Il ne s’agit pas ici de révolutions politiques, mais des révolutions internet. Car il n’y a pas qu’une révolution numérique. Plusieurs bouleversements concourent à transformer le monde et nos connaissances. En outre, leur intégration contribue à l’exponentiation du changement.
Force m’est de conclure que les gens sous-estiment l’ampleur du changement qui défile sous nos yeux. Comme ces flâneurs de musée au nez collé sur une toile, ils ne perçoivent guère le tableau que seul permet le recul.
L’ordre est réfractaire au changement, sauf évidemment celui qui le consolide ou qu’il réussit à apprivoiser. S’il s’adapte aux mutations, on parlera de progrès ou d’évolution. Il se trouve des cas, toutefois, où le changement est si brusque que les tensions précipitent une révolution dont l’onde de choc ne s’estompe que progressivement. Non sans déchirements au passage, comme la charrue qui précède la semence.
Or, que se passe-t-il quand le chamboulement ne donne aucun signe de fatigue et qu’il s’étend, à l’instar de la révolution industrielle, sur plusieurs générations ? Ceux qui subissent la transformation numérique, comme c’est généralement le cas en éducation, ne s’exposent-ils pas à un décrochage technique, précurseur d’une aliénation fonctionnelle ? La fracture ne guette pas que les non-initiés, mais aussi les utilisateurs en proie à la fracture “au second degré” (La lettre ÉMÉRIT : La boîte noire des usages d’internet) [PDF].
Après seulement quelques décennies, le monde se trouve déjà métamorphosé par le numérique. Et le phénomène n’en est qu’aux balbutiements. Il tâtonne, explore, titube, rectifie, et grandit, quoique parfois délinquant.
John Naughton cerne bien l’ampleur des répercussions à venir en comparant le phénomène à l’imprévisibilité du chavirement initié par Gutenberg (The Observer : The internet : Everything you ever need to know) :
Invité à donner une conférence à l’inimitable événement qu’est Clair2011, où j’ai eu le plaisir d’entendre Sébastien Paquet, Laurence Juin et Daniel Peraya, il me semblait pertinent de brosser un tableau des révolutions concomitantes qui secouent nos sociétés, et des conséquences pour l’éducation. J’y développais plusieurs idées avancées au congrès de l’AQEUS en octobre. Je résume ici les principales révolutions que l’école doit intégrer, si elle désire rester pertinente.
Contre tourte attente, la loi de Moore tient la route. Ray Kurzweil, auteur notamment de The Singularity Is Near, fait des prévisions renversantes. Entre autres, que dans dix ans, la puissance informatique de mon ordinateur portable égalera celle de mon cerveau. Plus hallucinant encore, Kurzweil prévoit que dans moins de 50 ans mon ordinateur aura la puissance computationnelle de tous les cerveaux de l’humanité réunis (Kurzweil : The Law of Accelerating Returns).
L’accélération phénoménale de la miniaturisation et de la diversification des composantes numériques, tout comme la diminution des coûts de production, contribue à l’invasion du microprocesseur dans les objets. Y a-t-il encore un électroménager ou un appareil d’une quelconque complexité non muni d’une puce électronique ? L’avenir n’est pas si loin où les objets communiqueront entre eux, comme c’est actuellement le cas dans les voitures.
Dans ce contexte, le rôle de l’éducation ne se limite plus à acquérir des savoirs, mais d’apprendre à composer avec les outils de cognition, notamment ceux qui n’ont pas encore été inventés. Dès lors que nous manipulons des instruments de cognition, leur connaissance s’avère cruciale.
Pour la première fois, la production de masse n’est plus l’apanage des détenteurs de capitaux, comme durant la révolution industrielle. Plus besoin de machinerie lourde pour extraire le minerai, produire des matériaux et assembler les produits finis. Les moyens sont à portée de main de quiconque est mu par l’inspiration, le génie, et la volonté d’apprendre un langage de programmation. L’usine s’est métamorphosée en portable.
Nous assistons à l’essor d’une phénoménale productivité. Il suffit d’observer la panoplie d’applications développées pour les smartphones. Par ailleurs, nous sommes témoins d’une évolution fulgurante de l’intelligence artificielle, laquelle gagnera inévitablement les objets.
