par An@é(son site) lundi 21 mai 2012
Publié par Michel GUILLOU sur son blog Neottia
Avertissement liminaire : ce billet est à l’usage de ceux d’entre les acteurs de l’école qui veulent délibérément s’engager dans le numérique. Il convient de ne passer aucune étape, l’ordre ayant peu d’importance. En revanche, un très grand soin doit être apporté à l’entreprise globale par la réussite complète de chacun des items.
Casser les murs et les meubles
J’avais, il y a un moment déjà, dans ce billet, suggéré qu’on pousse plus loin les murs de la classe. C’est insuffisant : pour bien faire, il faut tout casser.
Dans un groupe de travail matinal auquel je participais, il y a quelques jours, une ministre de l’ancien gouvernement, maire de sa ville en banlieue sud de Paris, s’interrogeait : faut-il construire une salle informatique dans les écoles de ma ville ?
La réponse, Mme la ministre, est simple : c’est non. Il faut casser intégralement tous les murs des classes des écoles de votre ville. Et, tant qu’à faire, casser aussi les murs des salles de classe des collèges et des lycées.
L’école numérique s’accommode mal d’espaces clos non modulables que sont nos salles de classe, rectangulaires, fermées. Sans doute convient-il de garder quelques espaces de ce type mais il faut aussi prévoir partout ailleurs la possibilité d’un cloisonnement modulaire et adaptable à des activités de groupe où le nomadisme est la règle. Et tant qu’à casser les murs, cassons aussi les mobiliers de classe, tables et chaises inadaptées, les tableaux verts pour la craie, les armoires de rangement pour les cartes de géographie, les estrades et les bureaux des maîtres !
C’est l’ensemble de l’architecture et du design scolaires qui doivent être repensés à l’heure du numérique. Et, compte tenu qu’on ne construit pas une école ou un collège pour en casser les murs deux ans après sa construction, c’est sans tarder que les collectivités, en relation avec les parents et l’Éducation nationale, doivent se mettre à ce chantier très urgent.
Casser les temps scolaires
Le sujet à la mode est d’évoquer les modifications des rythmes scolaires mais certes pas à l’aune du numérique. Pourtant, il s’agit là d’une préoccupation majeure de ceux qui s’y aventurent.
Soyons clair, l’heure de classe, dans son format de 55 minutes, en fait, le plus souvent, ne convient pas à l’enseignement par le numérique. Définir les objectifs d’une séquence, accéder aux terminaux numériques, quels qu’ils soient, chercher, collaborer, élaborer, produire, changer de lieu puis échanger, partager, rendre compte, évaluer parfois… et ranger va certainement prendre beaucoup plus que la petite heure traditionnelle. Ou beaucoup moins si l’on fragmente les activités.
Par ailleurs, compte tenu de l’augmentation prévisible et de la pertinence des enseignements en ligne et parfois à distance, le temps scolaire stricto sensu ne pourra se résoudre au seul temps passé en classe, face au professeur ou à ses côtés. Il faudra bien trouver une solution et revoir les missions des professeurs, je vous en reparle.
Là encore, la souplesse des emplois du temps sera une condition sine qua non de la réussite de l’école numérique. On conçoit l’énormité de la tâche, tant les contraintes actuelles sur les emplois du temps (enseignements obligatoires, options, spécialités) les rendent incompatibles avec la modularité et la souplesse exigées par le numérique.
Il faut pourtant s’y préparer et le plus tôt sera le mieux.
Casser les disciplines et les modes d’enseignement
Vous l’avez compris, l’école numérique s’accommode mal de structures spatiales et temporelles rigides. Mais il en est de même des enseignements cloisonnés en séquences disciplinaires rigides.
Il s’agit là d’une tâche incommensurable, tant sont grandes les résistances et solides les archaïsmes. L’école républicaine est fondée sur l’enseignement disciplinaire et sa didactique propre. S’y attaquer, c’est s’attaquer aux fondements mêmes de l’école.
L’école numérique, en multipliant les temps d’autonomie, de travail en groupe, de coopération, tend à faire se croiser, à travers des objectifs qui les traversent, les références et les champs disciplinaires. Le co-enseignement devient la règle, comme on a déjà commencé à le pratiquer dans les itinéraires de découverte, les travaux personnels encadrés, les enseignements d’exploration, l’accompagnement personnalisé en lycée.
