Photo : Martin Bureau
Tahar Ben Jelloun
«L'histoire de Mohamed n'appartient à personne, écrit l'écrivain Tahar Ben Jelloun dans Par le feu, c'est l'histoire d'un homme simple, comme il y en a des millions, qui, à force d'être écrasé, humilié, nié dans sa vie, a fini par devenir l'étincelle qui embrase le monde. Jamais personne ne lui volera sa mort.»
Le printemps arabe fascine. Ses révoltes ont pris le monde entier par surprise, les chefs d'État Zine el-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak en premier lieu, peut-être. Après des années de dictature, les rues de la Tunisie, de l'Égypte et de plusieurs autres pays du monde arabe se sont emplies de citoyens exaspérés. L'écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun, lui, a sorti sa plume, en février, alors que les images de la chaîne al-Jazira semblaient encore difficiles à croire.
Dès les premières manifestations en Tunisie, Tahar Ben Jelloun a ressenti cette émotion, la même que lui procure la lecture d'un très, très bon poème. Il a donc écrit un essai sur le mouvement de contestation, à chaud, sans même savoir comment se terminerait ce printemps qui dure encore.
C'était son devoir, explique-t-il: «L'écrivain écrit parce qu'il pense que son témoignage, sous forme d'essai ou de récit, peut aider à comprendre ce qui se passe. Lui-même a besoin d'écrire pour comprendre. C'est ce qui m'arrive», disait-il au Devoir depuis le Maroc où il séjourne régulièrement, bien qu'il habite désormais Paris.
«En tant qu'écrivain, je ne pouvais assister à un événement historique sans réagir par le seul moyen dont je dispose: l'écriture. Je ne suis pas historien, ni politicien. Je travaille avec les matériaux de l'imaginaire: les mots.» Il n'hésite d'ailleurs jamais à les utiliser pour commenter l'actualité lors d'interventions régulières dans les journaux d'Europe, dont Le Monde.
Depuis L'Enfant de sable, paru en 1985, et La Nuit sacrée, deux ans plus tard, qui a fait de Ben Jelloun le premier Nord-Africain à remporter le Goncourt, ses écrits sont toujours à caractère social. À défaut de connaître la fin de l'histoire qui s'écrit présentement du Maroc au Yémen, il s'est intéressé au déclencheur. À cet élément perturbateur des protestations, à «l'étincelle», maintenant le titre d'un court texte comme d'une série de chroniques, qui paraît en même temps que le récit-polaroïd Par le feu. En cette période d'instabilité, la seule certitude demeure cette étincelle, selon Ben Jelloun. «Évidemment, tout bouge et change, mais pas les éléments fondateurs des révoltes. Les raisons pour lesquelles des millions de citoyens sont sortis dans la rue sont là, elles ne bougent pas, assure-t-il. Elles peuvent changer selon les sociétés, mais tout être aspire à la liberté, à la justice, à la dignité.»
Nous sommes tous des Mohamed
Ces dernières valeurs, d'ailleurs, ne sont pas nouvellement acquises par les Tunisiens ou les Égyptiens grâce à Facebook et au monde du 2.0: elles sont ancestrales dans les sociétés arabo-musulmanes, estime l'homme de lettres. «Mais le travail des dictateurs, c'est de les brûler ou de les maquiller.» Et le travail des écrivains est de les rappeler. «On écrit pour décrire un monde sans ces valeurs. On montre ce qu'est l'homme humilié et on donne aux lecteurs le spectacle de la destruction de l'humanité en nous.»
L'étincelle du printemps arabe, c'est aussi Mohamed Bouazizi, ce jeune homme désespéré, impuissant face au sytème, qui s'est immolé en Tunisie. C'est lui, le sujet de Par le feu, cette plaquette d'une cinquantaine de pages où le lecteur s'infiltre dans la tête du jeune homme.
Tahar Ben Jelloun rappelle que le jeune vendeur est le symbole de milliers de personnes qui ont vécu des injustices, dont plusieurs écrivains. «Le cas de Mohamed Bouazizi est symptomatique, mais bien avant lui il y a eu des suicides par le feu un peu partout. Il y a aussi eu beaucoup de citoyens qui ont été torturés et assassinés.»