On me reprochera de ne pas reconnaître en l’intelligence artificielle une révolution en soi, particulièrement au regard des récents exploits de Watson. Il n’en demeure pas moins que l’intelligence artificielle, pour l’instant, reste le fruit d’une innovation numérique. Toutefois, l’on voit poindre des instruments qui disposent d’une faculté d’apprentissage (New York Times : Aiming to Learn as We Do, a Machine Teaches Itself). Dès lors que la machine peut apprendre par elle-même, il y a sans doute lieu de parler plutôt d’intelligence numérique.
Cette créativité n’influe pas que la production de logiciels. La démocratisation du pouvoir économique, pour ne pas dire du pouvoir d’expression, entraîne déjà une refonte de nos pratiques sociales, notamment politiques. À ce dernier sujet, voir les tentatives timides du Canada et de l’Australie, ou, l’essai plus théorique et visionnaire de Dominique Cardon (La vie des idées : Vertus démocratiques de l’Internet).
Dommage que l’école néglige la créativité. Les programmes scolaires, dans leur normalisation et dans l’uniformisation des connaissances, sont des laminoirs. On fera davantage, à l’échelle sociale, en misant sur l’essor de la potentialité individuelle. Pour l’élève surtout, le développement de la créativité est un meilleur gage d’épanouissement et plus sûre garantie d’avenir que la conformité.
Nous sommes passés de la consommation de médias à la production de médias, magnifiquement illustré par Brian Solis dans le Prisme de la conversation. Pour Eric von Hippel, l’auteur de Democraizing Innovation, l’innovation se retrouve désormais entre les mains des utilisateurs. Douglas Rushkoff résume bien le renversement : « L’internet ne permet pas seulement de distribuer l’information à des millions de gens, il permet à des millions de gens de distribuer l’information. »
L’exponentiation de l’information dépasse l’entendement. Lyman et Varian ont évalué qu’en la seule année 2002, on a produit plus d’information que durant les 5000 ans qui ont précédé (Berkeley : How Much Information ?). Plus récemment, Gantz et Reinsel ont estimé que la production de données numériques entre 2009 et 2020 augmentera 44 fois, propulsée entre autres par les appareils mobiles et les senseurs incorporés aux objets (IDC : The Digital Universe Decade – Are You Ready ? [PDF]). Pour se représenter l’état actuel des données accumulées, voyez l’infographie réalisée par Wikibon : The Rapid Growth of Unstructured Data.
Déjà, dans les années 1960, Marshall McLuhan observait que notre ignorance à savoir comment utiliser les nouvelles connaissances augmente exponentiellement. L’école d’aujourd’hui devrait prendre note que dans le flot immensurable des nouvelles connaissances, miser sur l’apprentissage des connaissances (au sens de connaissances déclaratives ou encyclopédiques) est une partie perdue d’avance. Le salut réside dans le « savoir comment utiliser les nouvelles connaissances », pour reprendre le constat de McLuhan. La métacognition ne concerne plus que l’objet du savoir, mais la méthode d’acquisition de ce savoir.
Le source libre a ouvert les vannes. Le partage gratuit de son travail, chose pourtant si naturellement communautaire, est facilité par la reproductibilité instantanée et sans coût réel des objets numériques. Comme une traînée de poudre, le mouvement s’est propagé à la science (open science data), à la recherche (open research), au savoir (open content) l’éducation (open education, open educational resources, Open University). Le phénomène n’en serait que plus ample s’il avait bénéficié du soutien des gouvernements, cultivant la richesse du bien commun comme l’entend l’économiste Yochai Benkler dans The Wealth of Networks.
Le phénomène est si nouveau et d’une telle ampleur que le vocabulaire peine à distinguer le réel du virtuel, cette dernière ayant imprégné la réalité. À tel point que dans cet univers numérique, certains conçoivent des applications de réalité augmentée. Quant à moi, depuis l’avènement d’internet, la réalité est déjà augmentée.
George Siemens y voit une nouvelle théorie de l’apprentissage baptisée le connectivisme. Siemens défend la thèse que le savoir est distribué à travers un réseau de connexions, et donc que l’apprentissage consiste à l’habileté à construire et naviguer ces réseaux. Considérant que les jeunes y baignent, l’école gagnerait à y puiser de nouvelles pratiques.
L’intégration scolaire des technologies de l’information et de la cognition illustre une incohérence, en ce qu’elle se fait dans le paradigme obligé de l’enseignement. Même les plus technopédagogiques ne le voient pas, tellement leur pensée opère dans un cadre institutionnel. L’intégration de ces instruments à des fins éducatives est déjà bien réelle, sauf qu’elle se fait malheureusement en marge de l’école. Or, si l’école ne sait comment intégrer les technologies de la cognition, celles-ci sauront intégrer l’école.