Ces séquences, qui devraient se dérouler dans des lieux différents, dans des moments différents, pourraient être prises en charge par un ou plusieurs professeurs, selon les modes d’organisations adoptés pour le groupe d’élèves, selon les objectifs disciplinaires ou transdisciplinaires, éventuellement transversaux assignés.
Casser l’évaluation et les examens
En effet, comment continuer comme avant ?
Dans l’école numérique, il n’y a pas de logique à utiliser en permanence les ressources en ligne disponibles si ces dernières doivent êtres mises hors d’atteinte des élèves dans les moments d’évaluation. On ne peut pas, pendant les temps d’apprentissage, ouvrir en grand ses yeux et ses oreilles sur le monde s’il faut se refermer sur soi-même comme une huître quand il s’agit de rendre compte de ce qu’on sait ou qu’on a appris.
Et qu’a-t-on appris au juste ? Les contenus, les savoirs encyclopédiques sont disponibles en permanence, partout, en tous lieux… Que vérifier ? Quelles compétences doivent être acquises ? La restitution mot à mot de ces savoirs ou l’appropriation qu’en fait l’élève, sa capacité à en comprendre les mécanismes et les contextes ? Les affaires récentes liées à l’utilisation faite de Wikipédia, par un professeur d’une part, par les élèves d’autre part, montrent bien qu’on ne peut tout simplement plus faire comme avant…
Que vérifier ? Qu’évaluer ? Le copier-coller est-il légitime s’il est adapté et compris ? Le plagiat doit-il être toujours montré du doigt ? On le sait bien, l’école numérique encourage au partage et à l’échange, à la collaboration aussi. Comment transformer les modes d’évaluation, portant pour l’essentiel sur les capacités et les compétences individuelles, pour permettre aussi l’acquisition de ces dernières par un groupe de travail ? De l’individu au collectif…
C’est tout un chantier qui doit être conduit pour modifier les référentiels et le socle commun des connaissances et des compétences.
Cette mise en perspective doit aussi ouvrir la réflexion sur la refonte des examens et des concours. Là encore, il convient — d’autres pays ont commencé la démarche avant nous — de permettre aux candidats ou aux examinés d’accéder, sur des moments précis, dans des circonstances particulières, aux (à des) ressources en ligne disponibles.
Casser les postures et les discours
Il découle naturellement des modifications précédentes que la posture même du maître ne peut plus être la même.
La prise de conscience par ce dernier qu’il ne peut plus être l’unique et intangible transmetteur de savoirs sera sans doute l’épreuve la plus difficile à vivre pour beaucoup. C’est une très profonde remise en question de la figure immémoriale du maître qui est mise à mal avec le numérique. Il va de soi que ces enjeux devront être d’abord compris de l’encadrement et des corps d’inspection pour l’accompagnement spécifique des collègues en difficulté.
C’est aussi la position du maître qui change ou changera. Habituellement placé face à la classe, sur une estrade parfois, il devra passer dans la classe aux côtés des élèves ou derrière ces derniers pour les accompagner dans leurs démarches d’apprentissage.
Par ailleurs, et ce n’est pas le plus simple, le maître sera aussi capable d’accompagner, selon des modalités à définir dans ses missions, l’élève à distance, au-delà du temps de la classe.
Note : certains hommes politiques, toujours en recherche d’économies à faire sur l’éducation, imaginent que le numérique sera l’occasion de diminuer les taux d’encadrement. Tous les exemples ci-dessus montrent le contraire : les modifications des formes d’enseignement et des postures des maîtres contraindront au co-enseignement et à l’encadrement multiple, en classe (ce mot n’a plus beaucoup de sens car ni l’espace ni le groupe ne pourront être conservés). Par ailleurs, l’apprentissage en ligne s’ajoutera aux missions existantes…
Casser les missions, les relations avec les élèves, les parents…
Bien entendu, comme déjà évoqué, les missions mêmes des enseignants ne pourront plus être les mêmes. Il y aura aussi à résoudre un paradoxe : comment concilier le suivi à distance de l’élève au-delà du temps scolaire et la nécessaire présence plus active et durable sur les lieux de scolarité ?
Les relations avec les acteurs, élèves et leurs parents, sont aussi à revoir, à l’heure de la co-éducation au numérique (apprentissage de la responsabilité, de l’autonomie).
