Culture entrepreneuriale
Les révélations de la révolution du 14 janvier 2011 présentées la semaine dernière dans la première partie de cet article, montrent clairement que nous avons en Tunisie un déficit en culture entrepreneuriale évident. Comment cela ? J’ai beau, en effet, recherché les valeurs et les convictions partagées par tous les tunisiens qui ont orienté nos comportements, nos actions et nos institutions durant ces quatre derniers mois. Le verdict est net, malgré leurs aspirations évidentes et légitimes à la liberté et à la démocratie, les tunisiens n’ont pas mesuré comme il se doit la gravité de la situation économique et sociale dans laquelle leur pays s’est trouvé soudainement. Des valeurs indispensables en de pareilles circonstances nous ont fait défaut, notamment la créativité, l’autonomie, le sens des responsabilités, le leadership et la solidarité. Il s’agit en fait des cinq valeurs traditionnellement rattachées à la culture entrepreneuriale. Elles sont aussi les valeurs auxquelles tout le monde fait appel dans son quotidien ou met en pratique à divers degrés dans sa vie personnelle. Claude Ruel (1) explique qu’« on trouve des idées grâce à la créativité, et c’est le leadership qui nous permet de les communiquer à un groupe. Quand on s’engage à respecter un objectif, on affiche son sens des responsabilités. Et, si l’on fait preuve d’autonomie quand on décide de son avenir, on est solidaire quand on favorise l’entraide autour de soi. Ce sont avant tout des valeurs humaines et elles sont toutes liées. Lorsqu’une personne entreprend un projet en considérant chacune de ces cinq valeurs, elle a toutes les chances de réussir ».
Nombreux sont ces jeunes qui ont des idées géniales mais qui ne savent pas comment les exploiter. Parfois, il suffirait tout simplement au jeune de se faire confiance, de croire en son idée et d’en mesurer le potentiel. C’est aussi prendre sa destinée en main et comprendre les enjeux. Bref, c’est s’engager et se sentir responsable. Tout cela peut être acquis par l’éducation et l’expérience. La culture entrepreneuriale acquise devient pour ces jeunes un atout indispensable pour s’assumer, s’épanouir, innover et contribuer au développement de leurs régions et leur pays. Pendant ces quatre mois, ils auraient pu être donc responsables d’eux-mêmes, de diagnostiquer les problèmes inhérents à leur situation de chômeurs et d’y apporter des solutions novatrices. Dotés notamment de leadership, de solidarité, et d’un esprit de combativité, ils auraient pu influencer le cours des événements dans leurs régions.
Nous avions besoin d’une attitude qui nous pousse tous à relever les défis engendrés par cette nouvelle situation. Dans cela, nous retrouvons la recherche active et dynamique d’un emploi par une personne sans emploi, mais aussi, une intervention sociale positive et innovante. Il fallait conjuguer les efforts pour trouver, proposer et implanter des solutions qui permettent de répondre aux besoins des régions, des groupes ou des individus.
Des causes expliquent sans doute cette frilosité des jeunes tunisiens à l’égard de l’entrepreneuriat. Ces causes, sont-elles historiques, culturelles ou économiques ? Je l’ignore. Mais je sais que les tunisiens ont longtemps vécu sous l’autorité d’un Etat très centralisé et paternaliste. Les politiques menées ont contribué à maintenir la population dans une culture de dépendance et n’ont pas favorisé la création d’un environnement propice à l’émergence de l'entrepreneuriat et des valeurs entrepreneuriales. Désormais, il faut changer cette culture de dépendance en interpellant et responsabilisant les jeunes grâce à une culture entrepreneuriale que nous devons disséminer chez les jeunes tunisiens. Nous développerons de la sorte un entrepreneuriat qui permettra de produire les biens et les services répondant aux besoins économiques et sociaux, individuels ou collectifs.
L’esprit entrepreneurial
Tout cela parce que dans l’esprit de l’entrepreneur, il y a, avant tout, une vision de l’avenir qui est préférable à celle de l’état présent. Il va, ensuite, mettre en œuvre cette vision rapidement et avec enthousiasme selon une stratégie bien développée. Le travail réalisé peut lui procurer de l’épanouissement ou de la satisfaction de rendre service à sa société.
Par ailleurs, nous avons tous en souvenirs telle ou telle personne partie de rien et a fait fortune. L’entrepreneuriat peut aussi être l’outil des gens pauvres. « C’est le genre de modèle qu’il faut présenter ».
Nous sommes, bien entendu, en train de parler des valeurs entrepreneuriales que doit avoir toute personne pour qu’il soit capable de transformer un rêve, une idée, un problème ou une occasion en une entreprise.
La création d’une seule entreprise individuelle peut transformer une ville ou une région. L’impact d’une nouvelle entreprise est sans doute plus visible dans une région ou dans un quartier défavorisé. Elle apporte de l’emploi, de la richesse, de la dignité et un sentiment d’appartenance à la région.
En fait, être entrepreneur est une façon de penser. Cela ne s’improvise pas, mais cela s’apprend en suivant des cours, en lisant des livres et en fréquentant d’autres entrepreneurs, précise L-J. Filion (1). On peut trouver des gens qui affichent le profil d’un entrepreneur, mais qui fonctionnent bien comme salariés. Dans ce contexte, ils se révèlent très performants et font preuve d’un grand leadership, ajoute-t-il.
Types d’entrepreneuriat
L’entrepreneuriat peut être individuel ou collectif. Il est individuel quand la personne, en créant une entreprise, cherche à se réaliser sur les plans personnel, professionnel et financier. Il est collectif quand plusieurs individus choisissent d’unir leurs efforts pour entreprendre ensemble et non être en concurrence sur des besoins convergents. Généralement, c’est dans le but de créer des retombées sociales et de développer leur milieu. L’entrepreneuriat collectif inclut également les organismes sans but lucratif. Il s’agit alors d’un entrepreneuriat social, qui par ses relations avec la société, à travers les collectivités, les entreprises ou les institutions de l’Etat, engendre une économie sociale et solidaire.
