S.Lagoutte/Myop pour L'Express Styles
A l'issue de ce printemps arabe, l'arrière-saison y ressemble à l'été, les petits ports y sont vintage et les plages désertes. De Tunis à Bizerte, embarquement immédiat.
Le calme revenu, plus rien ne s'oppose à un voyage en Tunisie, et surtout pas l'indispensable solidarité avec le peuple tunisien. D'autant qu'au nord de Tunis commence une région magnifique, miraculeusement oubliée des touristes. Loin de Hammamet ou de Djerba, très loin des foules balnéaires, on y goûte le plaisir d'arpenter des plages désertes, entre petits ports de pêche et hôtels de charme.
Ici, aux pieds des flancs boisés du djebel Nador, qui ferme la baie de Tunis, grands bourgeois et familles populaires viennent comme jadis faire trempette aux beaux jours. A côté de Ghar El-Melh, sur la plage de sable fin de Sidi Ali El-Mekki, les guinguettes aux fumets de brochettes qui se dissipent dans l'air du large. On rejoint par un sentier l'autre flanc du cap Farina et Raf Raf, qui allonge son voluptueux croissant sablonneux face à un abrupt îlot rocheux. Aujourd'hui paisible port de pêche, Ghar El-Melh vit s'affronter corsaires et pirates quand Espagnols, Anglais et Ottomans écumaient ces rivages. Trois superbes et massifs forts aujourd'hui restaurés l'ont défendu au fil des siècles. Jean Daniel aimait s'y promener avec Michel Foucault, retrouvant la sensation d'engourdissement dans un passé glorieux d'un de leurs livres favoris, Le Rivage des Syrtes, de Julien Gracq. A 60 kilomètres vers le nord, voici Bizerte. Il faut profiter du "Toulon tunisien" aux nonchalances néocoloniales, des palmiers de sa corniche à sa médina aux grilles bleues, avant l'ouverture d'une pétaradante marina promise pour 2012. En déambulant dans la ville nouvelle où grandit Bertrand Delanoë, quadrillée de rues ombragées, on arrive jusqu'au Sport nautique, institution balnéaire Art déco. Après la traversée du grouillant grand marché en plein air, les cafés du vieux port ouvrent leurs terrasses sur un bassin bordé de maisons blanches et de fortifications ocre. Entre les barques rouges et bleues, aux fanions frissonnants dans la brise marine, zigzaguent des pédalos roses. Une carte postale aux couleurs du levant dominée par la casbah, ancienne forteresse byzantine dont les chicanes mènent à la médina, où s'activent toujours forgerons et menuisiers. Ici et là, Bizerte distille pour quelque temps encore son élixir nostalgique.
Vers l'ouest, en direction de Tabarka, une piste côtière serpente au pied du djebel El-Ahmar, entre eucalyptus et lauriers roses, vers deux baies spectaculaires et presque désertes. Celle du cap Serrat fait onduler ses dunes au bord d'une campagne biblique où des bergers taciturnes gardent leurs chèvres, des femmes berbères voilées de blanc cueillent les mûres des bosquets et des ruches bourdonnent. Plus loin, les collines du maquis encadrent l'immense plage de Sidi Mechreg, où des vestiges romains surgissent dramatiquement des flots. La bourgade reste une station balnéaire un peu désuète fleurant le mimosa, aux toits de tuiles aussi rouges que les coraux qui en firent la réputation, malgré le passé agité et cosmopolite de son port : les Romains y chargeaient le marbre, le liège et les farines, les Génois y bâtirent une citadelle pour protéger leur très lucratif commerce de coraux avant que la Compagnie royale d'Afrique française ne s'en empare. Rivalisant avec d'impressionnantes aiguilles rocheuses, les murailles ocre du fort reflètent les rayons du soleil couchant. Ils fardent d'or la belle jeunesse locale et internationale qui drague et parade sur la jetée.
Quittant Tabarka, tournons le dos à la mer. Des paysages escarpés hérissés de sapins dignes des Vosges encerclent Aïn Draham, la Source d'argent, et ses petites auberges qui ont survécu aux rêves de fraîcheur de colons alsaciens. Des escadrilles de corbeaux font des loopings au-dessus du djebel Bir, lieu de randonnées frisquettes et rendez-vous des chasseurs. Bientôt les pins laissent la place aux immenses forêts de chênes-lièges, qui dévalent vers les plaines céréalières du Tell, inépuisable grenier de l'Afrique du Nord, dominées par Le Kef (le rocher) étonnante et méconnue cité où Flaubert imagina, mieux qu'à Carthage, Salammbô et ses lascives prostituées sacrées du temple d'Astarté. Eternelle place forte des résistants, du roi numide Jugurtha aux révoltés anti-Ben Ali, sa citadelle est une des plus époustouflantes du Maghreb. Derrière ces remparts monumentaux copinèrent et voisinèrent musulmans, chrétiens et juifs. Les Romains avaient dédié ce lieu magique à Vénus, déesse de l'Amour, et dans la campagne environnante, à Hammam Mellègue, des thermes accueillent depuis mille huit cents ans les curistes dans des bassins d'eaux ferrugineuses et chaudes surplombant les méandres de l'oued.
Dévalant de son plateau jusqu'aux vignobles, l'ancienne et arrogante Thugga (Dougga) fut la fierté de l'Afrique romaine. Les portiques de son capitole et les enfilades de colonnades cannelées encadrent une grouillante cité où se mêlent les vestiges de théâtres, lupanars et demeures patriciennes. Après cette cascade de pierres, place aux frondaisons des oliviers bien alignés du domaine Ksar Ezzit, dans le djebel Fkirine. Des résidences écolos y accueillent les Tunisois branchés au coeur d'une forêt où rôdaient de longs chats sauvages gris rayés de noir. Aujourd'hui, dans les espaces laissés en friche, entre un pont romain et des sentiers agrestes qui sentent le thym et le romarin, les aigles planent encore au- dessus des hordes de loups... à quelques minutes de Tunis.
Par Jean-Pascal Billaud, publié le 16/09/2011 à 15:33
http://www.lexpress.fr/styles/voyage/la-tunisie-meconnue-et-apaisee_1030935.html
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