L'auto-régulation des journalistes, c'est le thème de la proposition de loi de Jean-François Mancel, député UMP, prônant la création d'un Conseil national de déontologie journalistique. Pour Aliocha, cette proposition, inspirée de certains modèles européens de conseils de la presse, n'offre aucune garantie d'indépendance.
( Dessin Louison )
C'est une proposition de loi qui s’est discrètement glissée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 13 juillet dernier et que mon confrère Olivier Da Lage a eu bien raison de faire sortir en pleine lumière.
L’auteur ? Jean-François Mancel, député UMP de la 2ème circonscription de l’Oise, membre de la commission des finances de l’Assemblée et plein d’autres choses encore.
Le texte ? Une proposition de loi. Comme chacun sait les textes rédigés par les parlementaires sont dénommés proposition, par opposition à ceux du gouvernement appelés projets. Le Parlement a si fort à faire avec les réformes gouvernementales que généralement les propositions passent à la trappe. A moins d’un miracle toujours possible. Il ne faut donc pas s’emballer, mais il convient d’être vigilant.
L’objet ? La création d’un Conseil national de déontologie journalistique.
Les motifs ? Il s’agit de réagir aux dérives de la presse française (oui, je suis d’accord avec vous amis lecteurs, au moment même où l’empire Murdoch s’effondre et alors que nous avons avantageusement soutenu la comparaison avec nos confrères américains lors de l’affaire DSK sur la présomption d’innocence, puis sur le respect dû aux victimes, les parlementaires s’indignent de nos excès, c’est amusant). Le député s’appuie sur l’echec de la commission présidée par Bruno Frappat visant à adopter un code de déontologie pour estimer qu’il est temps que le législateur nous prenne par la main pour nous aider à nous auto-réguler. En soi, on ne peut critiquer l’idée, c’est sa traduction qui est discutable.
L’inspiration : La Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les pays scandinaves disposent de conseils de la presse, lesquels ont pour mission, suivez bien c’est important, de :
- préserver la liberté rédactionnelle,
- contribuer à restreindre l’ingérence de l’Etat,
- favoriser la qualité de l’information,
- démontrer le sens de la responsabilité des médias,
- aider le public à accéder aux médias.
Donc la France doit faire de même. Dans un précédent billet très intéressant, Olivier souligne que le conseil britannique n’a pas été très efficace pour empêcher les dérives de la presse anglaise, mais bon. Admettons quand même d’ouvrir le débat, on n’a jamais rien à perdre à réfléchir. Surtout que Jean-François Mancel insiste sur la notion d’auto-régulation, histoire d’éviter une levée de boucliers. L’auto-régulation justement, cela consiste pour une profession à se gérer elle-même, entièrement et exclusivement. Or, ce n’est pas tout à fait cela qu’on nous propose en pratique. Le texte tend plutôt à organiser l’amorce d’une régulation partagée.
Ce Conseil national serait en effet composé de 21 membres dont 7 représentants des éditeurs de presse, 7 représentants des journalistes et 7 représentants de la société civile. Comme le souligne Olivier, c’est dans la représentation de la société civile que le bât blesse. Non pas tant sur le principe en soi, que sur le mode de désignation de ses membres, lequel est renvoyé à un décret, c’est-à-dire au bon vouloir du gouvernement (article 2). Or, souvenez-vous, dans l’exposé des motifs, le député évoquait l’une des vocation de ce type de conseil chez nos voisins européens : « contribuer à restreindre l’ingérence de l’Etat ». En lui confiant le soin de fixer les modalités de désignation de 7 membres sur 21 ? Drôle de restriction ! Surtout que c’est aussi par décret que l’on fixera le mode de désignation des membres du comité exécutif. On restreint, on restreint. A cela s’ajoute le fait que le comité se verra adjoint un représentant du ministère de la culture, certes avec voix consultative, mais tout de même. Toujours pour restreindre l’ingérence de l’Etat, je suppose…
D’ailleurs c’est amusant, quand on lit l’article 1 qui définit les missions du conseil, il n’est fait nulle part mention de la liberté rédactionnelle, ni de l’ingérence de l’Etat, pas même de l’accès au public des médias. Notre conseil à nous ne sera qu’un père fouettard. Il est chargé en effet de veiller à la qualité de l’information, au renforcement de notre crédibilité et au respect de l’éthique. La liberté et l’indépendance sont passées à la trappe. C’est magique !
