Le nouveau feuilleton à la mode au Texas n'a pas pour objet les réserves pétrolières de l'état, comme "Dallas" dans les années 80, mais l'enseignement supérieur. Dans la tourmente financière, l'état a voté une réduction des dépenses pour ses universités publiques. Mais le débat sur le financement de l'enseignement supérieur au Texas tourne depuis quelques mois autour d'une opposition entre les conceptions de ce que doit être l'enseignement supérieur et le rôle des universités. Les tensions autour du budget de l'état pour 2011/2013 ont été l'occasion de faire éclater la polémique. Retour sur les derniers épisodes.
Le plan pour l'enseignement supérieur et les restrictions budgétaires
La nouvelle est tombée le 30 mai de manière définitive. L'enseignement supérieur public texan n'échappera pas aux coupes budgétaires nécessaires pour combler les 15 milliards de dollars de déficits prévus par l'état pour la période 2011/2013. Ce sont ainsi plus de 1,2 milliard de dollars que les parlementaires ont décidé de supprimer pour l'enseignement supérieur. Paradoxalement, le sentiment général est au soulagement ; les coupes prévues en début de législature étaient beaucoup plus sévères. Les établissements publics devraient voir leur financement par l'état, qui représente généralement 30 à 50% de leur budget, diminuer de 12 à 15% [1]. Une des principales réductions concerne le système de bourses aux étudiants, les TEXAS Grants. Elles devaient être purement et simplement supprimées pour tous les nouveaux entrants à l'université à la rentrée 2011. ...
Ces coupes budgétaires viennent mettre à mal la stratégie développée en 2000 par le Texas Higher Education Coordinating Board (THECB) [3]. Cette agence publique crée en 1965 a pour mission de coordonner les politiques de soutien de l'état au système publique d'enseignement supérieur. Le rapport "Closing the gaps" de 2000 définit les priorités et les actions à mettre en place afin de donner au Texas la place qu'il doit occuper dans l'enseignement supérieur américain [4]. Il faut, d'ici 2015, améliorer la proportion de jeunes poursuivant des études supérieures - notamment parmi les minorités hispaniques et afro-américaines, améliorer les taux de succès aux différents diplômes, assurer le développement de formations d'excellences et augmenter le profil en recherche des universités texanes. ...
Les sept solutions
Nous sommes le 21 mai 2008, à Austin, Texas. Le Gouv. Rick Perry a invité tous les membres des "Board of Regents" - sorte de conseil d'administration - des systèmes d'universités publiques texanes [7] à une conférence pendant laquelle "certains des plus grands experts en enseignement supérieur du pays" vont discuter des "coûts et de la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche" [8]. Le gouverneur nomme les membres des "board of regents" à un rythme de trois tous les deux ans, chaque board comptant neuf membres. ...
Lors de l'évènement, Jeff Sandefer, qui est membre du Board de la TPPF ..., présente les "seven breakthrough solutions" pour remédier à un supposé manque d'efficacité dans l'utilisation des financements publics pour l'enseignement supérieur et la recherche [10]. Mesurer la qualité de l'enseignement, obtenir des preuves des qualités pédagogiques des enseignants avant leur titularisation (tenure) ou encore mettre le financement des bourses universitaires de l'état dans les mains des étudiants font partie des sept solutions. La plus controversée est la troisième proposition qui invite les universités à séparer leurs budgets recherche et enseignement. La TPPF assure que l'objectif est alors de promouvoir l'excellence dans les deux domaines là où les opposants voient une manière de démanteler la recherche à l'université. ...
Le rapport ..., "Higher Education Cost Efficiencies", part à la chasse aux économies possibles dans l'enseignement supérieur public [11]. Le total des estimations chiffrées promet près de 4,5 milliards de dollars d'économies en quatre ans. Parmi les propositions, on retrouve la dématérialisation de 10% de toutes les heures de cours ou l'augmentation de 10% du nombre d'heures d'enseignement des personnels titulaires. Des propositions en droite ligne avec celles que soutient la TPPF. ...