En dépit de la gravité de la situation, il est encore temps sans doute de repenser l’école à la lumière des technologies de la cognition. Le dossier Pernser l’école à l’ère du numérique contient un excellent débat auxquels ont participé Christian Laval, Philippe Meirieu, Denis Kambouchner et Bernard Stiegler, dont nous pourrons nous inspirer (Skole : École et société de la connaissance - vidéo - Débat Kambouchner, Laval, Meirieu et Stiegler).
En attendant l’inévitable révolution du système scolaire, il est certaines stratégies pédagogiques qu’on peut déjà adopter. On les trouvera dans la troisième partie du diaporama de la présentation à Clair2011.
NOTE : Cet article est une reprise d’un billet sur le blogue de l’auteur.
par mardi 28 juin 2011
Force m’est de conclure que les gens sous-estiment l’ampleur du changement qui défile sous nos yeux. Comme ces flâneurs de musée au nez collé sur une toile, ils ne perçoivent guère le tableau que seul permet le recul.
L’ordre est réfractaire au changement, sauf évidemment celui qui le consolide ou qu’il réussit à apprivoiser. S’il s’adapte aux mutations, on parlera de progrès ou d’évolution. Il se trouve des cas, toutefois, où le changement est si brusque que les tensions précipitent une révolution dont l’onde de choc ne s’estompe que progressivement. Non sans déchirements au passage, comme la charrue qui précède la semence.
Or, que se passe-t-il quand le chamboulement ne donne aucun signe de fatigue et qu’il s’étend, à l’instar de la révolution industrielle, sur plusieurs générations ? Ceux qui subissent la transformation numérique, comme c’est généralement le cas en éducation, ne s’exposent-ils pas à un décrochage technique, précurseur d’une aliénation fonctionnelle ? La fracture ne guette pas que les non-initiés, mais aussi les utilisateurs en proie à la fracture “au second degré” (La lettre ÉMÉRIT : La boîte noire des usages d’internet) [PDF].
Après seulement quelques décennies, le monde se trouve déjà métamorphosé par le numérique. Et le phénomène n’en est qu’aux balbutiements. Il tâtonne, explore, titube, rectifie, et grandit, quoique parfois délinquant.
John Naughton cerne bien l’ampleur des répercussions à venir en comparant le phénomène à l’imprévisibilité du chavirement initié par Gutenberg (The Observer : The internet : Everything you ever need to know) :
The first printed bibles emerged in 1455 from the press created by Johannes Gutenberg in the German city of Mainz. Now, imagine that the year is 1472 — ie 17 years after 1455. Imagine, further, that you’re the medieval equivalent of a Mori pollster, standing on the bridge in Mainz with a clipboard in your hand and asking pedestrians a few questions. Here’s question four : On a scale of one to five, where one indicates "Not at all likely" and five indicates "Very likely", how likely do you think it is that Herr Gutenberg’s invention will :(a) Undermine the authority of the Catholic church ? (b) Power the Reformation ? (c) Enable the rise of modern science ? (d) Create entirely new social classes and professions ? (e) Change our conceptions of "childhood" as a protected early period in a person’s life ?De tout temps, l’homme a composé avec de multiples relations : avec la nature (environnement), ses pairs (social), et ses outils (homo faber). Aujourd’hui, il est entraîné dans un monde galopant qui dépasse souvent sa capacité individuelle d’adaptation. Bien peu de gens sont prêts à surfer la vague qui va déferler (ReadWriteWeb : Google CEO Schmidt : “People Aren’t Ready for the Technology Revolution).
Invité à donner une conférence à l’inimitable événement qu’est Clair2011, où j’ai eu le plaisir d’entendre Sébastien Paquet, Laurence Juin et Daniel Peraya, il me semblait pertinent de brosser un tableau des révolutions concomitantes qui secouent nos sociétés, et des conséquences pour l’éducation. J’y développais plusieurs idées avancées au congrès de l’AQEUS en octobre. Je résume ici les principales révolutions que l’école doit intégrer, si elle désire rester pertinente.
