulement de cours, les étudiants vont aussi participer à des stages, une pédagogie par laquelle l'école associe les entreprises au développement de ces compétences". Avec Fabrice Galia, elle a identifié cinq actions pédagogiques clefs : les cours, les stages / apprentissage, l'international, les expériences en mode projet ou en équipe et le "travail de réflexion approfondie en fin d'études". Une approche par compétences demande ainsi de s'éloigner en partie du cours magistral. Quant aux écoles d'ingénieurs, si les stages sont communément répandus, le travail en mode projet, inexistant en classes préparatoires, est encore rare en écoles d'ingénieur. Dans un contexte ou les volumes horaires ne sont pas extensibles à l'infini, les enseignements théoriques devraient donc céder un peu de place à ces nouveaux apprentissages. "Dans tous ces processus, l'aspect "conduite du changement est donc très important", souligne Noël Bouffard.
Evaluer les compétences
"L'évaluation et la plus difficile à mettre en place", signale Noël Bouffard, "elle ne s'élabore pas en même temps que le référentiel et n'est mis en œuvre que deux à trois années après". L'évaluation de compétences ne peut en effet pas être élaborée comme celle des connaissances, notamment dans le cas de l'acquisition de compétences comportementales et de savoir-être tels que l'ouverture d'esprit, la créativité ou encore l'humilité. Chritelle Havard et Fabrice Galia, confrontés à la problématique de l'évaluation des compétences, disent avoir essayé de faire "quelque chose de simple et identifiable, en mobilisant énormément les ressources de terrain". Dans le cadre de leur démarche BSB, c'est notamment le stage qui a été retenu comme moment privilégié d'évaluation. "C'est durant cette période particulière que les étudiants vont mettre en application leurs compétences et c'est le moment le plus opportun pour l'évaluation, avec le regard extérieur du tuteur de stage". Lors d'un entretien à la fin du stage, l'évaluation sera notamment réalisée grâce à une grille de compétences que le tuteur et l'étudiant devront remplir ensemble, en appréciant si le stagiaire maîtrise "peu", "moyennement" ou "fortement" une compétence ou si celle-ci était "non pertinente" pour son poste. "En début de stage l'étudiant est chargé d'expliquer le principe de cette grille d'évaluation à son entreprise, il est important également qu'il sache qu'il n'a pas besoin de toutes les compétences du référentiel dans tous les domaines", complète Fabrice Galia.
L'étudiant doit prendre conscience de ses compétences
L'auto-évaluation de ses compétences par l'étudiant lui-même est un volet considéré comme indispensable afin que celui-ci s'approprie cet outil qui lui est proposé. Une démarche compétences n'a d'utilité que si l'étudiant est conscient des compétences qu'il possède. Audencia est à ce titre une des écoles qui est allée le plus loin dans cette démarche d'appropriation par les étudiants, en leur demandant de passer un "Grand Oral de compétences", obligatoire à la fin de leur cursus. A l'ESC Dijon, où les compétences de chaque étudiant seront répertoriées sur une plate-forme virtuelle dénommée "Skills Book", cette démarche n'est pas obligatoire mais "fortement incitée". Les étudiants devront avoir renseigné la plate-forme lorsqu'ils prendront rendez-vous avec le centre d'orientation et d'insertion professionnelle de l'école. "La démarche compétences est une proposition d'outil qui demande une responsabilisation de la part des étudiants, elle ne prendra sa valeur ajoutée que si les étudiants se l'approprient", conclut Fabrice Galia.
* L’Association Pasc@line, créée en 2006, regroupe entreprises et établissement d'enseignement supérieur, avec comme objectif de promouvoir les métiers d’ingénieurs et de cadres dans le domaine des TIC.
** "Une compétence est un ensemble de connaissances et d'aptitudes comportementales et personnelles mobilisées pour agir dans un contexte de travail produisant des résultats validés par un tiers".
pcassuto | 02 juin, 2011 12:11
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