La révolte a été préparée par l'excès d'injustice, estime l'écrivain, qui a lui-même été arrêté en 1966 pour avoir participé à une manifestation étudiante à Casablanca, avant de s'exiler en France cinq ans plus tard, après que la revue littéraire pour laquelle il écrivait fut bannie.
En bon conteur, Ben Jelloun présente dans L'Étincelle les derniers jours au pouvoir des anciens chefs d'État Moubarak et Ben Ali comme on présenterait les personnages d'un roman. Les deux anciens dictateurs sont d'ailleurs «des personnages horribles qui font de bons personnages romanesques: ils sont terrifiants, cruels, fous, démoniaques. Nous sommes au théâtre ou chez Dostoïevski», reconnaît l'écrivain.
Quel avenir pour le printemps arabe? Ben Jelloun rappelle que le feu brûle toujours en Libye, en Syrie, au Maroc, en Algérie, au Yémen. «La mort fait des massacres. Je suis, nous sommes tous impressionnés par le courage extraordinaire des Syriens qui descendent dans les rues en sachant pertinemment que la mort les attend.» Pour la Tunisie et l'Égypte, où de premières élections véritablement libres devront se tenir à l'automne, il faudra peut-être être patient. «La démocratie n'est pas un comprimé qu'on dissout dans l'eau; c'est une culture qui demande du temps et de la pédagogie, dit l'écrivain. Le printemps est loin d'être terminé.»
Ce printemps pourrait donner naissance à une production littéraire intéressante, selon Tahar Ben Jelloun, pour qui les liens entre révolte et lettres sont évidents. Il cite le Russe Vladimir Mahmoud Darwish, l'Irakien Chaker Assayab et l'Égyptien Ahmed Chawki, «des visionnaires [...] qui ont eu raison avant tout le monde». Au tour de ses confrères de prendre la plume. «La poésie française la plus belle est née de la résistance. La poésie naît avec la révolte, devient elle-même révolte. La vie menacée crée les conditions de la poésie: il n'y a pas de poésie confortable.»
Le printemps arabe fascine. Ses révoltes ont pris le monde entier par surprise, les chefs d'État Zine el-Abidine Ben Ali et Hosni Moubarak en premier lieu, peut-être. Après des années de dictature, les rues de la Tunisie, de l'Égypte et de plusieurs autres pays du monde arabe se sont emplies de citoyens exaspérés. L'écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun, lui, a sorti sa plume, en février, alors que les images de la chaîne al-Jazira semblaient encore difficiles à croire.
Dès les premières manifestations en Tunisie, Tahar Ben Jelloun a ressenti cette émotion, la même que lui procure la lecture d'un très, très bon poème. Il a donc écrit un essai sur le mouvement de contestation, à chaud, sans même savoir comment se terminerait ce printemps qui dure encore.
C'était son devoir, explique-t-il: «L'écrivain écrit parce qu'il pense que son témoignage, sous forme d'essai ou de récit, peut aider à comprendre ce qui se passe. Lui-même a besoin d'écrire pour comprendre. C'est ce qui m'arrive», disait-il au Devoir depuis le Maroc où il séjourne régulièrement, bien qu'il habite désormais Paris.
«En tant qu'écrivain, je ne pouvais assister à un événement historique sans réagir par le seul moyen dont je dispose: l'écriture. Je ne suis pas historien, ni politicien. Je travaille avec les matériaux de l'imaginaire: les mots.» Il n'hésite d'ailleurs jamais à les utiliser pour commenter l'actualité lors d'interventions régulières dans les journaux d'Europe, dont Le Monde.
