Une lettre ouverte de Sciences Citoyennes contre les projets de financement de la recherche proposés par la Commission européenne
Les recherches qui sont soutenues et financées en priorité aujourd’hui auront un impact décisif sur l’avenir de nos sociétés et de notre planète. Il est impératif que le programme-cadre de l’UE pour la recherche soit orienté en fonction des besoins de la société et de l’environnement plutôt que de ceux des grandes entreprises.
Nos sociétés font face à d’immenses défis écologiques, sociaux et économiques. Le “business as usual” n’est plus de mise, et des changements radicaux sont nécessaires pour faire face à ces défis. La recherche et les techniques ont un rôle essentiel à jouer, mais doivent – et particulièrement dans le cas de la recherche financée par les fonds publics – bénéficier à la société dans son ensemble.
À notre époque de changements rapides, la recherche et l’innovation jouent un double rôle : elles permettent l’élargissement du champ de la connaissance et des décisions mieux informées, mais elles participent aussi à l’apparition de problèmes. Les recherches sur l’énergie nucléaire, les produits pharmaceutiques, l’ingéniérie génétique agricole, la biologie de synthèse, les nanotechnologies, les recherches spatiales et militaires – par exemple – ont permis à de grandes entreprises de bénéficier de généreuses subventions publiques malgré les controverses entourant les conséquences sociales et environnementales de leurs productions. Ceci a réduit d’autant, voire marginalisé, les financements disponibles pour la recherche dans des domaines importants comme la protection de l’environnement, les politiques de santé préventives, l’agriculture biologique et à faibles intrants, les efficacités énergétiques, les énergies renouvelables, la toxicologie, les politiques de l’eau, les pêcheries écologiquement durables ou encore les recherches en sciences sociales qui contribuent aux changements sociaux et à la résolution de problèmes sans recourir à des dispositifs de remédiation technique.
Les programmes de recherche qui ont pour objectifs prioritaires les profits ou les parts de marché ne peuvent répondre aux défis sociaux et environnementaux qu’affronte l’Europe aujourd’hui car ceux-ci imposent précisément de trouver des alternatives aux modèles de développement économique à croissance et profits élevés qui ont été poursuivis avec un zèle si dévastateur. La recherche européenne devrait se concentrer sur les innovations qui apportent des solutions, et les promouvoir, plutôt que d’investir dans des technologies de bout de chaîne qui sont sans effet sur les causes premières des problèmes auxquels la société doit faire face.
Nous sommes en conséquence extrêmement inquiets que la Stratégie Europe 2020 et l’Initiative Phare Europe 2020 pour une Union de l’Innovation ne traitent de la recherche et de l’innovation que presqu’exclusivement sous l’angle de la compétitivité. Ces textes envisagent une société régulée par des dispositifs techniques plutôt que par des politiques sociales, et menacent d’imposer des priorités industrielles inacceptables dans le prochain programme-cadre européen pour la recherche (2014-2020).
De nombreuses organisations parmi les sous-signées, travaillant sur un large éventail de questions de justice sociale, environnementale et économique ont fait part de leur préoccupation devant les biais pro-grandes entreprises existant dans le programme-cadre pour la recherche actuel “FP7”. Nous avons souligné des problèmes tels que la domination par les entreprises des “Plateformes Technologiques Européennes” (ETP) et des organismes “informels” de conseil et d’élaboration de propositions tels que le European Security Research and Innovation Forum. Ces canaux de communication créent un conflit d’intérêts structurel en permettant à l’industrie d’influencer les programmes de recherche de l’UE et de bénéficier des subventions publiques associées. L’utilisation encore plus systématique des partenariats public-privé envisagée par la Commission Européenne exacerbera ces problèmes et hypothèquera les possibilités qu’auraient les innovations d’inspiration sociale de se développer.
Bien que l’UE ait financé des recherches qui se consacrent à l’exploration et la promotion d’alternatives aux marges de son programme actuel (particulièrement au sein de son programme Science et Société), nous craignons que ces possibilités déjà limitées ne soient encore réduites dans le programme à venir.
Les problèmes éthiques associés aux nombreuses technologies controversées que l’UE finance déjà ont été également laissés de côté. Les mécanismes déontologiques de l’UE doivent être renforcés de toute urgence afin que des débats très importants sur l’impact des nouvelles technologies puissent être menés et pris en compte dans l’ensemble du programme de recherche. Le rôle des sciences sociales, particulièrement, ne doit pas être réduit à “l’acceptabilité” des technologies.
