vendredi 10 juin 2011

A quand une véritable stratégie d'innovation aux Etats-Unis ?

"La première étape pour assurer notre retour au premier plan est d'encourager l'innovation." Dans son discours annuel devant le Congrès américain, le 25 janvier 2011, Barack Obama prononça le terme "innovation" 11 fois, de toute évidence pour souligner l'importance que le gouvernement américain donne désormais à ce concept. Depuis son élection, l'innovation est en effet un thème récurrent dans les interventions du Président, qu'il présente comme la "clé de voûte" du retour à la croissance américaine. Et, fait rare, la priorité sur l'innovation est un des rares sujets sur lesquels les démocrates et les républicains sont parfaitement d'accord. C'est sans doute ce qui explique le lancement de plusieurs initiatives destinées à stimuler l'innovation par l'entrepreneuriat [1] ou la proposition de loi "Innovation American Act". ...

Néanmoins, si ces initiatives traduisent une réelle volonté de relancer la machine économique, des voix s'élèvent aujourd'hui pour dénoncer leur manque de cohérence et de continuité. Elles réclament aussi la mise en place par le gouvernement d'une véritable stratégie d'innovation orientée sur le long terme. ...

De manière peu étonnante, l'étude met en lumière que les pays les plus innovants bénéficient d'une implication gouvernementale importante, avec des politiques d'innovations claires et définies. ... Robert Atkinson, président de l'ITIF, fait justement remarquer que "les Etats-Unis sont un des seuls pays au monde à ne pas avoir d'Agence Nationale de l'Innovation, c'est à dire une entité dont la mission est de favoriser l'innovation commerciale et la compétitivité technologique". ... M. Atkinson estime ainsi, en ce qui concerne la définition et la mise en oeuvre d'une véritable politique d'innovation, que (...) les Etats-Unis "ont environ 10 ans pour la mettre en place et en retirer les fruits. Si ce problème n'est pas résolu dans 10 ans [...] nous aurons beaucoup de mal à rester dans la course. Une fois que l'avantage est perdu, ils est quasiment impossible de le récupérer". Les succès tels que Groupon, Facebook, Zynga, Apple ou Google ne pourront plus masquer la forêt pendant très longtemps...

Selon l'étude, les Etats-Unis ont - à tort - souvent considéré comme équivalentes stratégie d'innovation et stratégie scientifique. Or, une vraie stratégie d'innovation "dépasse largement le cadre de la technologie, faisant appel à des éléments de politique économique, de stratégie d'éducation, de gestion de la connaissance, qui ont pour but affirmé de promouvoir la création de nouveaux produits, procédés, services et modèles économiques". Les gouvernements successifs et les économistes attendent trop souvent de l'innovation qu'elle soit générée par les marchés, i.e. le secteur privé, alors que celui-ci est relativement peu performant, dans son ensemble, dès lors qu'il s'agit de créer de l'innovation à l'échelle d'un pays. Ainsi Atkinson précise que "sans intervention du gouvernement, via des crédits d'impôts ou d'autres initiatives, le secteur privé se concentrera sur le court terme, générateur de bénéfices rapides, au détriment de l'innovation à long terme". Le secteur privé ne peut donc assumer seul le rôle de moteur de l'innovation, car il n'en capte pas tout le bénéfice.

Le secteur "public" a donc un rôle fondamental à jouer en matière d'innovation, et particulièrement en matière d'innovation technologique. C'est là qu'interviennent les universités, fondement de la R&D américaine. Si l'innovation ne provient pas uniquement de la technologie, les experts s'accordent quand même à lui donner un rôle fondamental. ...


L'innovation technologique, domaine traditionnellement d'excellence aux Etats-Unis, passe donc par une recherche universitaire efficace. Les découvertes qui y sont effectuées constituent un vivier de technologie indispensable dans lequel le secteur privé vient inévitablement piocher pour les transformer en innovation, que ce soit à moyen ou long terme. De plus, ce sont dans ces seuls établissements que peuvent être lancés des programmes de recherche fondamentale, ceux-là même qui produiront des innovations capitales à long terme. Ainsi, on estime qu'aux Etats-Unis, 60% de la recherche fondamentale est effectuée dans les universités, contre 38% en 1960. Et cette recherche bénéficie amplement au secteur privé : en 2009, 685 nouvelles entreprises ont été créées dans le sillage de projets recherche universitaire, 6 fois plus qu'il y a 15 ans !

Paradoxalement et malgré cette importance grandissante, le gouvernement américain n'a pas apporté un support financier à la R&D suffisant depuis 10 ans : les Etats-Unis ne sont aujourd'hui que le 24e pays au monde en matière d'effort de recherche ( pourcentage du PIB affecté à la R&D: 0,24%), et n'ont augmenté leurs dépenses de R&D que de 37% en 10 ans, contre 250% à la Chine, 92% à Taïwan ou encore 189% en Corée du Sud !...

Il apparaît désormais nécessaire de repenser le système de crédit d'impôt pour la recherche, qui "pénalise" actuellement les entreprises voulant financer de la recherche universitaire plutôt que la recherche interne. Inversement, au Canada, et plus particulièrement au Québec, une entreprise soutenant la recherche universitaire se voit attribuer un double bonus en réduction d'impôts. Résultat, les performances du Canada en terme de recherche universitaire public-privé augmentent en flèche. ...


L'objectif poursuivi par le gouvernement Obama à travers l'innovation est de relancer la croissance économique américaine et surtout la création d'emploi. Or si la croissance semble s'installer dans une phase ascendante durable, signe d'une reprise économique, le taux de chômage reste très préoccupant. L'innovation est-elle la bonne "bouée de secours" pour relancer l'emploi ? ...

Les Etats-Unis ont un besoin urgent d'innovation pour rester compétitifs. Mais c'est par le biais d'une stratégie d'innovation ferme et efficace, menée par l'Administration, et qui se concentre sur l'éducation, les infrastructures, l'industrie de pointe, la recherche et l'entrepreneuriat, que cette innovation se traduira par un retour à l'emploi durable, et pas seulement par la création d'une valeur économique certes importante mais trop concentrée. ...

Pour en savoir plus :

[1] "Initiative "Startup America" : 2011 sera-t-elle l'année des entrepreneurs ?" BE Etats-Unis 234, 4/02/2011, http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/65795.htm

[2] ""Innovation American Act" : l'innovation va-t-elle dépasser les clivages politiques ?", BE Etats-Unis 235, 11/02/2011, http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/65875.htm

[3] "Innovation aux Etats-Unis : l'Amérique se reposerait-elle sur ses lauriers ?" BE Etats-Unis 157, 13/03//2009, http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/58161.htm

Source :

- "The Future of Innovation: Can America Keep Pace?", FAreed Zakharia, Time, 05 Juin 2011, http://redirectix.bulletins-electroniques.com/2Ipn9

- "Experts at AAAS Forum Detail Critical Need for National Innovation Strategy"
Kat Zambon, American Association for Advancement of Science, 31 Ami 2011 -
http://www.aaas.org/news/releases/2011/0531stpf_innovation.shtml

- "University Research Funding: The United States is Behind and Falling"
Robert D. Atkinson, Luke A. Stewart , Mai 2011,
http://redirectix.bulletins-electroniques.com/DzGvt

Lire le texte intégral publié le 10/06/2011 dans :

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire