A partir d’aujourd’hui, je mets en ligne une série d’articles sous un intitulé générique « une Tunisie entrepreneuriale, une pensée utopique ? ». Partant des révélations mises à jour par la révolution tunisienne du 14 janvier 2011, je propose des axes qui peuvent mobiliser les jeunes tunisiens pendant les prochaines années autour de l’esprit entrepreneurial. Le résultat escompté serait de construire un pays selon le modèle entrepreneurial. Est-ce utopique ? Nous allons le découvrir ensemble.
Plus de quatre mois après le 14 janvier 2011, les événements politiques, économiques et sociaux ont révélé des aspects de notre pays soupçonnés mais non aussi flagrants : la faiblesse du sens commun, de valeurs et de repères, une fragilité économique et sociale, des déséquilibres régionaux, une jeunesse désorientée, impatiente et non entreprenante, un chômage rampant et asphyxiant.
Cela est, bien entendu, à relativiser et à considérer dans un esprit constructif.
Les événements à l’échelle nationale et dans les régions après la révolution
La première révélation est de nature morale. En vivant les événements qui ont suivi le 14 janvier 2011, nombreux étaient les tunisiens qui étaient sous le choc. Ils n’imaginaient pas l’ampleur des méfaits du système politique galvaudé par Ben Ali. Les tunisiens ne se reconnaissent pas à travers les actions de destructions, de pillages, d’incendies, … Ils ne se retrouvent plus dans leurs valeurs, ou tout simplement, ces valeurs ont été détruites. Il n’y a plus de sens commun. La notion d’intérêt national n’est plus de mise. Les systèmes d’éducation et d’enseignement supérieur, les pratiques politiques et sociales, … , ont escamoté les valeurs qui permettent à une société de se remettre sur pieds après un cataclysme. Le tribalisme, dans certaines régions s’est réveillé, exacerbé sans doute par des manipulations malfaisantes. Les revendications à très court terme sont devenues le défi principal à relever. La dictature est bien entendu la cause principale de ces méfaits.
Je m’attendais à ce que les tunisiens, conscients des enjeux et défis nés de la révolution, ils allaient doubler d’efforts pour remettre leurs pays debout. Au lieu de vivre le très court terme, chercher à avoir des bénéfices à très court terme, je pensais que nous étions en mesure de patienter et de prendre conscience de la gravité de la situation.
Le contexte économique national
La deuxième révélation est de nature économique. Pendant les dernières décennies, les tunisiens se sont habituées aux annonces fréquentes qui relatent les prouesses économiques de la Tunisie, les résultats élogieux de notre croissance qui se situait entre 5% et 6%, les classements remarquables de notre pays, publiés par des organismes internationaux considérés comme crédibles, … Et vlan ! C’étaient des chimères. Notre économie a misé sur le tourisme. Des efforts et des avantages financiers très importants ont été consentis à ce secteur. Il nous fait aujourd’hui défaut. Des erreurs stratégiques étaient commises en l’absence d’un véritable projet national qui s’appuie sur des piliers forts, sur les atouts de la Tunisie, actuels et à développer.
Les déséquilibres régionaux
La troisième grande révélation et la plus remarquable est celle des déséquilibres entre les régions. On savait que les régions côtières bénéficiaient de plus d’investissements. On semblait s’occuper des régions intérieures mais en fait on camouflait la réalité. Cette réalité s’est avérée très dure. On découvre maintenant que ces régions manquent de tout. Elles manquent surtout d’infrastructure et d’investissements. Elles avaient besoin tout simplement d’être considérées.
La jeunesse désorientée, impatiente et non entreprenante
La révélation, à mon avis, la plus remarquable, c’est notre jeunesse. Elle était formidable, elle a aboli la dictature, elle a été solidaire, elle vivait son temps, l’ère du numérique. Par contre, elle n’a pas su aller plus loin, compter sur elle-même pour rester maître de son chef d’œuvre qui était cette révolution magnifique. Elle s’est laissée confisquer sa révolution par ceux qui avaient échoué dans les années soixante dix et quatre vingt du siècle précédent à faire la leur et qui semblent rester avec leurs idées de l’époque. Le Mur de Berlin est tombé, le marxisme n’existe plus, le Baath est malmené partout où il est, le nationalisme arabe ne fait plus recette, l’islamisme radical considéré comme rétrogradant, … Les usurpateurs de la révolution sont ces nostalgiques qui croient que leur heure est arrivée pour avoir leur part du gâteau. Les jeunes ne vont certainement pas les suivre. Ils ne retrouvent rien chez eux. Ils n’ont pas vécu ces épisodes de l’histoire. Ce sont eux qui doivent proposer un nouveau projet de société et nous avons seulement à les accompagner.
