Google vs. Facebook : la lutte est terrible. Mais la véritable bataille pour Internet se joue peut-être ailleurs. Personnage historique du web (FDN, logiciel libre), Benjamin Bayart revient sur l'évolution du réseau désormais entre les mains des géants du secteur. Attention danger ?
Atlantico : Google qui affiche des bénéfices records. Facebook dont l'entrée en bourse est particulièrement attendue : Internet est-il désormais entre les mains des grandes sociétés ?
Benjamin Bayart : Actuellement, je trouve qu’Internet est en train de passer aux mains de gens qui ne sont pas du tout des "pures players" et qui n’ont pas du tout ce mode de pensée là, c’est-à-dire, la liberté de leur contenu. Quand Internet a été créé, sa devise était de pouvoir tout y faire. C’est un réseau qui est volontairement trop simple de manière à tout permettre et ne rien n’empêcher. Cela a permis de pouvoir développer tous les modèles que l’on souhaitait dessus.
Mais nous sommes en train de tuer petit à petit la possibilité de pouvoir tout faire sur Internet. Tant que vous n’avez pas une application sur le store Apple, ce qui nécessite de plaire et d’être accepté par Apple, ou sur le store Google ou bientôt sur le store Facebook, vous n’existez pas.
Internet est donc moins libre qu'avant ?
Si on le laisse dériver comme nous le faisons actuellement, Internet ne sera plus libre. Il est en train de dériver vers le monopole de grandes sociétés. Mais il faut être optimiste, nous pouvons contrer cette dérive, sur le long terme. Nous savons que ce modèle ne fonctionne plus, nous avons des preuves.
Que serait un Internet totalement libre ?
Il ne manque pas beaucoup de choses sur l’Internet actuel pour qu’il soit totalement libre. Il manque de pouvoir contrôler certains acteurs puissants vis-à-vis desquels se créent des déséquilibres. Facebook est un acteur beaucoup trop puissant, donc beaucoup trop dangereux. C’est la même chose pour Google. Il est important de surveiller ces entreprises. Il est d’autant plus important que leur dérive ne leur soit pas pardonnée. Les petits écarts d’une petite entreprise, prêtent à de minimes conséquences. Les gros écarts d’une grosse entreprise, ont de grandes conséquences, parfois même sur le plan mondial. Nous ne pouvons pas les traiter de la même manière. Les questions de vie privée vis-à-vis de Google, sont centrales. Les questions de respect de la propriété de données des utilisateurs sur Facebook sont primordiales. On ne peut absolument pas, ne pas parler de ces enjeux majeurs.
Par exemple, Google vient de lancer Google+, un réseau social. Il décide d’utiliser, via un certain nombre de gadgets sur Firefox, des API public (NDLR : interface de programmation) de Facebook, afin que les gens qui s’inscrivent sur ce nouveau réseau social puissent inviter leurs amis Facebook. Si nous prenons un point de vue simple et raisonnable, c’est-à-dire centré sur l’utilisateur, cela veut dire que c’est l’utilisateur qui décide lui-même de prendre son carnet d’adresse, dans son compte Facebook, pour le mettre dans son compte Google. Il fait ce qu’il veut de ses données. Pourquoi Facebook l’en empêche ? Au nom de quoi ? D’un point de vue commercial, c’est compréhensible, il décide d’empêcher un concurrent d’apparaître. Mais ils n’ont pas le droit de faire cela. Ce ne sont pas leurs données, mais celle de leurs utilisateurs.
Les gens doivent faire attention. Le problème c’est que très vite cela se résume, soit à être absent des réseaux sociaux, soit à capituler et à s’y inscrire. Le soucis touche donc aussi au rapport entre un particulier et une multinational. Dans le monde de la jungle, c’est le plus fort qui gagne. Dans un monde civilisé, des lois existent qui permettant de protéger les faibles contre les puissants, ce n’est pas le cas sur Internet.
Justement, ces lois doivent nous protéger contre ces abus…
Oui, mais le droit n’est pas respecté. Il existe aussi des questions internationales derrière tout cela. A l’heure actuelle, lorsque nous faisons remonter un certain nombre d’anomalies vers les pouvoirs public, ces derniers sont plutôt d’avis de ne pas respecter les droits aux consommateurs. Il faudrait renforcer le droit pour lutter contre ces abus. Je ne comprends pas que les atteintes à la vie privé ne soit pas au centre du débat.
Lorsqu’une société comme Facebook fait une bêtise cela provoque un tollé mais il suffit que la société fasse marche arrière et c’est oublié. Si leur bêtise passe tant mieux, sinon il suffit de faire marche arrière. Ces grandes sociétés ne sont pas très loin d’être intouchables. Les politiques cherchent à réguler, mais seulement les consommateurs. Il faudrait plutôt réguler les puissants, qui sont les nocifs. Par exemple pour Hadopi, le gouvernement cherche à réguler les gens qui s’échangent et téléchargent de la musique, mais il n’essaye pas d’empêcher qu’une entreprise puisse faire du commerce sans rémunérer ses salariés.
Quel avenir pour Internet ?
A long terme, il existera un réseau symétrique ouvert est libre, c’est certain. C’est à peu près aussi inévitable que l’était la liberté de la presse. De Gutemberg à la liberté de la presse, il existe une évidence mais par contre cela s’est fait en quatre siècles. A l’heure actuelle, des progrès se font de manière assez nette pour l’ouverture d’un nouveau réseau. La question de la propriété des données y sera cruciale. Les grands groupes qui agitent le chiffon rouge de la propriété intellectuelle vont finir par se prendre les pieds dans le tapis. En effet, si tout le monde veut jouer au jeu de la propriété alors mon carnet d’adresse, mon compte Facebook et mes recherches deviendront mes données. Je détiens la propriété intellectuelle sur une base de données. Donc si Facebook veut appliquer ses règles sur mes données, cela ne va plus être possible.
On devrait en toute logique arriver à imposer l’interopérabilité. Quand quelqu’un gère des données pour un tiers, il doit notifier que ces données sont récupérables. Si je mets des photos sur Facebook, je dois pouvoir toutes les récupérer. Si j’ai rentré mon carnet d’adresses dans Gmail par exemple, je dois pouvoir le récupérer. C’est pour ma part, un principe qui va finir par s’imposer dans les trois, quatre années à venir.
Publié le 24 juillet 2011
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