Le comité exécutif, dont le mode de désignation sera fixé par le gouvernement, aura vocation à définir le réglement intérieur du Conseil. Nous sommes toujours dans la logique de restriction de l’influence de l’Etat comme vous le voyez (article 3).
L’article 5 nous apprend que cet aimable conseil sera financé par la profession, c’est-à-dire par chaque journaliste et chaque éditeur de presse qui en sera obligatoirement membre. L’Etat décide et co-dirige, nous payons. Logique.
L’article 6 institue un système d’examen des plaintes, dans lequel le conseil a avant tout un rôle de médiateur et doit par ailleurs se déclarer incompétent si la justice vient à être saisie du dossier. Il n’est habilité qu’à prononcer des « sanctions morales ». On sent bien à ce stade que le député a choisi d’avancer sur la pointe des pieds. Nous partons d’une situation décrite comme insupportable dans l’exposé des motifs, pour arriver à un conseil au rôle de médiation et dont la seule arme consiste à désapprouver la faute. Entre nous, il faudrait savoir. Soit le journalisme français est dans un état de déliquescence morale insupportable et dans ce cas il faut créer en plus des solutions judiciaires une véritable instance disciplinaire, soit ce n’est pas le cas et alors pourquoi mettre en place ce qui ressemble fort à un comité Théodule ? Nous serions face à une stratégie du pied dans la porte que ça ne m’étonnerait pas outre mesure.
Mais le point d’orgue est l’article 7 : dans les trois mois de la création du conseil, un comité représentatif de l’ensemble des professionnels du journalisme et des différents médias, dont la composition sera fixée…..par décret bien sûr – vous avez saisi la logique – sera chargé de rédiger un code de déontologie. Et ce code sera validé…eh oui, vous avez deviné, par décret. Le diable est dans les détails. Puisqu’il sera soumis à l’approbation du gouvernement, ce-dernier pourra imposer les modifications qui lui paraîtront nécessaires. Et la profession devra demander l’autorisation pour toute modification ultérieure. C’est ce qui est arrivé aux commissaires aux comptes avec la loi de sécurité financière de 2003. Eux aussi s’auto-régulaient. Aujourd’hui, ils sont sous la coupe d’une instance de régulation dans laquelle ils n’ont plus qu’une représentation minoritaire et qui définit leurs règles de déontologie. Elle le fait d’ailleurs de façon si contestable que la Commission européenne a enjoint à la France récemment de réviser le texte qu’elle jugeait trop restrictif par rapport aux autres pays européens. Ce que les commissaires aux comptes ne cessaient de hurler sur tous les tons. Le Conseil d’Etat, saisi par les professionnels, avait quant à lui jugé le texte parfaitement conforme…
Jean-Luc Martin-Lagardette qui a écrit des ouvrages passionnants sur la déontologie de la presse, réagit dans un article de façon assez rude aux critiques d’Olivier : « La résistance d´Olivier Da Lage cache en fait, selon nous, le refus persistant de la profession de rendre des comptes au public, de lui donner des garanties sur l’exigence de qualité et d’équité qui est attendue d’elle ». En ce qui me concerne, j’ai toujours pensé que la profession avait besoin de se souder autour d’un texte commun, fort, qui définisse ses droits et ses devoirs et qu’elle puisse opposer aux tiers autant qu’on puisse le lui opposer. De la même façon, je ne serais pas opposée loin de là à un conseil national en charge de veiller au respect de l’éthique, mais aussi de nous représenter, de veiller à la préservation de nos valeurs et de nos règles professionnelles. A condition que l’on s’inscrive dans le cadre d’une réelle auto-régulation, à l’instar des avocats, qui sont confrontés à la même impérieuse nécessité que nous de préserver leur indépendance à l’égard des pouvoirs publics. Or, la proposition de Jean-François Mancel n’offre aucune garantie de cette indépendance. J’en veux pour preuve l’article 1 qui n’évoque au titre des mission du Conseil, ni la préservation de la liberté de la presse, ni celle de son indépendance. Plus qu’un symbole, cet oubli est un aveu.
Note : je n’ai pas trouvé les liens permanents des billets d’Olivier, les articles que je cite sont datés respectivement du 24 juillet pour la critique du Conseil, et du 17 juillet en ce qui concerne l’échec du modèle britannique.