Les recherches qui feront de l’Europe (et du monde) un endroit écologiquement durable, sain à vivre et paisible doivent être menées en priorité par rapport à celles qui produisent des technologies commercialisables. Nous, sous-signées organisations scientifiques et de la société civile, pensons qu’un autre programme de recherche est non seulement possible mais urgemment nécessaire afin de faire face aux défis auxquels notre société doit faire face.
Nous appelons les institutions de l’UE à prendre des mesures pour :
Dépasser le mythe selon lequel seules des technologies hautement complexes et coûteuses pourraient créer un environnement durable, de l’emploi et du bien-être, et se concentrer davantage sur des solutions réelles aux défis sociaux, environnementaux et économiques ; Garantir que le concept d’innovation inclue des formes d’innovation adaptées à leur environnement et socialement pertinentes en plus du développement technique, et faciliter les échanges et la coopération entre les organisations de la société civile et le monde universitaire pour exploiter le potentiel innovant du secteur à but non-lucratif ; Établir un processus de décision démocratique, participatif et responsable pour l’allocation des fonds de recherche, exempt de conflits d’intérêts et de domination par l’industrie, et permettre à la société civile de jouer un plein rôle à la fois dans la définition des programmes de recherche et dans la poursuite des projets de recherche eux-mêmes ; S’assurer que tous les experts conseillant l’Union Européenne dans le domaine de la recherche soient nommés de façon transparente, afin de pouvoir dispenser des recommandations impartiales et indépendantes, exemptes de conflit d’intérêt ; remplacer les organismes de conseil et les plate-formes technologiques dominés par l’industrie par des structures permettant une représentation équilibrée des points de vue et des parties prenantes ; S’assurer que la recherche financée par les fonds publics bénéficie à la société dans son ensemble en exigeant des licences d’accès équitable et en encourageant les politiques de licence libre dans le prochain Cadre Stratégique Commun.
le 26 Juillet 2011
http://www.humanite.fr/26_07_2011-la-recherche-publique-doit-b%C3%A9n%C3%A9ficier-%C3%A0-la-soci%C3%A9t%C3%A9-pas-aux-grandes-entreprises-476976
Les recherches qui sont soutenues et financées en priorité aujourd’hui auront un impact décisif sur l’avenir de nos sociétés et de notre planète. Il est impératif que le programme-cadre de l’UE pour la recherche soit orienté en fonction des besoins de la société et de l’environnement plutôt que de ceux des grandes entreprises.
Nos sociétés font face à d’immenses défis écologiques, sociaux et économiques. Le “business as usual” n’est plus de mise, et des changements radicaux sont nécessaires pour faire face à ces défis. La recherche et les techniques ont un rôle essentiel à jouer, mais doivent – et particulièrement dans le cas de la recherche financée par les fonds publics – bénéficier à la société dans son ensemble.
À notre époque de changements rapides, la recherche et l’innovation jouent un double rôle : elles permettent l’élargissement du champ de la connaissance et des décisions mieux informées, mais elles participent aussi à l’apparition de problèmes. Les recherches sur l’énergie nucléaire, les produits pharmaceutiques, l’ingéniérie génétique agricole, la biologie de synthèse, les nanotechnologies, les recherches spatiales et militaires – par exemple – ont permis à de grandes entreprises de bénéficier de généreuses subventions publiques malgré les controverses entourant les conséquences sociales et environnementales de leurs productions. Ceci a réduit d’autant, voire marginalisé, les financements disponibles pour la recherche dans des domaines importants comme la protection de l’environnement, les politiques de santé préventives, l’agriculture biologique et à faibles intrants, les efficacités énergétiques, les énergies renouvelables, la toxicologie, les politiques de l’eau, les pêcheries écologiquement durables ou encore les recherches en sciences sociales qui contribuent aux changements sociaux et à la résolution de problèmes sans recourir à des dispositifs de remédiation technique.
Les programmes de recherche qui ont pour objectifs prioritaires les profits ou les parts de marché ne peuvent répondre aux défis sociaux et environnementaux qu’affronte l’Europe aujourd’hui car ceux-ci imposent précisément de trouver des alternatives aux modèles de développement économique à croissance et profits élevés qui ont été poursuivis avec un zèle si dévastateur. La recherche européenne devrait se concentrer sur les innovations qui apportent des solutions, et les promouvoir, plutôt que d’investir dans des technologies de bout de chaîne qui sont sans effet sur les causes premières des problèmes auxquels la société doit faire face.