Certes, exacerbée par le déséquilibre régional, par les besoins vitaux immédiats, cette jeunesse s’est montrée très impatiente. L’immigration clandestine ne peut pas être un projet pour nos jeunes. Plus de 25000 « harek », c’est énorme ! Imaginez la population d’une petite ville entière qui prend les bateaux de la mort en direction de paradis mirifiques.
Il fallait d’abord leur insuffler de l’espoir et les convaincre que leur avenir est en Tunisie, qu’il est en eux et qu’il y a suffisamment de place pour eux. Il fallait seulement changer d’orientation en leur proposant un projet pour eux, dans lequel ils étaient invités à participer dans ses phases de conception et de mise en œuvre. Nous devons leur reconnaître l’assurance qu’ils sont en mesure de faire bouger les choses.
D’autres se sont malheureusement laissés manipulés par des malfaiteurs ou chasseurs en eau trouble pour satisfaire des besoins immédiats : gagner un peu d’argent contre des actes criminels. Ceux-là étaient livrés à eux-mêmes, à la merci du plus offrant.
La question du chômage
L’autre révélation majeure est l’ampleur du chômage, notamment celui des diplômés du supérieur. On voyait venir et on n’a rien fait. C’était prévisible et on proposait des calmants au lieu de vrais remèdes. Faisons de sorte que d’un problème, le surplus de diplômés devienne une opportunité.
Et beaucoup d’autres révélations telles que : les besoins urgents, vitaux et non satisfaits, des injustices douloureuses subies, … sans oublier bien entendu les vues des pillages et du holdup quasi généralisé fait sur le pays.
Besoin d’un nouveau projet national
La Tunisie a plus que jamais besoin d’un nouveau projet national. Certes, la nouvelle constitution et la mise en place d’une vraie démocratie vont être des jalons indispensables à ce projet. Mais c’est l’économique et le social qui vont déterminer notre profil en ce début du 21e siècle. Quelles sont nos aspirations économiques et sociales ? Quelle société voulons-nous construire ensemble ?
Un apport massif d’investissement résolverait-il le problème ? Des solutions « ici et maintenant » existent-elles vraiment ? Certes, le gouvernement peut faire patienter les gens par des mesures à effet immédiat. Ne s’agit-il pas alors d’improvisation ? Désamorcer la colère par l’improvisation est-ce bon ?
Construire une nouvelle société passe nécessairement par l’adoption de nouvelles cultures et d’un nouvel état d’esprit, par la reconstruction des valeurs telles que le patriotisme, la citoyenneté, l’intérêt national, le travail, la qualité, l’initiative, la solidarité ou le dépassement de soi.
L’attitude revendicatrice permet d’obtenir éventuellement des satisfactions à très court terme alors que les problèmes resteront. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une nouvelle vision, d’une nouvelle construction. Les jeunes sont-ils préparés pour s’y engager, chacun dans sa région ?
La démobilisation était causée par la dictature et le sentiment d’impuissance face à la corruption et au pillage systématique. Les causes étant supprimées peut-on retrouver la flamme et susciter l’engagement ?
Pour cela, il faut aller à l’encontre des jeunes, trouver le moyen de les motiver et engager la discussion avec eux. Est-ce possible de faire cela dans la sérénité ? Où ? Il n’y a pas mieux que les écoles et les universités. Aller là où ils sont naturellement. Dans les réseaux sociaux aussi. Il faut les inviter dans les médias (TV, radios, …) de manière intensive et en grand nombre. Leur poser, pour la réflexion, le type de questions : que voulez-vous faire ? comment vous voyez … ? est-ce possible de … ? … Ces rencontres doivent mélanger ceux de Tunis ou des grandes villes, et ceux des régions. Il est important qu’ils aient des échanges qui produiront de la convergence dans les idées et dans les actes. Reconnaissance et écoute obligent.
Par le passé, on a souvent parlé du génie tunisien. Existe-t-il réellement ? Si oui, faisons en sorte qu’il se réveille et conçoive le projet pour une nouvelle Tunisie.
L’intelligence tunisienne doit être la clé de notre développement économique et social à venir. Elle existe partout y compris dans les régions actuellement défavorisées.
Les valeurs communes sont indispensables pour réussir le projet. La recherche de ce sens commun devient capitale.
Rached Boussema
05/05/2011
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