La Plume d'Aliocha - Blogueuse associée | Mercredi 27 Juillet 2011 à 16:01
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propositionloi.pdf (107.44 Ko)
http://www.marianne2.fr/Journalisme-la-deontologie-contre-l-independance_a208839.html
( Dessin Louison )
C'est une proposition de loi qui s’est discrètement glissée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 13 juillet dernier et que mon confrère Olivier Da Lage a eu bien raison de faire sortir en pleine lumière.
L’auteur ? Jean-François Mancel, député UMP de la 2ème circonscription de l’Oise, membre de la commission des finances de l’Assemblée et plein d’autres choses encore.
Le texte ? Une proposition de loi. Comme chacun sait les textes rédigés par les parlementaires sont dénommés proposition, par opposition à ceux du gouvernement appelés projets. Le Parlement a si fort à faire avec les réformes gouvernementales que généralement les propositions passent à la trappe. A moins d’un miracle toujours possible. Il ne faut donc pas s’emballer, mais il convient d’être vigilant.
L’objet ? La création d’un Conseil national de déontologie journalistique.
Les motifs ? Il s’agit de réagir aux dérives de la presse française (oui, je suis d’accord avec vous amis lecteurs, au moment même où l’empire Murdoch s’effondre et alors que nous avons avantageusement soutenu la comparaison avec nos confrères américains lors de l’affaire DSK sur la présomption d’innocence, puis sur le respect dû aux victimes, les parlementaires s’indignent de nos excès, c’est amusant). Le député s’appuie sur l’echec de la commission présidée par Bruno Frappat visant à adopter un code de déontologie pour estimer qu’il est temps que le législateur nous prenne par la main pour nous aider à nous auto-réguler. En soi, on ne peut critiquer l’idée, c’est sa traduction qui est discutable.
L’inspiration : La Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, les pays scandinaves disposent de conseils de la presse, lesquels ont pour mission, suivez bien c’est important, de :
- préserver la liberté rédactionnelle,
- contribuer à restreindre l’ingérence de l’Etat,
- favoriser la qualité de l’information,
- démontrer le sens de la responsabilité des médias,
- aider le public à accéder aux médias.
Donc la France doit faire de même. Dans un précédent billet très intéressant, Olivier souligne que le conseil britannique n’a pas été très efficace pour empêcher les dérives de la presse anglaise, mais bon. Admettons quand même d’ouvrir le débat, on n’a jamais rien à perdre à réfléchir. Surtout que Jean-François Mancel insiste sur la notion d’auto-régulation, histoire d’éviter une levée de boucliers. L’auto-régulation justement, cela consiste pour une profession à se gérer elle-même, entièrement et exclusivement. Or, ce n’est pas tout à fait cela qu’on nous propose en pratique. Le texte tend plutôt à organiser l’amorce d’une régulation partagée.
Ce Conseil national serait en effet composé de 21 membres dont 7 représentants des éditeurs de presse, 7 représentants des journalistes et 7 représentants de la société civile. Comme le souligne Olivier, c’est dans la représentation de la société civile que le bât blesse. Non pas tant sur le principe en soi, que sur le mode de désignation de ses membres, lequel est renvoyé à un décret, c’est-à-dire au bon vouloir du gouvernement (article 2). Or, souvenez-vous, dans l’exposé des motifs, le député évoquait l’une des vocation de ce type de conseil chez nos voisins européens : « contribuer à restreindre l’ingérence de l’Etat ». En lui confiant le soin de fixer les modalités de désignation de 7 membres sur 21 ? Drôle de restriction ! Surtout que c’est aussi par décret que l’on fixera le mode de désignation des membres du comité exécutif. On restreint, on restreint. A cela s’ajoute le fait que le comité se verra adjoint un représentant du ministère de la culture, certes avec voix consultative, mais tout de même. Toujours pour restreindre l’ingérence de l’Etat, je suppose…
D’ailleurs c’est amusant, quand on lit l’article 1 qui définit les missions du conseil, il n’est fait nulle part mention de la liberté rédactionnelle, ni de l’ingérence de l’Etat, pas même de l’accès au public des médias. Notre conseil à nous ne sera qu’un père fouettard. Il est chargé en effet de veiller à la qualité de l’information, au renforcement de notre crédibilité et au respect de l’éthique. La liberté et l’indépendance sont passées à la trappe. C’est magique !
Le comité exécutif, dont le mode de désignation sera fixé par le gouvernement, aura vocation à définir le réglement intérieur du Conseil. Nous sommes toujours dans la logique de restriction de l’influence de l’Etat comme vous le voyez (article 3).
