Ce n’est pas la joie dans les universités françaises.-19PATRICK HERTZOG/AFP-
DECRYPTAGE - Un chercheur a passé trois systèmes d’enseignement supérieur à la loupe et c’est éloquent ! En Suède, les étudiants composent eux-mêmes leur cursus tandis que les Anglais évaluent le mérite des élèves au cas par cas. En France, l’obsession du diplôme prédomine.
Sur un campus suédois, l’étudiant français serait largué. Il devrait choisir lui-même ses matières pour composer un cursus hétérogène, pouvant mêler physique et littérature. Tremblant d’avoir une responsabilité dans des choix si cruciaux, il s’étonnerait en plus que ses camarades aient 28 ans et ne vivent plus au crochet de leurs parents depuis leur bac. Car d’un pays à l’autre, les modèles d’éducation varient en fonction des représentations sociales et de politiques réglées sur des logiques bien différentes. Nicolas Charles, sociologue au Centre Emile Durkheim (Université Bordeaux Segalen), a comparé à la loupe les systèmes d’enseignement supérieur de la Suède, la France et l’Angleterre dans sa thèse .À chaque étape majeure de la vie d’un étudiant, ils témoignent de conceptions opposées. Et face à ses voisins, le système français s’avère le plus rigide.
Evaluer la méritocratie selon les notes ou le contexte familial?
A chacun sa conception de la méritocratie. En France, elle ne se définit qu’à travers les résultats scolaires: la moyenne générale reste l’unique prisme de sélection. Vos notes du bac et votre mention vous enverront en IUT ou prépa, et celles de prépa dans les meilleures grandes écoles.Parce que la société considère que l’enseignement secondaire républicain offre à chaque jeune le même socle et les mêmes outils de savoir, c’est là le seul moyen objectif de distinguer la «valeur» de l’élève. Comme si l’école avait éradiqué tout déterminisme social .«Lors des concours, tout le monde passe la même épreuve au même moment. Avec l’idée que si l’égalité parfaite règne entre eux, alors que le meilleur gagne!», développe Nicolas Charles.
En Suède, on sait qu’aucune mesure de la méritocratie parfaite n’existe. Les universités se fient alors à deux systèmes d’évaluation complémentaires: la moyenne générale au bac et un test d’aptitude national. Surtout destiné à favoriser les élèves «non-scolaires» mais pourtant très capables, ce dernier comporte des tests psycho-techniques, un test d’anglais, de connaissances et de vocabulaire. «On peut avoir quelqu’un qui n’a jamais réussi à l’école mais qui peut reprendre ses études grâce au test. Souvent, il y a une grande différence entre les résultats de ce test et les notes scolaires», explique Nicolas Charles.
En Angleterre, c’est la politique du cas par cas. Chaque dossier de candidat est passé au peigne fin pour rendre compte du mérite de l’élève. Les bulletins scolaires sont regardés à la lumière du contexte social dans lequel a grandi l’élève: famille, nombre de frères et soeurs, origines ethnique et territoriale. «Les Anglais prennent vraiment en compte l’idée de potentiel», note Nicolas Charles. Ainsi, un élève de milieu défavorisé qui aura 11/20 de moyenne en terminale aura de meilleures chances d’être admis dans une bonne université qu’un enfant de famille bourgeoise avec un 12/20 de moyenne.
Composer son cursus comme un menu
Une fois étudiants, les Français n’ont qu’à choisir un cursus déjà pensé pour eux, en adéquation avec les attentes des professionnels. «On s’appuie surtout sur les compétences professionnelles pour se former à un métier, avec une spécialité. L’important, c’est d’aller dans la filière qui compte, tout de suite après le bac, sans retard ni reprise future. Impossible de s’arrêter en route, on aurait trop peur de ne jamais avoir le courage de reprendre. C’est presque de l’auto-censure», commente Nicolas Charles.
