vendredi 11 mai 2012

Drones: à l’attaque des médias


Un drone pour la télé pendant le championnat de monde du ski 2012 (REUTERS/Arnd Wiegmann).

Depuis environ cinq ans, le drone s’est démocratisé au point de s’inviter dans les productions journalistiques.

Tout le monde a entendu parler de ces drones militaires, utilisés par les Américains sur l’ensemble des zones de conflit depuis les guerres de Corée et du Vietnam. Des engins sans pilote, télécommandés à des fins de renseignement, voire pour éliminer des cibles gênantes. En plus d’être discret, cet aéronef sans pilote permet d’épargner nombre de vies humaines. Mais depuis environ cinq ans, l’outil s’est démocratisé au point de s’inviter dans les productions journalistiques.

L’explosion du modélisme : du thermique à l’électrique

Les premières caméras volantes ont fait leur apparition en Belgique à la fin des années 1980. Développée à l’époque pour l’industrie cinématographique, la première Flying-Cam a été mise au point par Emmanuel Prévinaire. Il s’agissait d’un petit hélicoptère surmonté d’un rotor d’1,80 mètre, capable d’atteindre les 120 km/h et équipé d’une tête de caméra mobile. Utilisée notamment dans le film La Haine, réalisé Matthieu Kassovitz, cette technologie révolutionnaire s’est révélée trop dangereuse pour permettre une véritable exploitation commerciale. Alimenté par un moteur thermique, le bolide s’avère très difficile à manœuvrer et son usage se limite alors au cinéma.

La rupture technologique s’est produite avec l’apparition de la batterie lithium polymère (ou LiPo). « Il s’agit de la même batterie que celle utilisée dans les téléphones portables, avec une grosse capacité et un poids minime, explique Grégoire Thomas, directeur commercial passionné d’images de Flying Eye, une entreprise fondée en 2009 avec son frère, ingénieur, et spécialisée dans l’exploitation et le commerce de drones civils. Le passage à l’électrique, plus fiable, silencieux et écologique, a provoqué un boom du modélisme. Tout de suite, on a eu l’idée de fixer une caméra dessus. » Créée au départ comme une entreprise de service, les deux frères ont révisé le business-plan de Flying Eye devant l’insistance de la demande. Ils vendent désormais leurs engins à des professionnels exclusivement (Université de Lausanne, CNRS, sociétés de production audiovisuelle…).



Des applications multiples, des territoires inexplorés

La dernière génération de drones ne nécessite aucune aptitude particulière au pilotage. Faciles à prendre en main, ils disposent d’un système de stabilisation électronique par le biais de capteurs en tous genres. Si l’on pose la télécommande, l’appareil se maintient sagement en vol stationnaire. Equipé de six à huit rotors, la panne éventuelle de l’un d’entre eux est immédiatement compensée par les autres. Le visionnage des images s’effectue en direct, à l’aide d’un écran ou de lunettes LCD. Une petite formation pratique et théorique est néanmoins nécessaire pour une bonne maîtrise et une utilisation conforme aux règles légales et de sécurité.

Le drone a toutes les qualités pour séduire les professionnels de l’audiovisuel. Imaginez le survol d’un volcan en activité, d’une zone de conflit ou d’un feu de forêt grâce à l’une de ces merveilles technologiques… L’une des premières vidéos à avoir popularisé le « drone journalisme » est l’œuvre d’un semi-professionnel couvrant des manifestations durement réprimées par la police en novembre 2011 à Varsovie, en Pologne. Les images, fortes et inédites, ont rapidement fait le tour des chaînes de télévision à travers le monde.


Au même moment, l’université de journalisme de Nebraska-Licoln ouvrait un laboratoire de recherche en « drone journalisme ». Deux mois plus tard, c’est un militant écologiste américain qui se sert d’un drone pour épingler un abattoir de Dallas déversant du sang de cochon de manière illégale, clichés à l’appui. En Australie, la chaîne de télévision Channel Nine fait figure de pionnière en la matière. Se voyant refuser l’accès à l’île Christmas, où sont détenus des immigrés en situation irrégulière, l’équipe a décidé de contourner l’interdiction en survolant le site.