L’article 5 nous apprend que cet aimable conseil sera financé par la profession, c’est-à-dire par chaque journaliste et chaque éditeur de presse qui en sera obligatoirement membre. L’Etat décide et co-dirige, nous payons. Logique.
L’article 6 institue un système d’examen des plaintes, dans lequel le conseil a avant tout un rôle de médiateur et doit par ailleurs se déclarer incompétent si la justice vient à être saisie du dossier. Il n’est habilité qu’à prononcer des « sanctions morales ». On sent bien à ce stade que le député a choisi d’avancer sur la pointe des pieds. Nous partons d’une situation décrite comme insupportable dans l’exposé des motifs, pour arriver à un conseil au rôle de médiation et dont la seule arme consiste à désapprouver la faute. Entre nous, il faudrait savoir. Soit le journalisme français est dans un état de déliquescence morale insupportable et dans ce cas il faut créer en plus des solutions judiciaires une véritable instance disciplinaire, soit ce n’est pas le cas et alors pourquoi mettre en place ce qui ressemble fort à un comité Théodule ? Nous serions face à une stratégie du pied dans la porte que ça ne m’étonnerait pas outre mesure.
Mais le point d’orgue est l’article 7 : dans les trois mois de la création du conseil, un comité représentatif de l’ensemble des professionnels du journalisme et des différents médias, dont la composition sera fixée…..par décret bien sûr – vous avez saisi la logique – sera chargé de rédiger un code de déontologie. Et ce code sera validé…eh oui, vous avez deviné, par décret. Le diable est dans les détails. Puisqu’il sera soumis à l’approbation du gouvernement, ce-dernier pourra imposer les modifications qui lui paraîtront nécessaires. Et la profession devra demander l’autorisation pour toute modification ultérieure. C’est ce qui est arrivé aux commissaires aux comptes avec la loi de sécurité financière de 2003. Eux aussi s’auto-régulaient. Aujourd’hui, ils sont sous la coupe d’une instance de régulation dans laquelle ils n’ont plus qu’une représentation minoritaire et qui définit leurs règles de déontologie. Elle le fait d’ailleurs de façon si contestable que la Commission européenne a enjoint à la France récemment de réviser le texte qu’elle jugeait trop restrictif par rapport aux autres pays européens. Ce que les commissaires aux comptes ne cessaient de hurler sur tous les tons. Le Conseil d’Etat, saisi par les professionnels, avait quant à lui jugé le texte parfaitement conforme…
Jean-Luc Martin-Lagardette qui a écrit des ouvrages passionnants sur la déontologie de la presse, réagit dans un article de façon assez rude aux critiques d’Olivier : « La résistance d´Olivier Da Lage cache en fait, selon nous, le refus persistant de la profession de rendre des comptes au public, de lui donner des garanties sur l’exigence de qualité et d’équité qui est attendue d’elle ». En ce qui me concerne, j’ai toujours pensé que la profession avait besoin de se souder autour d’un texte commun, fort, qui définisse ses droits et ses devoirs et qu’elle puisse opposer aux tiers autant qu’on puisse le lui opposer. De la même façon, je ne serais pas opposée loin de là à un conseil national en charge de veiller au respect de l’éthique, mais aussi de nous représenter, de veiller à la préservation de nos valeurs et de nos règles professionnelles. A condition que l’on s’inscrive dans le cadre d’une réelle auto-régulation, à l’instar des avocats, qui sont confrontés à la même impérieuse nécessité que nous de préserver leur indépendance à l’égard des pouvoirs publics. Or, la proposition de Jean-François Mancel n’offre aucune garantie de cette indépendance. J’en veux pour preuve l’article 1 qui n’évoque au titre des mission du Conseil, ni la préservation de la liberté de la presse, ni celle de son indépendance. Plus qu’un symbole, cet oubli est un aveu.
Note : je n’ai pas trouvé les liens permanents des billets d’Olivier, les articles que je cite sont datés respectivement du 24 juillet pour la critique du Conseil, et du 17 juillet en ce qui concerne l’échec du modèle britannique.
La Plume d'Aliocha - Blogueuse associée | Mercredi 27 Juillet 2011 à 16:01
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propositionloi.pdf (107.44 Ko)
http://www.marianne2.fr/Journalisme-la-deontologie-contre-l-independance_a208839.html
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