jeudi 10 octobre 2013

La contre-révolution numérique

Pour mettre les universités françaises à l'enseignement en ligne, l'Etat a imaginé un nouveau Gosplan.

L'éducation en ligne, ou MOOC (Massive Open Online Courses), met à la disposition des utilisateurs d'Internet des cours organisés en modules ainsi que la possibilité de faire valider et certifier des connaissances acquises. Ainsi émergent des universités en ligne qui, en 2013, ont permis à 5 millions d'étudiants répartis dans 196 pays de suivre plus de 400 cours.

La révolution numérique de l'université constitue un formidable enjeu. Au plan économique, l'éducation est le principal levier pour dégager des gains de productivité dans un système de production dominé par la connaissance. L'enseignement supérieur en ligne ouvre aussi un nouveau domaine d'activité dont le chiffre d'affaires devrait dépasser 200 milliards de dollars à l'horizon de 2020. Au plan social, il s'affirme comme le meilleur vecteur de démocratisation du savoir et de lutte contre les inégalités. Au plan financier, il permet de maîtriser l'explosion des coûts de l'enseignement supérieur et les bulles de dettes publiques et privées qu'il génère (l'encours des prêts pour étudiants aux États-Unis atteint 1 100 milliards de dollars). Enfin, il convient parfaitement à la formation professionnelle tout au long de la vie qui doit accompagner l'allongement de l'activité.

La France a accumulé dans le domaine de l'enseignement en ligne, comme dans l'économie numérique, un retard considérable. Aux États-Unis, 80 % des cours sont mis en ligne, contre 3 % dans notre pays. Surtout, les pionniers du secteur sont tous américains et britanniques : Coursera et EdX aux États-Unis ; au Royaume-Uni, FutureLearn ou Flôôved, qui met à la disposition des étudiants des ouvrages et des manuels.

L'annonce par le gouvernement français d'un plan d'action pour l'université en ligne aurait dû témoigner d'une prise de conscience tardive mais salutaire. Elle est malheureusement ruinée par une logique étatique qui la voue à l'échec. Son appellation même - FUN pour France Université numérique - dit tout de son manque de sérieux, l'accent étant délibérément placé sur l'aspect ludique et non sur le savoir et le diplôme.

FUN se présente comme un Gosplan numérique : il entend inscrire les MOOC dans un système centralisé et intégré, placé sous le pilotage de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). Et ce en ignorant superbement tous les projets portés par les industriels, les universitaires et les chercheurs, à l'image de Cédric Villani, médaille Fields en 2010. L'objectif affiché consiste à placer sous la tutelle de l'État les cours, leur validation, les données concernant les enseignants et les étudiants.

Ce colbertisme numérique se réduit à la chronique d'un désastre annoncé. L'université en ligne représente une innovation de rupture, porteuse d'une révolution pédagogique. Elle ne peut donc être portée par les États ou par les institutions d'enseignement supérieur, aussi prestigieuses soient-elles ; elle n'est pas organisée à partir du haut par les bureaux mais impulsée, du bas, par la créativité des universitaires, des étudiants, des entrepreneurs.

L'université en ligne n'a pas pour objectif de se substituer aux institutions existantes ou de proposer en priorité des cours en ligne aux étudiants actuels afin de résoudre la surpopulation des premiers cycles, comme l'entend Mme Fioraso. Sa raison d'être est de créer une offre éducative innovante destinée aux publics actuellement exclus de l'enseignement supérieur, notamment dans la communauté francophone, qui comptera 750 millions de personnes en 2050. La centralisation, l'étatisation et la logique de contrôle sont aux antipodes des principes de fonctionnement de l'économie numérique, fondés sur des plates-formes ouvertes, sur la décentralisation, la collaboration et la confiance. Enfin, les moyens prévus, soit 12 millions d'euros, sont notoirement insuffisants au regard des financements levés sur les marchés par Coursera (43 millions de dollars) ou EdX (60 millions de dollars).

L'État a un rôle à jouer dans l'enseignement numérique, mais certainement pas en prétendant régenter sa production. Il doit conforter la recherche fondamentale en amont, investir dans les infrastructures de communication - déficientes en France -, soutenir la mise en ligne des corpus, des manuels, du patrimoine scientifique, financer la formation des enseignants et des chercheurs aux techniques du cours par vidéo.

Le projet FUN se réduit à une contre-révolution numérique, dans le droit-fil de la reprise en main de l'enseignement supérieur par l'État qui conduit à remettre en question l'autonomie des universités. Loin de favoriser le rattrapage de l'enseignement supérieur français, il va accélérer son déclassement face aux pays anglo-saxons et aux grands émergents. Dans les nations modernes et compétitives, l'État appuie les acteurs économiques et sociaux ; il ne prétend pas se substituer à eux.

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