Bon, on commence quand ?
PS : on pourra, pour compléter sa réflexion, écouter avec profit cette petite vidéo qui date déjà de 2010.
Michel Guillou @michelguillou
http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/numerique-ce-qu-il-va-falloir
Avertissement liminaire : ce billet est à l’usage de ceux d’entre les acteurs de l’école qui veulent délibérément s’engager dans le numérique. Il convient de ne passer aucune étape, l’ordre ayant peu d’importance. En revanche, un très grand soin doit être apporté à l’entreprise globale par la réussite complète de chacun des items.
Casser les murs et les meubles
J’avais, il y a un moment déjà, dans ce billet, suggéré qu’on pousse plus loin les murs de la classe. C’est insuffisant : pour bien faire, il faut tout casser.
Dans un groupe de travail matinal auquel je participais, il y a quelques jours, une ministre de l’ancien gouvernement, maire de sa ville en banlieue sud de Paris, s’interrogeait : faut-il construire une salle informatique dans les écoles de ma ville ?
La réponse, Mme la ministre, est simple : c’est non. Il faut casser intégralement tous les murs des classes des écoles de votre ville. Et, tant qu’à faire, casser aussi les murs des salles de classe des collèges et des lycées.
L’école numérique s’accommode mal d’espaces clos non modulables que sont nos salles de classe, rectangulaires, fermées. Sans doute convient-il de garder quelques espaces de ce type mais il faut aussi prévoir partout ailleurs la possibilité d’un cloisonnement modulaire et adaptable à des activités de groupe où le nomadisme est la règle. Et tant qu’à casser les murs, cassons aussi les mobiliers de classe, tables et chaises inadaptées, les tableaux verts pour la craie, les armoires de rangement pour les cartes de géographie, les estrades et les bureaux des maîtres !
C’est l’ensemble de l’architecture et du design scolaires qui doivent être repensés à l’heure du numérique. Et, compte tenu qu’on ne construit pas une école ou un collège pour en casser les murs deux ans après sa construction, c’est sans tarder que les collectivités, en relation avec les parents et l’Éducation nationale, doivent se mettre à ce chantier très urgent.
Casser les temps scolaires
Soyons clair, l’heure de classe, dans son format de 55 minutes, en fait, le plus souvent, ne convient pas à l’enseignement par le numérique. Définir les objectifs d’une séquence, accéder aux terminaux numériques, quels qu’ils soient, chercher, collaborer, élaborer, produire, changer de lieu puis échanger, partager, rendre compte, évaluer parfois… et ranger va certainement prendre beaucoup plus que la petite heure traditionnelle. Ou beaucoup moins si l’on fragmente les activités.
Par ailleurs, compte tenu de l’augmentation prévisible et de la pertinence des enseignements en ligne et parfois à distance, le temps scolaire stricto sensu ne pourra se résoudre au seul temps passé en classe, face au professeur ou à ses côtés. Il faudra bien trouver une solution et revoir les missions des professeurs, je vous en reparle.
Là encore, la souplesse des emplois du temps sera une condition sine qua non de la réussite de l’école numérique. On conçoit l’énormité de la tâche, tant les contraintes actuelles sur les emplois du temps (enseignements obligatoires, options, spécialités) les rendent incompatibles avec la modularité et la souplesse exigées par le numérique.
Il faut pourtant s’y préparer et le plus tôt sera le mieux.
Casser les disciplines et les modes d’enseignement
Il s’agit là d’une tâche incommensurable, tant sont grandes les résistances et solides les archaïsmes. L’école républicaine est fondée sur l’enseignement disciplinaire et sa didactique propre. S’y attaquer, c’est s’attaquer aux fondements mêmes de l’école.
L’école numérique, en multipliant les temps d’autonomie, de travail en groupe, de coopération, tend à faire se croiser, à travers des objectifs qui les traversent, les références et les champs disciplinaires. Le co-enseignement devient la règle, comme on a déjà commencé à le pratiquer dans les itinéraires de découverte, les travaux personnels encadrés, les enseignements d’exploration, l’accompagnement personnalisé en lycée.
Ces séquences, qui devraient se dérouler dans des lieux différents, dans des moments différents, pourraient être prises en charge par un ou plusieurs professeurs, selon les modes d’organisations adoptés pour le groupe d’élèves, selon les objectifs disciplinaires ou transdisciplinaires, éventuellement transversaux assignés.