La définition que M. O'Donnell [conseiller spécial] donne de "recherche académique" est aussi particulièrement intéressante : "Quand les enseignants-chercheurs parlent de recherche académique, ils ne se réfèrent pas en général à un travail effectué dans un laboratoire scientifique, mais à des articles savants ésotériques écrit pour des obscurs journaux académiques. Plus de deux millions de ces articles sont publiés chaque année, détournant des dizaines de milliards de dollars des contribuables, qui pourraient être dépensés pour former des étudiants." [15] ... il n'y a aucune preuve d'une corrélation entre les dépenses des Etats dans l'éducation supérieure, et la croissance économique." L'auteur du pamphlet continue en disant que la clé pour fournir à la prochaine génération de Texans une vie satisfaisante se trouve dans le retour des universités à leur mission d'origine, l'enseignement [16]. ...
Parmi les mesures critiquées, le fait que l'université se mette à suivre les dépenses et les revenus réalisés par chaque professeur avait fait grand bruit. ... L'AAU qui regroupe les plus prestigieuses universités de recherche américaine, dont Texas A&M, voit d'un très mauvais oeil les sept solutions et leur application progressive dans l'université texane. Pour Berdahl, ces "solutions démontrent une compréhension nulle ou très limitée de la nature de l'enseignement supérieur." ...
Une loi modifiant le financement des universités par l'état des institutions non en fonction du nombre d'étudiants mais en fonction des taux de succès des étudiants et le nombre de diplômes délivrés a failli être votée [22]. Une telle loi correspondrait à ce qui est préconisé dans le cadre des sept solutions....
De manière générale, les promoteurs du changement et des "sept solutions" voient la recherche d'un mauvais oeil [24]. Pour eux, les universités ont inversées leurs priorités, plaçant la recherche en première position au détriment de l'enseignement. Dans leur discours, ils soutiennent que les professeurs titulaires (tenured), par exemple, se concentrent sur la recherche et n'enseignent presque plus, du moins pas assez. Privilégier la recherche entraînerait aussi l'augmentation des coûts de fonctionnement de l'université qui se répercutent sur l'état et sur les frais d'inscription. ... Au fond, quel est le rôle de l'Université ? La recherche ? L'enseignement ? Les deux sont distincts ? Les étudiants, sont ils des clients, des customers ? S'agit-il là d'une fausse discussion, initiée uniquement à des fins politiques, ou y-a-t il là des vraies questions, auxquelles l'université devra tôt ou tard répondre ? ...
Il est clair ... qu'une idéologie bien précise est entrée en action. Une idéologie qui voudrait monétiser l'Université et son rôle dans la société. Dans sa naïveté apparente, l'opposition entre 'recherche en laboratoire' et 'publications ésotériques' traduit le malaise de ceux qui voudraient que chaque dollar donné à la recherche se transforme en richesse pour l'Etat et pour la collectivité des contribuables, ou du moins en étudiants satisfaits de leurs cours. De plus, Ms. Perry et O'Donnell ne sont pas des universitaires, et partagent le sentiment de tous ceux qui trouvent anormal que les universitaires, seuls à comprendre leurs recherches ésotériques, soient aussi les seuls capables de les juger et de les évaluer. Ce qui les met aussi hors de portée du pouvoir politique,
Cependant, le problème de l'évaluation de la recherche, et encore plus de celle de l'enseignement, n'est pas un problème américain. Et si la recherche a au moins la spécificité de 'produire' ces fameuses publications ésotériques, que l'on peut au pire compter, ou du moins compter ceux qui les citent, l'évaluation de l'enseignement est un vrai casse-tête. La solution qui consiste à faire noter les enseignants pas les étudiants-et donc à mesurer l'efficacité de l'enseignement en termes de la satisfaction des étudiants à la sortie des classes-est aussi simpliste et insatisfaisante que celle qui consiste à compter les publications des chercheurs dans l'évaluation de la recherche.