Dans le domaine, la France n’est pas en reste. C’est en visionnant unreportage sur les toits de Paris, dans le magazine Des racines et des ailes, que le journaliste et présentateur de France 3 Aquitaine Eric Perrin a eu le déclic : « J’ai tout de suite compris que ces images ne provenaient pas d’un hélicoptère. C’est un outil fabuleux qui permet de couvrir une zone presque inexploitée en terme d’images, entre quelques mètres et 150 mètres, la limite légale ». Suite à cette découverte, il a utilisé un drone dans une première émission de jeux, Code Delta, une sorte de chasse au trésor opposant deux familles. Très vite, il se rend compte qu’il s’agissait d’un outil idéal pour parler patrimoine et monte une nouvelle émission, Cap Sud-Ouest. « L’objectif de départ était d’utiliser le drone à 100%, avec la volonté de le filmer, de le mettre en scène et même de monter l’émission autour. Mais on a aussitôt réalisé qu’il ne s’agissait que d’un outil, sinon on tournait en rond. »



CAP SUD OUEST à Limoges : les coulisses par France-3-Limousin


Inconvénients et limites d’un phénomène de mode

La production audiovisuelle est dotée d’un esprit grégaire : quand un outil permet de se différencier de la concurrence, toutes les boîtes de production s’y mettent. Elles suivent le troupeau. Depuis que les drones permettent de capter des images stables et en haute définition, ils fleurissent dans les rédactions. C’est le même phénomène qu’avec lesteadicam il y a une vingtaine d’années. « Le tout est d’en faire une bonne utilisation, souligne Eric Perrin. Cela peut se justifier pour les sujets magazine, qui se doivent d’être esthétiques, ou pour éviter d’investir le balcon d’un riverain lors d’une manifestation mais, pour le journalisme pur et dur, je me pose la question. » L’outil doit donc rester au service du journaliste et non l’inverse.

Le drone représente une arme de plus dans l’arsenal du journaliste mais il comporte encore des inconvénients, à commencer par le bruit du moteur. Si le mot drone signifie « faux bourdon » en anglais, ce n’est pas un hasard. L’engin produit un bruit de fond comparable à celui d’un essaim d’abeilles. Pas évident lors des premières utilisations mais l’adaptation est assez rapide. L’autre gros point noir réside dans l’autonomie de l’appareil, de 10 minutes avec une caméra Red à 25 minutes environ pour une GoPro. La durée de la batterie décline encore en cas de temps froid ou de vents capricieux. Mieux vaut être efficace et bien organisé. Evidemment, cette technologie de pointe a un coût. Pour s’offrir le pack tout compris, avec formation, caisse de transport, périphériques et nacelle géostabilisée, il faut débourser entre 14000 et 33000 euros. Hors de prix pour un particulier mais intéressant pour une rédaction sur le moyen terme (comparé aux éventuels frais d’hélicoptère).

Pour éviter les dérives, l’utilisation des drones civils est régulée par la loi. Mais la réglementation légale s’avère obsolète en France. Après des années de flou juridique, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) s’apprête à faire évoluer la législation relative aux aéronefs sans pilotes. L’arrêté, très attendu par les professionnels de la filière, a pour but de définir clairement les conditions dans lesquelles les drones civils seront autorisés à prendre l’air. Altitude, autorisation préalable, brevet de pilotage… Une ébauche datant de janvier, consultable sur internet, permet d’imaginer la nature des mesures prises par l’Etat. Au-delà du journalisme audiovisuel, c’est une toute nouvelle une filière qui attend ce texte. Retrouver des victimes d’avalanches, repérer des fissures sur un barrage hydraulique, inspecter une zone de fouilles archéologiques ou simplement pour s’amuser… Les domaines d’application sont innombrables. A l’avenir, ce sont les signalements d’ovnis qui risquent de gonfler…

par Guillaume Huault-Dupuy

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