Casser l’évaluation et les examens
Dans l’école numérique, il n’y a pas de logique à utiliser en permanence les ressources en ligne disponibles si ces dernières doivent êtres mises hors d’atteinte des élèves dans les moments d’évaluation. On ne peut pas, pendant les temps d’apprentissage, ouvrir en grand ses yeux et ses oreilles sur le monde s’il faut se refermer sur soi-même comme une huître quand il s’agit de rendre compte de ce qu’on sait ou qu’on a appris.
Et qu’a-t-on appris au juste ? Les contenus, les savoirs encyclopédiques sont disponibles en permanence, partout, en tous lieux… Que vérifier ? Quelles compétences doivent être acquises ? La restitution mot à mot de ces savoirs ou l’appropriation qu’en fait l’élève, sa capacité à en comprendre les mécanismes et les contextes ? Les affaires récentes liées à l’utilisation faite de Wikipédia, par un professeur d’une part, par les élèves d’autre part, montrent bien qu’on ne peut tout simplement plus faire comme avant…
Que vérifier ? Qu’évaluer ? Le copier-coller est-il légitime s’il est adapté et compris ? Le plagiat doit-il être toujours montré du doigt ? On le sait bien, l’école numérique encourage au partage et à l’échange, à la collaboration aussi. Comment transformer les modes d’évaluation, portant pour l’essentiel sur les capacités et les compétences individuelles, pour permettre aussi l’acquisition de ces dernières par un groupe de travail ? De l’individu au collectif…
C’est tout un chantier qui doit être conduit pour modifier les référentiels et le socle commun des connaissances et des compétences.
Cette mise en perspective doit aussi ouvrir la réflexion sur la refonte des examens et des concours. Là encore, il convient — d’autres pays ont commencé la démarche avant nous — de permettre aux candidats ou aux examinés d’accéder, sur des moments précis, dans des circonstances particulières, aux (à des) ressources en ligne disponibles.
Casser les postures et les discours
La prise de conscience par ce dernier qu’il ne peut plus être l’unique et intangible transmetteur de savoirs sera sans doute l’épreuve la plus difficile à vivre pour beaucoup. C’est une très profonde remise en question de la figure immémoriale du maître qui est mise à mal avec le numérique. Il va de soi que ces enjeux devront être d’abord compris de l’encadrement et des corps d’inspection pour l’accompagnement spécifique des collègues en difficulté.
C’est aussi la position du maître qui change ou changera. Habituellement placé face à la classe, sur une estrade parfois, il devra passer dans la classe aux côtés des élèves ou derrière ces derniers pour les accompagner dans leurs démarches d’apprentissage.
Par ailleurs, et ce n’est pas le plus simple, le maître sera aussi capable d’accompagner, selon des modalités à définir dans ses missions, l’élève à distance, au-delà du temps de la classe.
Note : certains hommes politiques, toujours en recherche d’économies à faire sur l’éducation, imaginent que le numérique sera l’occasion de diminuer les taux d’encadrement. Tous les exemples ci-dessus montrent le contraire : les modifications des formes d’enseignement et des postures des maîtres contraindront au co-enseignement et à l’encadrement multiple, en classe (ce mot n’a plus beaucoup de sens car ni l’espace ni le groupe ne pourront être conservés). Par ailleurs, l’apprentissage en ligne s’ajoutera aux missions existantes…
Casser les missions, les relations avec les élèves, les parents…
Bien entendu, comme déjà évoqué, les missions mêmes des enseignants ne pourront plus être les mêmes. Il y aura aussi à résoudre un paradoxe : comment concilier le suivi à distance de l’élève au-delà du temps scolaire et la nécessaire présence plus active et durable sur les lieux de scolarité ?
Les relations avec les acteurs, élèves et leurs parents, sont aussi à revoir, à l’heure de la co-éducation au numérique (apprentissage de la responsabilité, de l’autonomie).
Bon, on commence quand ?
PS : on pourra, pour compléter sa réflexion, écouter avec profit cette petite vidéo qui date déjà de 2010.
Michel Guillou @michelguillou
http://www.educavox.fr/actualite/debats/article/numerique-ce-qu-il-va-falloir
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