Interview de Gérard De Vecchi
Les éditions Hachette Education publient « Evaluer sans dévaluer », un nouveau livre de Gérard De Vecchi, professeur agrégé, maître de conférences en sciences de l’éducation. Il a été instituteur, professeur de collège et de lycée, formateur d’enseignants et de formateurs. Ancien" mauvais élève", il se sent particulièrement concerné par les problèmes d’évaluation et de relation maître / élève. Il a publié une douzaine d’ouvrages et dirige une collection, « Guide de poche de l’enseignant » aux éditions Delagrave. Considérant que son nouvel ouvrage, qui cite à plusieurs reprises l’un de nos auteurs, Pierre Frackowiak, répond à une préoccupation forte des enseignants et des parents aujourd’hui, nous avons été à sa rencontre. Michelle Laurissergues : Vous êtes très connu dans le monde enseignant par vos travaux et publications sur les situations-problèmes, ce qui révèle une orientation pédagogique délibérément centrée sur l’activité de l’élève comme acteur de ses apprentissages. Pourquoi ce choix à un moment où la notion « d’élève au centre du système » a subi de dures attaques et des remises en cause imposant un retour à la primauté des savoirs disciplinaires classiques cloisonnés ? Gérard De Vecchi : Je voudrais revenir tout d’abord sur cette formule, que je considère maladroite, qui place l’élève au centre du système et que certains se sont fait un plaisir d’assimiler à la « pédagogie de l’enfant-roi »… pour mieux la critiquer. Il ne s’agit pas de faire ce que l’enfant désire (« Alors, aujourd’hui, vous voulez qu’on parle de quoi ? ») mais de le « placer face aux savoirs au centre du système », ce qui est très différent ! Pourquoi je défends cette orientation ? Mais parce que seul l’élève peut apprendre, le maître ne peut le faire à sa place. Nul ne peut obliger un enfant à apprendre ce qu’il ne désire pas. Et puis, on n’apprend en classe que si on se sent dans un milieu favorable. Le rôle de l’enseignant est donc de mettre l’élève dans des situations qui sont motivantes et éducatives et de l’aider à s’approprier connaissances et compétences. Quant au retour aux savoirs traditionnels et « aux bonnes vieilles méthodes qui ont fait leurs preuves » (Mais les preuves de quoi ? De la non-connaissance et du dégout dans lesquels beaucoup d’élèves sont aujourd’hui ?), c’est une supercherie qui n’est que démagogique. M.L. La situation-problème est nécessairement transversale. Comment peut-on évaluer des compétences disciplinaires spécifiques à partir de situations globales ? Que pensez-vous, à cet égard, des évaluations nationales actuelles qui se limitent à une partie de l’enseignement du français et aux mathématiques ? G. De V. Il y aurait beaucoup à dire sur les évaluations nationales qui sont plus en rapport avec la politique qu’avec les apprentissages. J’en ai fait plusieurs fois la critique dans ce dernier livre et sur mon site. Pour résumer, on veut faire croire qu’elles représentent un outil majeur pour que les maîtres connaissent les obstacles de leurs élèves. Ont-ils vraiment attendu que cela leur tombe du ciel (pardon du ministère, donc de Nicolas Sarkozy) pour les connaître ? Ils s’y réfèrent pendant toute l’année et travaillent pour les renverser. Aborder l’enseignement des compétences pose de nombreux problèmes. Une fois de plus, un concept qui a de la valeur est remis en cause par la manière dont il a été présenté et par le rôle qu’on veut lui faire jouer. Je défends l’apprentissage par compétences… mais pas n’importe lequel. Tout d’abord il ne faut pas croire que compétence est synonyme de simples savoir-faire et que les savoirs conceptuels sont absents. Un enseignement prenant en compte la compétence met en relief la capacité d’agir efficacement dans un type défini de situations complexes en utilisant des acquis élémentaires (ensemble de savoir-faire, de savoir-être mais aussi de savoirs). Par exemple, apprendre à "s’informer" demande de réaliser un ensemble d’actions dans des situations complexes (diverses et multiples) qui s’appuient sur des habiletés (Internet), des attitudes (esprit critique) mais aussi des connaissances (en rapport avec le sujet). Une compétence est donc liée à une action en situation. Pourquoi des situations complexes (des situations-problèmes par exemple) ? Tout simplement parce que la réalité est toujours complexe et qu’un savoir "appris" à travers un exercice d’application n’est que rarement transférable… donc non réellement intégré". Quant à la manière d’évaluer les compétences, il est difficile d’y répondre en quelques phrases ! Disons qu’il est totalement ridicule de vouloir le faire, à travers des exercices (un exercice d’application pour une compétence), comme on le voit souvent et comme les évaluations ministérielles le demandent. Pour véritablement évaluer des compétences il importe de mettre les élèves dans une situation complexe qui met en œuvre un certain nombre de compétences et d’en évaluer une (ou deux) définie(s) à l’avance comme objectif sur lequel travailler… et non toutes. De ce fait les compétences ne correspondent pas à un objet d’asservissement mais deviennent un outil privilégié de formation… pour le maître comme pour l’élève. M.L. Pourquoi ce titre « évaluer sans dévaluer » ? G. De V J’aurais envie de répondre : pour aller à l’encontre de tout ce qui est préconisé actuellement par le ministère ! Plus objectivement, je voudrais dire que dans « évaluer » il y a « donner de la valeur » et on l’oublie trop souvent. On confond généralement « évaluer » et « noter » ce qui est très différent. Il n’y a pas que l’évaluation sommative ! Autant je suis contre l’utilisation des notes, autant je suis pour une évaluation de tous les instants. Evaluer c’est observer, écouter, repérer les connaissances et les obstacles des élèves pour adapter son attitude et son action à la situation réelle. C’est donc indispensable. Et aussi (surtout ?) évaluer ce n’est pas juger mais constater pour agir et aider l’élève à agir ; ce n’est pas relever des fautes et les "corriger" (quel vilain mot !). Ce serait plutôt aider l’élève à rectifier ses erreurs plutôt que de lui renvoyer ses fautes (erreur associée à un jugement négatif de la personne). J’ai trop vécu cela dans ma scolarité pour ne pas en tenir compte dans ma vie d’enseignant. Il y a tout un ensemble de techniques qui permettent de faire cela. M.L. Vous appelez à une « révolution copernicienne dans le domaine de l’évaluation ». Est-elle possible à votre avis et à quelles conditions ? G. De V Vos questions (particulièrement pertinentes) demanderaient chaque fois, à elles seules, un développement qui dépasse largement les possibilités de notre situation. Bien sûr que changer est possible ! Certains maîtres l’ont déjà fait ! Mais comme toute révolution il faut bouleverser un certain nombre de choses. Modifier un point (outil, moment…) ne sert pas à grand-chose. C’est comme lorsqu’on veut remplacer une pièce d’un puzzle : la seule qui peut convenir… c’est la même ! Cela touche l’état d’esprit de nos dirigeants, de l’administration, des parents et aussi des élèves ! Et puis ne plus mettre de notes par exemple implique de les remplacer par autre chose de plus pertinent, de se l’approprier et de l’expliquer. Je présente dans mon livre une manière de modifier son regard sur les élèves et un ensemble d’outils pour y parvenir tout en répondant à ce que l’administration nous réclame. M.L. Dans ce dernier ouvrage, vous exploitez assez peu la question des TICE. A votre avis, les TICE peuvent-elles contribuer à cette révolution et comment ? G De V C’est un tout autre sujet. Les TICE représentent un outil majeur qui peut apporter beaucoup à l’enseignant et aux élèves (particulièrement à certains qui sont en difficulté). Mais un outil, tout pertinent qu’il soit, reste un outil. Ce qui est fondamental c’est dans quel état d’esprit il est utilisé et surtout à travers quelle démarche pédagogique. On peut croire que l’on fait du moderne en utilisant ordinateur, tableau numérique… et rester dans une démarche très traditionnelle. Au bout de quelques temps les élèves se lassent… pensez à l’arrivée de la télévision dans les classes et ce qu’il en est advenu ! Donc, oui pour les TICE et pour l’évaluation… mais pas n’importe comment ! par (son site) jeudi 15 septembre 2011 http://www.educavox.fr/Evaluer-sans-devaluer |
vendredi 16 septembre 2011
Evaluer sans dévaluer
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