Depuis L'Enfant de sable, paru en 1985, et La Nuit sacrée, deux ans plus tard, qui a fait de Ben Jelloun le premier Nord-Africain à remporter le Goncourt, ses écrits sont toujours à caractère social. À défaut de connaître la fin de l'histoire qui s'écrit présentement du Maroc au Yémen, il s'est intéressé au déclencheur. À cet élément perturbateur des protestations, à «l'étincelle», maintenant le titre d'un court texte comme d'une série de chroniques, qui paraît en même temps que le récit-polaroïd Par le feu. En cette période d'instabilité, la seule certitude demeure cette étincelle, selon Ben Jelloun. «Évidemment, tout bouge et change, mais pas les éléments fondateurs des révoltes. Les raisons pour lesquelles des millions de citoyens sont sortis dans la rue sont là, elles ne bougent pas, assure-t-il. Elles peuvent changer selon les sociétés, mais tout être aspire à la liberté, à la justice, à la dignité.»
Nous sommes tous des Mohamed
Ces dernières valeurs, d'ailleurs, ne sont pas nouvellement acquises par les Tunisiens ou les Égyptiens grâce à Facebook et au monde du 2.0: elles sont ancestrales dans les sociétés arabo-musulmanes, estime l'homme de lettres. «Mais le travail des dictateurs, c'est de les brûler ou de les maquiller.» Et le travail des écrivains est de les rappeler. «On écrit pour décrire un monde sans ces valeurs. On montre ce qu'est l'homme humilié et on donne aux lecteurs le spectacle de la destruction de l'humanité en nous.»
L'étincelle du printemps arabe, c'est aussi Mohamed Bouazizi, ce jeune homme désespéré, impuissant face au sytème, qui s'est immolé en Tunisie. C'est lui, le sujet de Par le feu, cette plaquette d'une cinquantaine de pages où le lecteur s'infiltre dans la tête du jeune homme.
Tahar Ben Jelloun rappelle que le jeune vendeur est le symbole de milliers de personnes qui ont vécu des injustices, dont plusieurs écrivains. «Le cas de Mohamed Bouazizi est symptomatique, mais bien avant lui il y a eu des suicides par le feu un peu partout. Il y a aussi eu beaucoup de citoyens qui ont été torturés et assassinés.»
La révolte a été préparée par l'excès d'injustice, estime l'écrivain, qui a lui-même été arrêté en 1966 pour avoir participé à une manifestation étudiante à Casablanca, avant de s'exiler en France cinq ans plus tard, après que la revue littéraire pour laquelle il écrivait fut bannie.
En bon conteur, Ben Jelloun présente dans L'Étincelle les derniers jours au pouvoir des anciens chefs d'État Moubarak et Ben Ali comme on présenterait les personnages d'un roman. Les deux anciens dictateurs sont d'ailleurs «des personnages horribles qui font de bons personnages romanesques: ils sont terrifiants, cruels, fous, démoniaques. Nous sommes au théâtre ou chez Dostoïevski», reconnaît l'écrivain.
Quel avenir pour le printemps arabe? Ben Jelloun rappelle que le feu brûle toujours en Libye, en Syrie, au Maroc, en Algérie, au Yémen. «La mort fait des massacres. Je suis, nous sommes tous impressionnés par le courage extraordinaire des Syriens qui descendent dans les rues en sachant pertinemment que la mort les attend.» Pour la Tunisie et l'Égypte, où de premières élections véritablement libres devront se tenir à l'automne, il faudra peut-être être patient. «La démocratie n'est pas un comprimé qu'on dissout dans l'eau; c'est une culture qui demande du temps et de la pédagogie, dit l'écrivain. Le printemps est loin d'être terminé.»
Ce printemps pourrait donner naissance à une production littéraire intéressante, selon Tahar Ben Jelloun, pour qui les liens entre révolte et lettres sont évidents. Il cite le Russe Vladimir Mahmoud Darwish, l'Irakien Chaker Assayab et l'Égyptien Ahmed Chawki, «des visionnaires [...] qui ont eu raison avant tout le monde». Au tour de ses confrères de prendre la plume. «La poésie française la plus belle est née de la résistance. La poésie naît avec la révolte, devient elle-même révolte. La vie menacée crée les conditions de la poésie: il n'y a pas de poésie confortable.»
30 juillet 2011
http://www.ledevoir.com/culture/livres/328398/tahar-ben-jelloun-la-revolte-est-un-poeme
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