Nous sommes en conséquence extrêmement inquiets que la Stratégie Europe 2020 et l’Initiative Phare Europe 2020 pour une Union de l’Innovation ne traitent de la recherche et de l’innovation que presqu’exclusivement sous l’angle de la compétitivité. Ces textes envisagent une société régulée par des dispositifs techniques plutôt que par des politiques sociales, et menacent d’imposer des priorités industrielles inacceptables dans le prochain programme-cadre européen pour la recherche (2014-2020).
De nombreuses organisations parmi les sous-signées, travaillant sur un large éventail de questions de justice sociale, environnementale et économique ont fait part de leur préoccupation devant les biais pro-grandes entreprises existant dans le programme-cadre pour la recherche actuel “FP7”. Nous avons souligné des problèmes tels que la domination par les entreprises des “Plateformes Technologiques Européennes” (ETP) et des organismes “informels” de conseil et d’élaboration de propositions tels que le European Security Research and Innovation Forum. Ces canaux de communication créent un conflit d’intérêts structurel en permettant à l’industrie d’influencer les programmes de recherche de l’UE et de bénéficier des subventions publiques associées. L’utilisation encore plus systématique des partenariats public-privé envisagée par la Commission Européenne exacerbera ces problèmes et hypothèquera les possibilités qu’auraient les innovations d’inspiration sociale de se développer.
Bien que l’UE ait financé des recherches qui se consacrent à l’exploration et la promotion d’alternatives aux marges de son programme actuel (particulièrement au sein de son programme Science et Société), nous craignons que ces possibilités déjà limitées ne soient encore réduites dans le programme à venir.
Les problèmes éthiques associés aux nombreuses technologies controversées que l’UE finance déjà ont été également laissés de côté. Les mécanismes déontologiques de l’UE doivent être renforcés de toute urgence afin que des débats très importants sur l’impact des nouvelles technologies puissent être menés et pris en compte dans l’ensemble du programme de recherche. Le rôle des sciences sociales, particulièrement, ne doit pas être réduit à “l’acceptabilité” des technologies.
Les recherches qui feront de l’Europe (et du monde) un endroit écologiquement durable, sain à vivre et paisible doivent être menées en priorité par rapport à celles qui produisent des technologies commercialisables. Nous, sous-signées organisations scientifiques et de la société civile, pensons qu’un autre programme de recherche est non seulement possible mais urgemment nécessaire afin de faire face aux défis auxquels notre société doit faire face.
Nous appelons les institutions de l’UE à prendre des mesures pour :
Dépasser le mythe selon lequel seules des technologies hautement complexes et coûteuses pourraient créer un environnement durable, de l’emploi et du bien-être, et se concentrer davantage sur des solutions réelles aux défis sociaux, environnementaux et économiques ; Garantir que le concept d’innovation inclue des formes d’innovation adaptées à leur environnement et socialement pertinentes en plus du développement technique, et faciliter les échanges et la coopération entre les organisations de la société civile et le monde universitaire pour exploiter le potentiel innovant du secteur à but non-lucratif ; Établir un processus de décision démocratique, participatif et responsable pour l’allocation des fonds de recherche, exempt de conflits d’intérêts et de domination par l’industrie, et permettre à la société civile de jouer un plein rôle à la fois dans la définition des programmes de recherche et dans la poursuite des projets de recherche eux-mêmes ; S’assurer que tous les experts conseillant l’Union Européenne dans le domaine de la recherche soient nommés de façon transparente, afin de pouvoir dispenser des recommandations impartiales et indépendantes, exemptes de conflit d’intérêt ; remplacer les organismes de conseil et les plate-formes technologiques dominés par l’industrie par des structures permettant une représentation équilibrée des points de vue et des parties prenantes ; S’assurer que la recherche financée par les fonds publics bénéficie à la société dans son ensemble en exigeant des licences d’accès équitable et en encourageant les politiques de licence libre dans le prochain Cadre Stratégique Commun.
le 26 Juillet 2011
http://www.humanite.fr/26_07_2011-la-recherche-publique-doit-b%C3%A9n%C3%A9ficier-%C3%A0-la-soci%C3%A9t%C3%A9-pas-aux-grandes-entreprises-476976
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