« Après 13 ans au collège et au lycée, les Suédois se disent qu’ils peuvent faire autre chose qu’étudier tout de suite après leur bac ». Nicolas Charles, chercheur en sociologie.
Plus flexibles, les deux pays voisins ne font pas un drame d’une réorientation ou d’une année sabbatique, appelée «Gap Year ».«À 18 ans, les étudiants suédois sont empreints de la “skoltrött ”, la lassitude de l’école. L’idée est qu’après 13 ans de scolarité, ils peuvent faire autre chose. Certains s’arrêtent un an, d’autres trois, puis reprennent le cours de leurs études ensuite». La scolarité ne se fait pas en continu: les Suédois articulent sur six ans environ leurs activités personnelles et professionnelles, entre semestres d’études, voyages et emplois divers .Ils composent leur cursus comme un collier de perles très différentes, en enfilant des semestres des matières de leur choix, les uns après les autres. Tandis qu’en France, il faut respecter un cursus cohérent dans une même matière, chaque semestre validé est un acquis définitif. L’étudiant suédois peut obtenir sa licence avec un semestre de physique, deux d’histoire et trois de sociologie. Il devra juste choisir 3 semestres d’une même matière pour définir sa spécialité.
L’Angleterre est entre deux eaux. Certains parcours sont déjà pré-établis et d’autres proposent des cursus bi-disciplinaires dont l’étudiant choisira librement les deux composantes. En France, ces parcours hybrides existent, timidement, mais avec des couples de matières déjà conçus par l’université.
En France, l’étudiant est au crochet de sa famille
D’un pays à l’autre, l’étudiant n’a pas la même autonomie financière. Les Suédois jouissent d’une scolarité gratuite. Ils disposent de 200 euros par mois de subvention de l’Etat pour 12 semestres d’études, soit six ans, valables jusqu’à leurs 54 ans! Ils peuvent également contracter un prêt étudiant d’environ 500 euros par mois à faible taux d’intérêt, remboursable jusqu’à leurs 45 ans! Un prêt qu’ils remboursent au fur et à mesure des petits boulots qu’ils effectuent lors de leurs pauses académiques. «Pour les Suédois, l’étudiant est un individu autonome. Sa famille n’a pas forcément l’obligation de le soutenir, contrairement à la conception des pays du Sud de l’Europe», explique Nicolas Charles. La France ne lâche pas son système familiariste: les bourses sont calculées sur les revenus des parents et le reste des aides comme les APL restent faibles. Après 28 ans, impossible de toucher des aides pour ses études.
En Angleterre, les étudiants font face à un coût de la vie étudiante très élevé en faisant appel au système de prêt public étudiant, qui encourage toutes les catégories sociales à se ruer à l’université. Pour cela, le futur diplômé ne doit rembourser son prêt seulement s’il gagne plus de 20.000 euros par an. Et s’il reste dans une situation précaire, au bout de 25 ans, il n’a plus à rembourser sa dette... les contribuables s’en chargeront!
Le diplôme comme seule valeur face au recruteur français
Formation et insertion professionnelle étant étroitement imbriquées, là encore les approches divergent. Face au recruteur français, l’originalité ne paie pas. «La France garde un système assez conservateur, avec des voies fixées à respecter. Le recruteur va regarder quelle école a fait le candidat, sa spécialité, ses stages et voilà», illustre le chercheur en sociologie. Alors que le Français n’a rien d’autre à valoriser que son diplôme, le Suédois et l’Anglais vont aussi mettre leurs expériences non-scolaires sur la table du recruteur, disposé aux compétences transversales. «En Angleterre, on demandera la mention de la licence puis on va s’intéresser aux autres activités extra-scolaires qu’a fait le jeune. En Suède, on va aussi vendre sa gap year, ses petits boulots, son activité associative... Car on est perçu comme un individu et non un “diplômé”».
DECRYPTAGE - Un chercheur a passé trois systèmes d’enseignement supérieur à la loupe et c’est éloquent ! En Suède, les étudiants composent eux-mêmes leur cursus tandis que les Anglais évaluent le mérite des élèves au cas par cas. En France, l’obsession du diplôme prédomine.
