samedi 30 juillet 2011

L’enseignement des langues est-il réellement de mauvaise qualité?

langues« Un Flamand ne doit pas être bilingue mais trilingue », affirme Pascal Smet, le ministre flamand de l’Enseignement. Outre une connaissance parfaite du néerlandais, l’homme prône l’apprentissage de la deuxième langue du pays, le français, et de la langue véhiculaire européenne, l’anglais. L’allemand restera la quatrième langue pour les élèves flamands, mais les écoles pourront aussi, sous certaines conditions, proposer les autres langues de l’Union européenne ainsi que celles des pays « BRIC » (Brésil, Russie, Inde et Chine).

Et en Communauté française? Point de plan Marshall du multilinguisme à l’horizon. A vrai dire, la situation est préoccupante. Il y a quelques mois, une thèse déposée à l’UCL dressait un rapport accablant sur la situation des langues côté francophone : imprécision des programmes, manque « flagrant » de cohérence entre établissements scolaires quant aux objectifs poursuivis, pauvreté du matériel, classes surpeuplées, etc. Son auteur, Dany Etienne, assistant à l’UCL en didactique des langues et prof d’anglais et allemand au niveau secondaire, a accepté de répondre aux questions de nos utilisateurs.

Peut-on vraiment dire que l’enseignement des langues en Communauté française laisse à désirer?
Non. Pas du tout. Les impressions exprimées par les étudiants à l’occasion de notre recherche (faite sous la direction du Prof. Pierre Godin) sont à classer en deux grandes catégories. Les satisfaits sont ceux qui ont suivi un parcours de langue moderne (dite) 1 à raison de 4h/sem (donc 6 années d’enseignement à 4h/sem) ainsi que ceux qui ont suivi une langue moderne (dite) 2, c’est à dire durant au moins 4 années à raison de 4h/sem. Les étudiants moins satisfaits sont en majorité ceux qui ont soit suivi un parcours moins cohérent (changement de langue en cours de parcours, abandon de la LM1 au profit d’autres options, etc), soit ceux qui ont choisi des options plus faibles en langues, généralement les options 2h/sem. Il faut également préciser que nous avons mesuré leur degré de satisfaction par rapport aux exigences de l’enseignement supérieur (universitaire et non universitaire) et non par rapport à un idéal utopique comme celui évoqué par Mme Onkelinx, le bilinguisme.

Ces déclarations de 1996 ont fait et continuent à faire énormément de dégâts. En effet, si l’on compare les performances de nos élèves à la sortie du secondaire à celles d’un natif, on ne peut être que déçu, que l’on soit élève ou parent. Déconstruire ce mythe du bilinguisme était une des visées de notre travail. Nous voulions rédiger des objectifs clairs et réalistes pour l’apprentissage d’une langue étrangère dans le contexte scolaire de la Communauté française. Si cette dernière s’attelle à rédiger de nouveaux programmes scolaires, elle devrait tenir compte d’une partie de notre travail et clairement y faire apparaître le fait que le bilinguisme n’est pas l’objectif des cours de langues étrangères. Nous sommes convaincus que, de pair avec une communication adéquate au grand public, cela évitera bien des déceptions et contribuera à rendre du crédit à la formation en langues dispensée dans l’enseignement obligatoire.

Déconstruire le mythe du bilinguisme

Si oui, est-ce les enseignants qui en sont responsables?
Même si ma réponse à la première question est non, permettez-moi de rebondir ici sur la notion de « responsabilité » que vous évoquez. Si l’on considère la partie des répondants à nos enquêtes qui nous fait part d’une insatisfaction, nous devons constater que ce sont donc bien souvent les étudiants au parcours moins cohérent ou ayant choisi des options en langues plus faibles qui constituent la majorité des cas. Si donc il faut pointer un responsable (parmi d’autres), nous dirions que c’est le système scolaire qui permet aux parents et aux élèves de choisir parmi une dizaine de parcours différents en langues.

La Communauté française devrait pour le moins réfléchir à cette donnée et envisager une rationalisation des parcours possibles. Toutefois, cette faille du système ne peut être tenue pour seule responsable des insatisfactions. Bien des enseignants (et des étudiants!) tant du secondaire que du supérieur nous font part de grandes lacunes dans les connaissances lexicales et grammaticales des étudiants. Cela aussi est dû « au système », plus précisément aux programmes scolaires qui mettent trop l’accent sur le communicationnel et négligent les aspects plus formels de l’apprentissage d’une langue. Bien qu’il y ait eu des assouplissements des premières directives et qu’il y a des différences entre le « réseau officiel » et le « libre », il faut reconnaître que l’inspection et le conseil pédagogique ont eu tendance à stigmatiser l’étude et l’évaluation du vocabulaire et de la grammaire à un point tel que bien des enseignants ne savent toujours pas aujourd’hui si oui ou non (et dans quelle mesure) ils peuvent évaluer le code. Concernant ce point aussi, des directives plus claires et surtout moins dogmatiques aideront certainement à améliorer la situation globale. Enfin, cette question sur la responsabilité est une question très difficile dans la mesure ou les facteurs sont multiples et que seule une action conjointe sur différents fronts pourra vraisemblablement améliorer la situation. Il ne faut en effet pas oublier la formation initiale des enseignants qui peut être améliorée, ainsi que la qualité et l’offre de la formation continuée, sans oublier le nombre d’élèves par classe, le matériel, etc. Pour conclure sur ce point, je me dois aussi de souligner qu’il y a un facteur (primordial dans l’apprentissage) sur lequel il est fort difficile d’agir : la motivation des élèves. Sans motivation, il sera toujours difficile d’apprendre quoi que ce soit. (Nous pourrions continuer ici à parler du rôle des enseignants en ce qui concerne la motivation des élèves, c’est certain, mais il conviendrait alors aussi de parler du rôle des parents, ce qui nous mènerait trop loin).

Une différence entre acquisition et apprentissage


Quelles améliorations préconisez-vous afin de rendre l’enseignement plus efficace?
Il faudrait essentiellement:
  1. Déterminer des priorités en matière d’enseignement des langues.
  2. Définir des objectifs clairs et réalistes en se détachant des considérations méthodologiques trop présentes dans les référentiels actuels.
  3. Rationaliser les choix possibles en matière de parcours scolaires en langues.
  4. Limiter le nombre d’élèves par classe (au moins pour une voire deux heures sur quatre).
  5. Commencer l’apprentissage des deux langues étrangères plus tôt (une déjà dès la troisième maternelle par exemple, à travers des activités d’éveil, etc).
  6. Equiper les locaux de langues avec tout le matériel nécessaire (en bon état de fonctionnement).
  7. Améliorer tant la formation initiale que l’offre et la qualité des formations continuées.
En Wallonie, apprendre une seconde langue en 5e primaire, n’est-ce pas tard? Ne devrait-on pas s’inspirer de ce qui se fait à Bruxelles où les élèves découvrent le néerlandais dès la 3e primaire?
Bien évidemment. En Communauté germanophone aussi (si mes renseignements sont exacts), on démarre l’apprentissage d’une langue étrangère (par exemple le français) dès la maternelle. L’âge atteint par les élèves en 5ème primaire est déjà un âge « critique ». Pour simplifier, on peut dire que c’est un âge à partir duquel on n’acquiert plus une langue (comme on acquiert sa langue maternelle), mais bien où on doit l’apprendre. La distinction entre acquisition et apprentissage n’est pas un simple jeu de mots. C’est une différence fondamentale dans le domaine des langues qu’il conviendrait de davantage prendre en compte.

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