Mais, comme on l'a vu, un autre aspect de l'idéologie à l'oeuvre se manifeste dans cette affaire : la recherche et l'enseignement sont considérés comme deux activités totalement distinctes, au mieux, et en compétition, au pire. La recherche coûte de l'argent sans beaucoup de contrepartie, l'enseignement est la seule entreprise productive-production qui se mesure en nombre de diplômés-de l'Université.
Enseignement, oui : mais de quoi ? Nulle part, dans ces discussions, n'apparaît un effort de compréhension de la nature profonde de l'Université en tant qu'institution vouée à la formation. Pourquoi appelle-t-on l'enseignement universitaire 'supérieur' ? Il faut avouer qu'en anglais, s'agissant d'une higher education qui fait suite aux high schools, on peut avoir l'impression qu'il ne s'agit que d'une question d'âge des étudiants. Le fait essentiel que les Universités soient les lieux où l'on participe-par la recherche-à la construction de ce savoir que l'on transmet aux étudiants, semble échapper totalement aux participants au débat.
Voilà donc que la discussion se trouve radicalement faussée : s'il est vrai que la raison d'être de l'Université est la transmission du savoir, il est aussi vrai que le savoir qu'elle transmet doit être-au moins en partie-généré entre ses murs. Sinon, l'université dont on parle n'est qu'un super-lycée, qui n'a de higher, en effet, que l'âge moyen de ses étudiants. Ce genre d'institutions existent aux USA, et s'appellent Colleges, et Community Colleges, établissements d'éducation post-lycée dans lesquels il n'y a pas d'activité de recherche statutaire.
Quant à l'idée que des millions d'articles sans intérêt seraient publies chaque année... il faut bien comprendre que l'intérêt de la recherche réside justement dans le fait que l'on ne sait pas en avance ce que l'on va trouver, et que les applications de ses résultats ne sont pas nécessairement évidentes; à tel point, que se faire guider par des applications potentielles est rarement fructueux en recherche. Un exemple bien connu d'un instrument révolutionnaire qui n'a pas été reconnu comme tel-et n'a trouvé d'applications-que très long temps après son invention, est le laser. Significativement, un de ses "pères" le physicien Arthur Schawlow, déclarait en 1981 lorsqu'on lui remettait le prix Nobel : "Nous pensions qu'il (le laser) aurait pu être utilisé pour les communications, et la recherche, mais nous n'avions aucune application à l'esprit. Si on en avait eues, ça aurait pu nous faire obstacle, et le résultat aurait pu ne pas avoir été aussi bon."
En guise de conclusion... pour l'instant
La guerre de l'enseignement supérieur au Texas a bel et bien commencé. Et comme toujours, au coeur de la guerre, il y a l'argent. Le Texas républicain est convaincu que si les industriels viennent s'installer dans la région, ce n'est pas grâce à l'attrait de son tissu culturel, scientifique, et technique, mais grâce aux cadeaux fiscaux dont la législation de l'état est truffée. ... Les Universités sont priées de s'en accommoder sans protester, et même de réduire le coût des enseignements : le Gouverneur Perry leur a demande de trouver un moyen de proposer aux étudiants un cursus de Bachelor (4 ans) a $10.000, c'est-à-dire $2 500 par an. Ce qui ne va pas de soi, puisque les frais universitaires moyens dans l'Etat tournent plutôt autour de $8.000 par an...
Dans le numéro du printemps 2002 de The Independent Review, Dr. Vedder a publié un article [25] sur les For-Profit schools [26,27]. Dans cet article le savoir est traité comme un bien qui se vend et qui s'achète, et on y préconise que les universités et écoles for-profit seront plus a même de répondre à la demande de savoir-et de diplômes-d'une société dont le niveau de bien-être matériel est prévu en augmentation constante. ...
Les enseignants-chercheurs n'entendent pas rester les bras croisés se faire crucifier publiquement, et surtout n'acceptent pas que, contre toute logique, l'on présente des "solutions" à un problème inexistant.
Le plan pour l'enseignement supérieur et les restrictions budgétaires
La nouvelle est tombée le 30 mai de manière définitive. L'enseignement supérieur public texan n'échappera pas aux coupes budgétaires nécessaires pour combler les 15 milliards de dollars de déficits prévus par l'état pour la période 2011/2013. Ce sont ainsi plus de 1,2 milliard de dollars que les parlementaires ont décidé de supprimer pour l'enseignement supérieur. Paradoxalement, le sentiment général est au soulagement ; les coupes prévues en début de législature étaient beaucoup plus sévères. Les établissements publics devraient voir leur financement par l'état, qui représente généralement 30 à 50% de leur budget, diminuer de 12 à 15% [1]. Une des principales réductions concerne le système de bourses aux étudiants, les TEXAS Grants. Elles devaient être purement et simplement supprimées pour tous les nouveaux entrants à l'université à la rentrée 2011. ...
Ces coupes budgétaires viennent mettre à mal la stratégie développée en 2000 par le Texas Higher Education Coordinating Board (THECB) [3]. Cette agence publique crée en 1965 a pour mission de coordonner les politiques de soutien de l'état au système publique d'enseignement supérieur. Le rapport "Closing the gaps" de 2000 définit les priorités et les actions à mettre en place afin de donner au Texas la place qu'il doit occuper dans l'enseignement supérieur américain [4]. Il faut, d'ici 2015, améliorer la proportion de jeunes poursuivant des études supérieures - notamment parmi les minorités hispaniques et afro-américaines, améliorer les taux de succès aux différents diplômes, assurer le développement de formations d'excellences et augmenter le profil en recherche des universités texanes. ...
Les sept solutions
Nous sommes le 21 mai 2008, à Austin, Texas. Le Gouv. Rick Perry a invité tous les membres des "Board of Regents" - sorte de conseil d'administration - des systèmes d'universités publiques texanes [7] à une conférence pendant laquelle "certains des plus grands experts en enseignement supérieur du pays" vont discuter des "coûts et de la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche" [8]. Le gouverneur nomme les membres des "board of regents" à un rythme de trois tous les deux ans, chaque board comptant neuf membres. ...
Lors de l'évènement, Jeff Sandefer, qui est membre du Board de la TPPF ..., présente les "seven breakthrough solutions" pour remédier à un supposé manque d'efficacité dans l'utilisation des financements publics pour l'enseignement supérieur et la recherche [10]. Mesurer la qualité de l'enseignement, obtenir des preuves des qualités pédagogiques des enseignants avant leur titularisation (tenure) ou encore mettre le financement des bourses universitaires de l'état dans les mains des étudiants font partie des sept solutions. La plus controversée est la troisième proposition qui invite les universités à séparer leurs budgets recherche et enseignement. La TPPF assure que l'objectif est alors de promouvoir l'excellence dans les deux domaines là où les opposants voient une manière de démanteler la recherche à l'université. ...
Le rapport ..., "Higher Education Cost Efficiencies", part à la chasse aux économies possibles dans l'enseignement supérieur public [11]. Le total des estimations chiffrées promet près de 4,5 milliards de dollars d'économies en quatre ans. Parmi les propositions, on retrouve la dématérialisation de 10% de toutes les heures de cours ou l'augmentation de 10% du nombre d'heures d'enseignement des personnels titulaires. Des propositions en droite ligne avec celles que soutient la TPPF. ...