Sur un campus suédois, l’étudiant français serait largué. Il devrait choisir lui-même ses matières pour composer un cursus hétérogène, pouvant mêler physique et littérature. Tremblant d’avoir une responsabilité dans des choix si cruciaux, il s’étonnerait en plus que ses camarades aient 28 ans et ne vivent plus au crochet de leurs parents depuis leur bac. Car d’un pays à l’autre, les modèles d’éducation varient en fonction des représentations sociales et de politiques réglées sur des logiques bien différentes. Nicolas Charles, sociologue au Centre Emile Durkheim (Université Bordeaux Segalen), a comparé à la loupe les systèmes d’enseignement supérieur de la Suède, la France et l’Angleterre dans sa thèse .À chaque étape majeure de la vie d’un étudiant, ils témoignent de conceptions opposées. Et face à ses voisins, le système français s’avère le plus rigide.
Evaluer la méritocratie selon les notes ou le contexte familial?
A chacun sa conception de la méritocratie. En France, elle ne se définit qu’à travers les résultats scolaires: la moyenne générale reste l’unique prisme de sélection. Vos notes du bac et votre mention vous enverront en IUT ou prépa, et celles de prépa dans les meilleures grandes écoles.Parce que la société considère que l’enseignement secondaire républicain offre à chaque jeune le même socle et les mêmes outils de savoir, c’est là le seul moyen objectif de distinguer la «valeur» de l’élève. Comme si l’école avait éradiqué tout déterminisme social .«Lors des concours, tout le monde passe la même épreuve au même moment. Avec l’idée que si l’égalité parfaite règne entre eux, alors que le meilleur gagne!», développe Nicolas Charles.
En Suède, on sait qu’aucune mesure de la méritocratie parfaite n’existe. Les universités se fient alors à deux systèmes d’évaluation complémentaires: la moyenne générale au bac et un test d’aptitude national. Surtout destiné à favoriser les élèves «non-scolaires» mais pourtant très capables, ce dernier comporte des tests psycho-techniques, un test d’anglais, de connaissances et de vocabulaire. «On peut avoir quelqu’un qui n’a jamais réussi à l’école mais qui peut reprendre ses études grâce au test. Souvent, il y a une grande différence entre les résultats de ce test et les notes scolaires», explique Nicolas Charles.
En Angleterre, c’est la politique du cas par cas. Chaque dossier de candidat est passé au peigne fin pour rendre compte du mérite de l’élève. Les bulletins scolaires sont regardés à la lumière du contexte social dans lequel a grandi l’élève: famille, nombre de frères et soeurs, origines ethnique et territoriale. «Les Anglais prennent vraiment en compte l’idée de potentiel», note Nicolas Charles. Ainsi, un élève de milieu défavorisé qui aura 11/20 de moyenne en terminale aura de meilleures chances d’être admis dans une bonne université qu’un enfant de famille bourgeoise avec un 12/20 de moyenne.
Composer son cursus comme un menu
Une fois étudiants, les Français n’ont qu’à choisir un cursus déjà pensé pour eux, en adéquation avec les attentes des professionnels. «On s’appuie surtout sur les compétences professionnelles pour se former à un métier, avec une spécialité. L’important, c’est d’aller dans la filière qui compte, tout de suite après le bac, sans retard ni reprise future. Impossible de s’arrêter en route, on aurait trop peur de ne jamais avoir le courage de reprendre. C’est presque de l’auto-censure», commente Nicolas Charles.
« Après 13 ans au collège et au lycée, les Suédois se disent qu’ils peuvent faire autre chose qu’étudier tout de suite après leur bac ». Nicolas Charles, chercheur en sociologie.
Plus flexibles, les deux pays voisins ne font pas un drame d’une réorientation ou d’une année sabbatique, appelée «Gap Year ».«À 18 ans, les étudiants suédois sont empreints de la “skoltrött ”, la lassitude de l’école. L’idée est qu’après 13 ans de scolarité, ils peuvent faire autre chose. Certains s’arrêtent un an, d’autres trois, puis reprennent le cours de leurs études ensuite». La scolarité ne se fait pas en continu: les Suédois articulent sur six ans environ leurs activités personnelles et professionnelles, entre semestres d’études, voyages et emplois divers .Ils composent leur cursus comme un collier de perles très différentes, en enfilant des semestres des matières de leur choix, les uns après les autres. Tandis qu’en France, il faut respecter un cursus cohérent dans une même matière, chaque semestre validé est un acquis définitif. L’étudiant suédois peut obtenir sa licence avec un semestre de physique, deux d’histoire et trois de sociologie. Il devra juste choisir 3 semestres d’une même matière pour définir sa spécialité.
L’Angleterre est entre deux eaux. Certains parcours sont déjà pré-établis et d’autres proposent des cursus bi-disciplinaires dont l’étudiant choisira librement les deux composantes. En France, ces parcours hybrides existent, timidement, mais avec des couples de matières déjà conçus par l’université.
En France, l’étudiant est au crochet de sa famille
D’un pays à l’autre, l’étudiant n’a pas la même autonomie financière. Les Suédois jouissent d’une scolarité gratuite. Ils disposent de 200 euros par mois de subvention de l’Etat pour 12 semestres d’études, soit six ans, valables jusqu’à leurs 54 ans! Ils peuvent également contracter un prêt étudiant d’environ 500 euros par mois à faible taux d’intérêt, remboursable jusqu’à leurs 45 ans! Un prêt qu’ils remboursent au fur et à mesure des petits boulots qu’ils effectuent lors de leurs pauses académiques. «Pour les Suédois, l’étudiant est un individu autonome. Sa famille n’a pas forcément l’obligation de le soutenir, contrairement à la conception des pays du Sud de l’Europe», explique Nicolas Charles. La France ne lâche pas son système familiariste: les bourses sont calculées sur les revenus des parents et le reste des aides comme les APL restent faibles. Après 28 ans, impossible de toucher des aides pour ses études.
En Angleterre, les étudiants font face à un coût de la vie étudiante très élevé en faisant appel au système de prêt public étudiant, qui encourage toutes les catégories sociales à se ruer à l’université. Pour cela, le futur diplômé ne doit rembourser son prêt seulement s’il gagne plus de 20.000 euros par an. Et s’il reste dans une situation précaire, au bout de 25 ans, il n’a plus à rembourser sa dette... les contribuables s’en chargeront!
Le diplôme comme seule valeur face au recruteur français
Formation et insertion professionnelle étant étroitement imbriquées, là encore les approches divergent. Face au recruteur français, l’originalité ne paie pas. «La France garde un système assez conservateur, avec des voies fixées à respecter. Le recruteur va regarder quelle école a fait le candidat, sa spécialité, ses stages et voilà», illustre le chercheur en sociologie. Alors que le Français n’a rien d’autre à valoriser que son diplôme, le Suédois et l’Anglais vont aussi mettre leurs expériences non-scolaires sur la table du recruteur, disposé aux compétences transversales. «En Angleterre, on demandera la mention de la licence puis on va s’intéresser aux autres activités extra-scolaires qu’a fait le jeune. En Suède, on va aussi vendre sa gap year, ses petits boulots, son activité associative... Car on est perçu comme un individu et non un “diplômé”».
Par Lucile Quillet
Publié le 06/09/2013 à 19:40
http://etudiant.lefigaro.fr/le-labeducation/actualite/detail/article/l-enseignement-superieur-en-france-le-plus-conservateur-d-europe-2712/
Publié le 06/09/2013 à 19:40
http://etudiant.lefigaro.fr/le-labeducation/actualite/detail/article/l-enseignement-superieur-en-france-le-plus-conservateur-d-europe-2712/
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