samedi 28 septembre 2013

Réseaux sociaux, notre passivité en question


Dans le New Yorker, la psychologue Maria Konnikova (@mkonnikova), l’auteure du bestsellerMastermind, comment penser comme Sherlock Holmes ? revient sur plusieurs études de confrères sur les usages de Facebook, montrant des résultats contradictoires. Certaines montrent que Facebook rendrait ses utilisateurs tristes, comme c’est le cas de celle dirigée par Ethan Kross, directeur du laboratoire sur l’émotion et l’auto-contrôle de l’université du Michigan (et qui rappelle les résultats de Robert Kraut (Wikipédia), qui, en 1998, avait montré que plus les gens utilisaient l’internet, plus ils se sentaient seuls et déprimés), et d’autres prouvent exactement le contraire.

Nous avions déjà souligné que l’internet ne nous rendait pas seuls ou combien notre obsession pour la déconnexion cachait en fait une toute autre forme d’anxiété. Maria Konnikova nous permet de faire un pas de plus, en tentant de démêler le vrai du faux.

Les gens solitaires ou déprimés n’ont pourtant pas tendance à aller plus sur Facebook que les autresrappelle une étude (.pdf) récente, et pourtant, l’internet semble nous rendre toujours plus aliénés. D’autres chercheurs comme Hanna Krasnova, ont montré que l’usage de Facebook renforçait la jalousie voire l’envie, du fait de la comparaison sociale à laquelle nous sommes confrontés (voir l’étude). La psychologue Beth Anderson estimait récemment (.pdf) que l’usage de Facebook peut devenir addictif, ce qui entraîne un sentiment négatif qui peut aller jusqu’au ressentiment à l’encontre du réseau pour les mêmes raisons qui nous ont poussées à le rejoindre. Nous voulons apprendre des autres et voulons que les autres apprennent de nous – mais via ce processus d’apprentissage, nous commençons à ressentir à la fois la vie des autres et l’image de soi que nous devons constamment maintenir. “C’est peut-être la même chose que les gens trouvent attractive qui finalement fini par les repousser”, estime le psychologue Samuel Gosling.

Mais l’on trouve tout autant de conclusions d’études diamétralement opposées à celles-ci. En 2009,Sebastian Valenzuela (@SebaValenz) et ses collègues ont fait le constat inverse de Kross :utiliser Facebook nous rend heureux. Ils ont aussi conclu que Facebook améliorait la confiance et l’engagement, et même la participation politique. Comme le dit Matthew Lieberman (@social_brains), du laboratoire de cognition sociale de l’université de Californie de dans son dernier livre Social : pourquoi nos cerveaux sont câblés pour se connecter, les réseaux sociaux sont un moyen pour échanger, et l’expérience d’un partage réussi a un effet psychologique et physiologique qui s’autorenforce. La prévalence des médias sociaux a, en conséquence, fondamentalement changé la façon dont nous partageons quelque chose, dont nous y pensons. Et la seule pensée d’un partage réussi active nos centres neuronaux liés à la récompense, et ce, avant même que nous ayons effectivement partagé quelque chose…

Le lien social virtuel peut même servir de tampon contre le stress et la douleur. Une étude de Lieberman de 2009 a montré qu’un stimulus douloureux faisait moins mal quand le patient tenait la main de sa compagne ou regardait son image. Les effets de la douleur étaient même moins forts encore en virtuel, comme si la distance forçait le cerveau à imaginer, à se faire une représentation mentale et que l’effort fait pour cela avait un effet anesthésique supplémentaire, ce que les psychologues Wendi Gardner et Cindy Pickett appellent le social snacking (le grignotage social).

“Pourquoi un tel contraste ?”, s’interroge Maria Konnikova. Pourquoi des auteurs réputés sont-ils si divisés sur l’impact de Facebook sur notre état émotionnel ?

Peut-être parce que nous n’utilisons pas tous Facebook de la même manière, estime la journaliste. Etre engagés dans une interaction directe avec d’autres (tchat, commentaire…) n’est pas la même chose qu’être passif sur Facebook. Une étude de 2010 montre d’ailleurs que quand les gens s’engagent activement avec d’autres sur Facebook (postant sur leurs murs, leur envoyant des messages, commentant ou appréciant des choses…) leur sentiment de liaison aux autres a augmenté tandis que leur sentiment de solitude diminuait. Mais lorsque les participants consommaient du contenu passivement, alors Facebook avait l’effet inverse, abaissant leur sentiment d’attachement et accroissant leur sentiment de solitude. Bref, quand notre attention s’engage activement, nous ne nous ennuyons pas, ni ne nous sentons seuls. Des conclusions qui confirmentcelles de John Eastwood, spécialiste de l’étude de l’ennui, qui le définit par rapport à l’attention.Ses récentes recherches sur le multitâche ont montré que plus on tentait de faire des choses concomitamment, moins nous sommes capables de nous y engager de manière significative et plus nous devenons mécontents.

En d’autres termes “le monde de la connectivité et de l’immersion constante dans des médias incarné par Facebook est le pire ennemi des réseaux sociaux ! Chaque étude ayant distingué deux types d’expériences de Facebook – l’active et la passive – les gens passent, en moyenne, plus de temps passivement, scrollant les fils d’actualité, qu’ils ne passent de temps à s’engager activement avec les contenus.” Et la plupart des études d’usages montre que la majorité des utilisateurs ont un comportement passif avec les médias sociaux. L’attention que nous demande l’usage de Facebook, nous amène toujours à devenir plus passif qu’actif, et donc, finit toujours, quel que soit le médium, par se traduire par un sentiment de déconnexion aux autres et d’ennui.

Dans des recherches en cours, le psychologue Timothy Wilson, confiait à Maria Konnikova, que ses étudiants devenaient dingues quand on les mettait dans une pièce où ils ne pouvaient pas utiliser leur téléphone ou leur ordinateur. Plutôt que de chercher à se distraire normalement, ils n’y parvenaient pas, comme s’ils avaient oublié comment.

Chaque fois que nous marquons une pause attentionnelle, l’internet s’avère une solution attrayante, rapide. On s’ennuie, alors on regarde Facebook ou Twitter et on s’ennuie plus encore. En fait, conclut la psychologue, “se débarrasser de Facebook ne changerait rien au fait que notre attention, le plus souvent, a oublié le chemin vers un engagement épanouissant. En ce sens, Facebook n’est pas le problème. C’est le symptôme.”

Reste que, malgré tout, comme le soulignait très justement Alexis Madrigal, plus qu’un problème de psychologie, nous sommes confrontés à un problème de design qui nous pousse à passer du temps sur des sites, dans des dispositifs techniques, dont nous voudrions nous enfuir… Comment s’extraire de la passivité qu’entretiennent nos machines ?

Publié sur Internet’Actule 25 septembre

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