La définition que M. O'Donnell [conseiller spécial] donne de "recherche académique" est aussi particulièrement intéressante : "Quand les enseignants-chercheurs parlent de recherche académique, ils ne se réfèrent pas en général à un travail effectué dans un laboratoire scientifique, mais à des articles savants ésotériques écrit pour des obscurs journaux académiques. Plus de deux millions de ces articles sont publiés chaque année, détournant des dizaines de milliards de dollars des contribuables, qui pourraient être dépensés pour former des étudiants." [15] ... il n'y a aucune preuve d'une corrélation entre les dépenses des Etats dans l'éducation supérieure, et la croissance économique." L'auteur du pamphlet continue en disant que la clé pour fournir à la prochaine génération de Texans une vie satisfaisante se trouve dans le retour des universités à leur mission d'origine, l'enseignement [16]. ...
Parmi les mesures critiquées, le fait que l'université se mette à suivre les dépenses et les revenus réalisés par chaque professeur avait fait grand bruit. ... L'AAU qui regroupe les plus prestigieuses universités de recherche américaine, dont Texas A&M, voit d'un très mauvais oeil les sept solutions et leur application progressive dans l'université texane. Pour Berdahl, ces "solutions démontrent une compréhension nulle ou très limitée de la nature de l'enseignement supérieur." ...
Une loi modifiant le financement des universités par l'état des institutions non en fonction du nombre d'étudiants mais en fonction des taux de succès des étudiants et le nombre de diplômes délivrés a failli être votée [22]. Une telle loi correspondrait à ce qui est préconisé dans le cadre des sept solutions....
De manière générale, les promoteurs du changement et des "sept solutions" voient la recherche d'un mauvais oeil [24]. Pour eux, les universités ont inversées leurs priorités, plaçant la recherche en première position au détriment de l'enseignement. Dans leur discours, ils soutiennent que les professeurs titulaires (tenured), par exemple, se concentrent sur la recherche et n'enseignent presque plus, du moins pas assez. Privilégier la recherche entraînerait aussi l'augmentation des coûts de fonctionnement de l'université qui se répercutent sur l'état et sur les frais d'inscription. ... Au fond, quel est le rôle de l'Université ? La recherche ? L'enseignement ? Les deux sont distincts ? Les étudiants, sont ils des clients, des customers ? S'agit-il là d'une fausse discussion, initiée uniquement à des fins politiques, ou y-a-t il là des vraies questions, auxquelles l'université devra tôt ou tard répondre ? ...
Il est clair ... qu'une idéologie bien précise est entrée en action. Une idéologie qui voudrait monétiser l'Université et son rôle dans la société. Dans sa naïveté apparente, l'opposition entre 'recherche en laboratoire' et 'publications ésotériques' traduit le malaise de ceux qui voudraient que chaque dollar donné à la recherche se transforme en richesse pour l'Etat et pour la collectivité des contribuables, ou du moins en étudiants satisfaits de leurs cours. De plus, Ms. Perry et O'Donnell ne sont pas des universitaires, et partagent le sentiment de tous ceux qui trouvent anormal que les universitaires, seuls à comprendre leurs recherches ésotériques, soient aussi les seuls capables de les juger et de les évaluer. Ce qui les met aussi hors de portée du pouvoir politique,
Cependant, le problème de l'évaluation de la recherche, et encore plus de celle de l'enseignement, n'est pas un problème américain. Et si la recherche a au moins la spécificité de 'produire' ces fameuses publications ésotériques, que l'on peut au pire compter, ou du moins compter ceux qui les citent, l'évaluation de l'enseignement est un vrai casse-tête. La solution qui consiste à faire noter les enseignants pas les étudiants-et donc à mesurer l'efficacité de l'enseignement en termes de la satisfaction des étudiants à la sortie des classes-est aussi simpliste et insatisfaisante que celle qui consiste à compter les publications des chercheurs dans l'évaluation de la recherche.