La machine numérique
En l’espace de quarante ans, nous sommes passés de l’ordinateur central à l’ordinateur personnel, au portable, au smartphone et à l’ardoise numérique. L’engouement pour ces appareils témoigne d’un besoin non seulement d’information, mais de productivité. Ce besoin, et le marché qui le sous-tend, alimentent l’innovation en génie informatique, notamment au regard des microprocesseurs et des composantes périphériques. Le premier courant de la révolution qui nous entraîne trouve sa source dans ce qu’il est permis d’appeler la machine numérique.Contre tourte attente, la loi de Moore tient la route. Ray Kurzweil, auteur notamment de The Singularity Is Near, fait des prévisions renversantes. Entre autres, que dans dix ans, la puissance informatique de mon ordinateur portable égalera celle de mon cerveau. Plus hallucinant encore, Kurzweil prévoit que dans moins de 50 ans mon ordinateur aura la puissance computationnelle de tous les cerveaux de l’humanité réunis (Kurzweil : The Law of Accelerating Returns).
L’accélération phénoménale de la miniaturisation et de la diversification des composantes numériques, tout comme la diminution des coûts de production, contribue à l’invasion du microprocesseur dans les objets. Y a-t-il encore un électroménager ou un appareil d’une quelconque complexité non muni d’une puce électronique ? L’avenir n’est pas si loin où les objets communiqueront entre eux, comme c’est actuellement le cas dans les voitures.
Dès lors que nous manipulons des instruments de cognition, leur connaissance s’avère cruciale.
Les implants cervicaux se dessiner à l’horizon. Plusieurs équipes de chercheurs tentent de relier le microprocesseur au cerveau. L’année dernière, des chercheurs de l’Université de Calgary ont franchi une autre étape en cultivant des neurones sur un microprocesseur (University of Calgary : Neurochip technology developed by Canadian team).Dans ce contexte, le rôle de l’éducation ne se limite plus à acquérir des savoirs, mais d’apprendre à composer avec les outils de cognition, notamment ceux qui n’ont pas encore été inventés. Dès lors que nous manipulons des instruments de cognition, leur connaissance s’avère cruciale.
La créativité à l’ère du binaire
Toute cette capacité informatique, une sorte de matière première, rimerait à peu de chose s’il n’y avait un code qui permette de l’animer. Or, la simplicité du binaire ouvre la voie à une panoplie de langages informatiques, des protolangues en quelque sorte, qui permettent de créer de nouvelles formes d’activité. Olivier Bomsel voit bien la portée de ce nouveau langage (Télérama : “C’est la première fois depuis cinq mille ans qu’on invente une nouvelle écriture”) : « Dans l’émergence de cette nouvelle écriture, l’autre devient l’intern-autre. »Pour la première fois, la production de masse n’est plus l’apanage des détenteurs de capitaux, comme durant la révolution industrielle. Plus besoin de machinerie lourde pour extraire le minerai, produire des matériaux et assembler les produits finis. Les moyens sont à portée de main de quiconque est mu par l’inspiration, le génie, et la volonté d’apprendre un langage de programmation. L’usine s’est métamorphosée en portable.
Nous assistons à l’essor d’une phénoménale productivité. Il suffit d’observer la panoplie d’applications développées pour les smartphones. Par ailleurs, nous sommes témoins d’une évolution fulgurante de l’intelligence artificielle, laquelle gagnera inévitablement les objets.
L’usine s’est métamorphosée en portable.
Cette créativité n’influe pas que la production de logiciels. La démocratisation du pouvoir économique, pour ne pas dire du pouvoir d’expression, entraîne déjà une refonte de nos pratiques sociales, notamment politiques. À ce dernier sujet, voir les tentatives timides du Canada et de l’Australie, ou, l’essai plus théorique et visionnaire de Dominique Cardon (La vie des idées : Vertus démocratiques de l’Internet).
Dommage que l’école néglige la créativité. Les programmes scolaires, dans leur normalisation et dans l’uniformisation des connaissances, sont des laminoirs. On fera davantage, à l’échelle sociale, en misant sur l’essor de la potentialité individuelle. Pour l’élève surtout, le développement de la créativité est un meilleur gage d’épanouissement et plus sûre garantie d’avenir que la conformité.
La production d’information
La facilité et la disponibilité donnent lieu à un déferlement d’information. Les nouveaux outils de diffusion ont démocratisé la publication. À ceux qui s’indignent de la profusion d’inepties, simple reflet du quotidien, on soulignera la phénoménale augmentation d’information partagée par les experts (chercheurs, professionnels, journalistes, connaisseurs, etc.), notamment sur les blogues et, de plus en plus, par le biais des médias sociaux.Nous sommes passés de la consommation de médias à la production de médias, magnifiquement illustré par Brian Solis dans le Prisme de la conversation. Pour Eric von Hippel, l’auteur de Democraizing Innovation, l’innovation se retrouve désormais entre les mains des utilisateurs. Douglas Rushkoff résume bien le renversement : « L’internet ne permet pas seulement de distribuer l’information à des millions de gens, il permet à des millions de gens de distribuer l’information. »
L’exponentiation de l’information dépasse l’entendement. Lyman et Varian ont évalué qu’en la seule année 2002, on a produit plus d’information que durant les 5000 ans qui ont précédé (Berkeley : How Much Information ?). Plus récemment, Gantz et Reinsel ont estimé que la production de données numériques entre 2009 et 2020 augmentera 44 fois, propulsée entre autres par les appareils mobiles et les senseurs incorporés aux objets (IDC : The Digital Universe Decade – Are You Ready ? [PDF]). Pour se représenter l’état actuel des données accumulées, voyez l’infographie réalisée par Wikibon : The Rapid Growth of Unstructured Data.
Déjà, dans les années 1960, Marshall McLuhan observait que notre ignorance à savoir comment utiliser les nouvelles connaissances augmente exponentiellement. L’école d’aujourd’hui devrait prendre note que dans le flot immensurable des nouvelles connaissances, miser sur l’apprentissage des connaissances (au sens de connaissances déclaratives ou encyclopédiques) est une partie perdue d’avance. Le salut réside dans le « savoir comment utiliser les nouvelles connaissances », pour reprendre le constat de McLuhan. La métacognition ne concerne plus que l’objet du savoir, mais la méthode d’acquisition de ce savoir.
La propriété intellectuelle
Dès lors que la production n’appartient plus seulement à l’industrie, les lois sur la propriété intellectuelle s’avèrent caduques. Le système légal, comme toutes les institutions paléointernet, est déboussolé à l’émergence de ce nouveau pôle magnétique. Si le modèle industriel repose essentiellement sur le profit, il n’en va pas de même de la production individuelle. Pour plusieurs, la renommée constitue un gain plus précieux que la pécune. Pour d’autres, l’altruisme ou la satisfaction matérielle favorise le don à la communauté. Peu importe la motivation, nous assistons à la diversification des modèles de propriété intellectuelle, notamment ceux offerts par Creative Commons.Le source libre a ouvert les vannes. Le partage gratuit de son travail, chose pourtant si naturellement communautaire, est facilité par la reproductibilité instantanée et sans coût réel des objets numériques. Comme une traînée de poudre, le mouvement s’est propagé à la science (open science data), à la recherche (open research), au savoir (open content) l’éducation (open education, open educational resources, Open University). Le phénomène n’en serait que plus ample s’il avait bénéficié du soutien des gouvernements, cultivant la richesse du bien commun comme l’entend l’économiste Yochai Benkler dans The Wealth of Networks.
What characterizes the networked information economy is that decentralized individual action — specifically, new and important cooperative and coordinate action carried out through radically distributed, nonmarket mechanisms that do not depend on proprietary strategies — plays a much greater role than it did, or could have, in the industrial information economy.À l’opposé, les écoles foisonnent d’enseignants protégeant jalousement leurs ressources. Sans doute ceux-là mêmes qui vilipendent Wikipédia, sans jamais douter de la validité de leurs propres connaissances. Peut-être croient-ils aussi que les manuels sont exempts d’erreurs.
Les réseaux virtuels
Enfin, il y a l’extraordinaire maillage des réseaux en ligne, lequel a donné naissance à une science des réseaux. Selon les dernières données des Nations Unies, près du tiers de la population mondiale est connectée en un vaste réseau virtuel. Il en découle une synergie sans précédent dans l’histoire de l’humanité, une interaction scientifique, économique et sociale qui propulse le progrès dans une voltige vertigineuse. Alimentée par la participation et la créativité des masses, elle donne lieu à ce que Chris Anderson appelle l’innovation accélérée des essaims (crowd acceleration innovation).Depuis l’avènement d’internet, la réalité est déjà augmentée.