Les entrepreneurs sociaux créent des entreprises qui ont une finalité sociale, c’est-à-dire qui répondent à des besoins sociaux par des solutions innovantes et concrètes à des problèmes pressants de la société. Pour cela, ils ont à concilier l’approche économique avec des objectifs sociaux. L’exemple le plus célèbre est Muhammad Yunus, fondateur du système du micro-crédit.
Le développement d’une culture entrepreneuriale
Il y a quatre lieux où il est possible d’enraciner cette culture entrepreneuriale : la famille, l’école, l’entreprise ou l’organisation et la société. Le sens des responsabilités ne se transmet pas par l’hérédité, mais se développe chez l’enfant. Aussi, on ne naît pas tous leaders, mais on peut apprendre à le devenir.
Il est par conséquent important d’amener les jeunes à développer les valeurs de la culture entrepreneuriale. Car souvent l’étincelle entrepreneuriale peut apparaître très tôt dès le jeune âge. La transmission de ces valeurs, toutefois, exige une certaine prise de conscience, en particulier de la part des enseignants, des parents, des entrepreneurs et des politiques.
Dans les écoles, il faut proposer des projets aux jeunes par lesquels les enfants apprennent à se faire confiance, à trouver des solutions à un problème, à avoir du jugement et à être tenaces. C’est ce qui en fait des personnes plus responsables et plus autonomes. Les parents peuvent aussi aider, en confiant de petits projets à leurs enfants. Il est important d’écouter leur opinion et de les responsabiliser.
Nous reparlerons plus tard de l’éducation entrepreneuriale.
La jeunesse tunisienne fait-elle partie réellement de la Génération Y ( ou numérique) ?
Cette question peut surprendre sachant que le monde entier attribue la victoire des jeunes révolutionnaires tunisiens à leur maîtrise et à leur usage avec brio de l’internet et des réseaux sociaux. Certes, on ne remet pas en cause cela. On leur reconnaît l’assurance d’être en mesure de faire bouger les choses. Ce sont les évènements dans les régions qui sont à l’origine de ma question. Est-ce alors la fracture numérique entre les régions ? Il serait intéressant d’y répondre. J’y reviendrai.
Par comparaison et selon un rapport publié aux États-Unis par l’ « Institute for the future », la Génération Y approche l’entrepreneuriat en série (59 % des entrepreneurs de la Génération Y envisagent de devenir des "serial entrepreneurs"). « Cela signifie qu'ils ont plusieurs idées d'entreprises en même temps et que lorsque leur première idée se sera concrétisée ils se désengageront pour créer une autre affaire ».
Les Y créent des entreprises très différentes de celles qu’on connait. Ils entreprennent à leur image et créent des entreprises qui rejoignent leurs valeurs, leurs aspirations et leur style de vie. Ils créent des entreprises compétitives au cœur desquelles on retrouve : la flexibilité, le virtuel, le travail d’équipe, le plaisir au travail. (3)
Les Y sont habitués aux nouvelles technologies et n’ont pas besoin d’être dans un bureau pour être productifs et entretenir des relations satisfaisantes avec leurs clients, collègues et collaborateurs. Ils peuvent donc travailler n’importe où, à n’importe quel moment – pourvu qu’ils aient accès à une connexion internet et à un ordinateur. (3)
Ils sont de plus en plus nombreux à créer des entreprises virtuelles, sans siège social. Ils peuvent avoir des employés et collaborateurs aux quatre coins du monde.
Ils travaillent donc par projet, avec des dates d’échéances claires et des résultats précis à atteindre. La notion de « temps de travail » est complètement évacuée en regard de ces critères.
La jeunesse tunisienne a-t-elle intégré ces concepts ? Les diplômés du supérieur chômeurs, tous jeunes éduqués, tous sensés maîtriser l’outil informatique et internet, tous créatifs, tous ouverts sur le monde, ont-ils essayé de créer ce genre d’entreprises virtuelles, de manière individuelle ou collective ? Je ne suis pas en train de les accabler puisqu’on connait les difficultés. Il s’agit seulement de savoir si l’idée les a effleuré, s’ils ont eu confiance en eux et s’ils ont ressenti le besoin d’entreprendre quelque chose. Durant toutes les péripéties de la révolution, ils étaient animés par des qualités (et non des valeurs) entrepreneuriales fortes : créativité, autonomie, goût du risque, passion, confiance en soi et ambition. Même ceux qui ont immigré de manière clandestine, n’ont-ils pas montré qu’ils n’avaient pas peur du risque ?
Ces jeunes seraient-ils disposés à entreprendre ? Sont-ils dans un contexte où la voie entrepreneuriale est plus un choix qu’une nécessité ? En réalité, il n’y a pas de raison pour qu’ils entreprennent moins que leurs homologues européens ou américains.
Le pays vit actuellement une situation de crise économique. Les emplois sont rares. Dans ce contexte, les jeunes sont sensés être plus nombreux à créer leur affaires et réaliser leurs ambitions. Ils ont en eux un grand potentiel entrepreneurial qu’ils doivent exploiter.
Peut-on espérer croire que le futur de la Tunisie sera vigoureux, et composé en majorité d’entrepreneurs de la génération Y, comme aux États-Unis ?
Nous parlerons la prochaine fois des ingrédients nécessaires à créer une Tunisie entrepreneuriale.
Rached Boussema
12/06/2011
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