Mais, comme on l'a vu, un autre aspect de l'idéologie à l'oeuvre se manifeste dans cette affaire : la recherche et l'enseignement sont considérés comme deux activités totalement distinctes, au mieux, et en compétition, au pire. La recherche coûte de l'argent sans beaucoup de contrepartie, l'enseignement est la seule entreprise productive-production qui se mesure en nombre de diplômés-de l'Université.
Enseignement, oui : mais de quoi ? Nulle part, dans ces discussions, n'apparaît un effort de compréhension de la nature profonde de l'Université en tant qu'institution vouée à la formation. Pourquoi appelle-t-on l'enseignement universitaire 'supérieur' ? Il faut avouer qu'en anglais, s'agissant d'une higher education qui fait suite aux high schools, on peut avoir l'impression qu'il ne s'agit que d'une question d'âge des étudiants. Le fait essentiel que les Universités soient les lieux où l'on participe-par la recherche-à la construction de ce savoir que l'on transmet aux étudiants, semble échapper totalement aux participants au débat.
Voilà donc que la discussion se trouve radicalement faussée : s'il est vrai que la raison d'être de l'Université est la transmission du savoir, il est aussi vrai que le savoir qu'elle transmet doit être-au moins en partie-généré entre ses murs. Sinon, l'université dont on parle n'est qu'un super-lycée, qui n'a de higher, en effet, que l'âge moyen de ses étudiants. Ce genre d'institutions existent aux USA, et s'appellent Colleges, et Community Colleges, établissements d'éducation post-lycée dans lesquels il n'y a pas d'activité de recherche statutaire.
Quant à l'idée que des millions d'articles sans intérêt seraient publies chaque année... il faut bien comprendre que l'intérêt de la recherche réside justement dans le fait que l'on ne sait pas en avance ce que l'on va trouver, et que les applications de ses résultats ne sont pas nécessairement évidentes; à tel point, que se faire guider par des applications potentielles est rarement fructueux en recherche. Un exemple bien connu d'un instrument révolutionnaire qui n'a pas été reconnu comme tel-et n'a trouvé d'applications-que très long temps après son invention, est le laser. Significativement, un de ses "pères" le physicien Arthur Schawlow, déclarait en 1981 lorsqu'on lui remettait le prix Nobel : "Nous pensions qu'il (le laser) aurait pu être utilisé pour les communications, et la recherche, mais nous n'avions aucune application à l'esprit. Si on en avait eues, ça aurait pu nous faire obstacle, et le résultat aurait pu ne pas avoir été aussi bon."
En guise de conclusion... pour l'instant
La guerre de l'enseignement supérieur au Texas a bel et bien commencé. Et comme toujours, au coeur de la guerre, il y a l'argent. Le Texas républicain est convaincu que si les industriels viennent s'installer dans la région, ce n'est pas grâce à l'attrait de son tissu culturel, scientifique, et technique, mais grâce aux cadeaux fiscaux dont la législation de l'état est truffée. ... Les Universités sont priées de s'en accommoder sans protester, et même de réduire le coût des enseignements : le Gouverneur Perry leur a demande de trouver un moyen de proposer aux étudiants un cursus de Bachelor (4 ans) a $10.000, c'est-à-dire $2 500 par an. Ce qui ne va pas de soi, puisque les frais universitaires moyens dans l'Etat tournent plutôt autour de $8.000 par an...
Dans le numéro du printemps 2002 de The Independent Review, Dr. Vedder a publié un article [25] sur les For-Profit schools [26,27]. Dans cet article le savoir est traité comme un bien qui se vend et qui s'achète, et on y préconise que les universités et écoles for-profit seront plus a même de répondre à la demande de savoir-et de diplômes-d'une société dont le niveau de bien-être matériel est prévu en augmentation constante. ...
Les enseignants-chercheurs n'entendent pas rester les bras croisés se faire crucifier publiquement, et surtout n'acceptent pas que, contre toute logique, l'on présente des "solutions" à un problème inexistant.
Lire le texte intégral publié le 10/06/2011 dans :
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire