La science, quatre définitions souvent confondues…
La première chose à définir est le contexte dans lequel le terme « science » est utilisé. D’abord la science peut être comprise comme une somme de connaissances relatives à un sujet donné. C’est peut-être la définition la plus commune. Mais quand on parle de science on peut aussi se référer à une communauté de personnes, les scientifiques, les chercheurs qui travaillent sur un sujet donné. C’est le sens utilisé généralement en sociologie. Troisième définition possible, les débouchés de la science: il n’est pas rare qu’en parlant de science on désigne en réalité ses applications technologiques (bombe nucléaire, GPS, etc.). Enfin, le terme science peut désigner la démarche du scientifique, la méthodologie employée qui permet de valider des connaissances.
…et sources de malentendus
Le malentendu commence donc généralement à ce niveau. Certains sociologues par exemple pointent du doigt l’influence de la société et des croyances dans les résultats publiés par les scientifiques. Cette critique, qui peut être pertinente et justifiée, devient néanmoins l’occasion de remettre en cause la science en générale et donne l’impression qu’il n’y a pas de connaissance universelle. Or, c’est oublier un peu vite que la science est avant tout une méthode et que c’est elle qui garantit à long terme la validité et l’universalité d’un résultat.
De même, on pourra attaquer l’utilisation technologique liée à une avancée scientifique (comme la bombe nucléaire) pour remettre en cause la méthode scientifique qui serait de fait « mauvaise » puisqu’elle aboutit à des horreurs. Très à la mode chez mes amis de gauches (cf. les OGM) elle peut parfois aussi être utilisée par les cathos de droites (cf. pilule de contraception and co).
Autres malentendus possibles, si la science est comprise au sens de somme de connaissances alors elle peut être considérée (généralement par le grand public) comme une vérité établie, immuable, figée dans le marbre. C’est d’ailleurs l’impression que donne le cursus scolaire. Cela explique certains scandales qui n’en sont pas (comme par exemple le problème des pilules de 3e génération). La science évolue et les outils s’affinent, cela peut parfois donner l’impression que les scientifiques finissent par se contredire. Dans le même registre, le traitement médiatique de l’information, qui cherche le sensationnalisme et la nouveauté (pression économique oblige), donne une impression d’instabilité qui décrédibilise la science en générale 1. Or la validation scientifique demande du temps. La publication dans une revue scientifique, aussi réputée soit-elle, ne garantit pas toujours un résultat validé. Pour cela, il faut le temps de répliquer l’étude, de la confirmer, pour éventuellement la valider.
Mais il est temps d’aborder la méthode scientifique, au sens le plus large possible: le socle commun auquel tout scientifique souscrit, consciemment ou non.
1. Le scepticisme sur les faits
Le doute est la première règle d’or qui va aussi de pair avec l’honnêteté du scientifique que nous avons déjà abordé dans différents articles. Attention, que cela soit un problème mathématique, une étude historique, une étude biologique, etc., il peut bien sûr arriver que vous soupçonniez le résultat attendu. Mais il est fondamental d’accepter la réalité de l’expérience (ou de la preuve) même si elle va à l’encontre de vos attentes. Ce scepticisme initial représente la différence fondamentale entre une croyance et un savoir. Une croyance par définition s’appuie sur un principe d’autorité et de certitude. « Dieu l’a proclamé, il s’agit donc d’une Vérité ». Bien des médecines alternatives par exemple ne respectent pas cette première règle de la démarche scientifique, les données qui vont à l’encontre du système de philosophie dans lequel elles vivent sont tout simplement ignorées, écartées, rejetées d’une manière ou d’une autre.
2. La rationalité
Le scientifique doit aussi se plier à des règles de logique lors de sa démonstration ou de son étude. Cette première condition est indispensable pour prétendre obtenir des résultats universels. Si la logique n’est pas respectée, si l’ensemble de l’argumentation n’est pas cohérent, il ne peut y avoir de prétention à l’universalité. Chacun alors serait en droit d’exprimer ses conclusions comme des vérités. Les règles de logique vont de pair avec leprincipe de parcimonie, parfois appelé Rasoir d’Ockham. Ce principe exige que parmi deux solutions possibles à un problème donné, vous choisissiez celle qui minimise les hypothèses. Pour reprendre un exemple classique, le détective, pour résoudre un crime, cherchera à minimiser les zones d’ombres et les hypothèses pour construire son scénario. Si une vitre est cassée et qu’un caillou est retrouvé à l’intérieur, il n’aura peut-être pas besoin de faire l’hypothèse qu’un esprit à déposé le caillou dans la pièce et que le père-noël était ivre ce jour-là.
3. Le matérialisme méthodologique
Il ne faut pas confondre le matérialisme méthodologique avec celui qu’ont défendu Marx et Engels philosophiquement. En science, il ne s’agit pas de défendre une position philosophique. Par matérialisme il faut comprendre ici « tout ce qui est expérimentalement accessible dans le monde réel » pour citer Guillaume Lecointre. C’est la seule manière que nous avons d’accéder à une connaissance sur le monde physique. Expérience ici est à prendre évidemment au sens large. L’historien qui collecte des informations sur une période donnée réalise en quelque sorte une expérience que d’autres pourront analyser.
En ce sens, la religion est de fait exclue du champ d’investigation scientifique. A moins bien sûr que cette dernière tente de s’insérer dans le champ scientifique.
4. Le réalisme de principe
Par réalisme de principe on suppose que le monde existe indépendamment de notre existence. Cela peut sembler aller de soi mais ce principe est parfois contesté par certains courants de pensées (cf. Bruno Latour). Or sans ce principe, l’idée même de résultats reproductibles et validés par d’autres tombe à l’eau; en effet, pour qu’un résultat puisse être corroboré il faut bien accepter l’idée que le monde va se manifester de la même manière qu’on se trouve dans un coin de l’univers ou un autre.
La science: universalité et validation collective
Pourquoi ces quatre points forment-ils la base de la méthodologie scientifique? Tout simplement parce qu’ils représentent le socle minimum pour permettre une vérification par autrui (notamment la reproductibilité si importante en science) et au-delà, de permettre une validation collective. En ce sens, opposer science orientale/occidentale n’a pas de sens. Il n’y a qu’une science qui est la même qu’on soit à Calcutta ou à Londres. Ces éclaircissements nous permettent aussi de revisiter une question restée en suspens dans la discussion de mon article sur la science citoyenne. La science citoyenne est un nouveau concept à la mode aux contours un peu flou qui cherche à impliquer « les citoyens » dans la démarche des constructions des savoirs. Un lecteur me demandait pourquoi l’implication de la politique (bien réelle) et celle des industriels (fortement incitée d’ailleurs) ne déclenchait pas la même levée de boucliers.
Je pense que ce qui inquiète un certain nombre de chercheurs, ce n’est pas tant l’implication de citoyens (ou de la politique, ou des industriels), pourquoi pas, mais la peur de voir les règles de la démarche scientifique modifiées. L’exemple des cultures OGM à l’INRA détruites par des associations « citoyennes » fait craindre que cette science citoyenne ne soit en définitive qu’une attaque contre la méthodologie scientifique: si les résultats ne vont pas dans le sens des « croyances » des citoyens, alors ils seront rejetés. Le scepticisme sur les faits et la rationalité seraient donc jetés aux oubliettes.
PS: Cet article est largement inspiré des conférences et du livre de Guillaume Lecointre (Les sciences face aux créationnismes: ré-expliciter le contrat méthodologique des chercheurs) dont j’admire beaucoup le travail.
Posté le 7 septembre 2013
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