George Siemens y voit une nouvelle théorie de l’apprentissage baptisée le connectivisme. Siemens défend la thèse que le savoir est distribué à travers un réseau de connexions, et donc que l’apprentissage consiste à l’habileté à construire et naviguer ces réseaux. Considérant que les jeunes y baignent, l’école gagnerait à y puiser de nouvelles pratiques.
Le mot de la fin
La convergence de tous ces bouleversements précipite le changement au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer au début d’internet. L’émergence de domaines interdisciplinaires de recherche ne fait qu’ajouter à l’effervescence (MIT : The Convergence of the Life Sciences, Physical Sciences, and Engineering). Jordan Lejuwaan brosse un excellent tableau de ce que les 10 prochaines années nous réservent, notamment en biotechnologie, en architecture, en santé, en robotique, et dans notre interaction avec le monde (High Existence : 10 Ways the Next 10 Years Are Going to Be Mind-Blowing).Si l’école ne sait comment intégrer les technologies de la cognition, celles-ci sauront intégrer l’école.
Les jeunes développent dans les médias sociaux des compétences que l’école leur interdit. L’intégration scolaire des technologies de l’information et de la cognition illustre une incohérence, en ce qu’elle se fait dans le paradigme obligé de l’enseignement. Même les plus technopédagogiques ne le voient pas, tellement leur pensée opère dans un cadre institutionnel. L’intégration de ces instruments à des fins éducatives est déjà bien réelle, sauf qu’elle se fait malheureusement en marge de l’école. Or, si l’école ne sait comment intégrer les technologies de la cognition, celles-ci sauront intégrer l’école.
En dépit de la gravité de la situation, il est encore temps sans doute de repenser l’école à la lumière des technologies de la cognition. Le dossier Pernser l’école à l’ère du numérique contient un excellent débat auxquels ont participé Christian Laval, Philippe Meirieu, Denis Kambouchner et Bernard Stiegler, dont nous pourrons nous inspirer (Skole : École et société de la connaissance - vidéo - Débat Kambouchner, Laval, Meirieu et Stiegler).
En attendant l’inévitable révolution du système scolaire, il est certaines stratégies pédagogiques qu’on peut déjà adopter. On les trouvera dans la troisième partie du diaporama de la présentation à Clair2011.
- Anderson, C. (2011) TED Curator Chris Anderson on Crowd Accelerated Innovation [En ligne] Wired : <http://www.wired.com/magazine/2010/12/ff_tedvideos/> [PDF] (consulté le 24/02/2011).
- Benkler, Y. (2006) The Wealth of Networks, Yale University Press.
- Brotcome, P. et coll. (2010) La fracture numérique au second degré, Politique scientifique fédérale, Bruxelles.
- Cardon, D. (2009) Vertus démocratiques de l’Internet [En ligne] Idées : <http://www.laviedesidees.fr/Vertus-democratiques-de-l-Internet.html> [PDF] (consulté le 24/02/2011).
- Gantz, J., Reinsel, D. (2010) The Digital Universe Decade – Are You Ready ? [En ligne] IDC : <http://idcdocserv.com/925> [PDF] (consulté le 24/02/2011).
- Kurzweil, R. (2009) The Coming Merging of Mind and Machine. [En ligne] Scientific American : <http://www.scientificamerican.com/article.cfm?id=merging-of-mind-and-machine> (consulté le 24/02/2011).
- Lyman P., Varian, H.R. (2003) How Much Information ? [En ligne] Université de Berkeley : <http://www2.sims.berkeley.edu/research/projects/how-much-info-2003/index.htm> (consulté le 24/02/2011).
- Sharp P.A. et al. (2011) The Third Revolution : The Convergence of the Life Sciences, Physical Sciences, and Engineering. [En ligne] MIT : <http://web.mit.edu/dc/Policy/MIT%20White%20Paper%20on%20Convergence.pdf> [PDF] (consulté le 24/02/2011).
- Siemens, G. (2004) Connectivism : A Learning Theory for the Digital Age [En ligne] <http://www.elearnspace.org/Articles/connectivism.htm> (consulté le 24/02/2011).
- Solis, B. (2009) Teh Conversation Prism v2.0 [En ligne] <http://www.briansolis.com/2009/03/conversation-prism-v20/> (consulté le 24/02/2011).
- Von Hippel, E. (2005) Democratizing Innovation, MIT Press.
NOTE : Cet article est une reprise d’un billet sur le blogue de l’auteur.
par mardi 28 juin 2011
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