jeudi 10 mai 2012

Le pèlerinage de Ghriba, "événement clé" du tourisme à Djerba

Le Point.fr - Publié le 10/05/2012 à 12:25 - Modifié le 10/05/2012 à 16:44

Les 9 et 10 mai, des centaines de Juifs se sont rendus sur l'île de Djerba, pour un pèlerinage à la synagogue la plus ancienne d'Afrique.

Des pèlerins à la synagogue de Ghriba, la plus ancienne d'Afrique, le 9 mai 2012. © Fethi Belaid / AFP

"Si le pèlerinage se passe bien, la saison touristique se passe bien", récite, telle une incantation, Perez Trabelsi. Sa kippa de travers, le chef de la communauté juive de Djerba, qui comprend près de 1 200 personnes, termine les derniers préparatifs en cette matinée du 9 mai. Le pèlerinage de la Ghriba, la plus ancienne synagogue d'Afrique, commence dans quelques heures. Selon le président de ce lieu de culte, près de 1 500 Juifs de Tunisie et d'ailleurs devraient se rendre dans cette synagogue pendant deux jours. En 2011, pour des raisons de sécurité à la suite de la révolution, cette fête a été annulée, annonçant une saison touristique désastreuse pour l'île avec 682 000 visiteurs, contre 1,2 million en 2010 sur les 7 millions qui s'étaient rendus en Tunisie.

Sur les quatre premiers mois de l'année 2012, plus de 220 000 touristes se sont rendus sur cette île du sud de la Tunisie, soit une baisse de 23,4 % par rapport à la même période de 2010, année de référence. Et malgré les mises en garde d'Israël, plus de 300 ressortissants français et italiens notamment ont fait le déplacement pour le pèlerinage de la Ghriba. Le 3 mai, le Conseil israélien de sécurité nationale (CNS) a "déconseillé fortement" à ses ressortissants de se rendre en Tunisie et particulièrement à Djerba, accusant des activistes de planifier des attentats.

"On veut montrer aux touristes qu'il n'y a aucun risque à Djerba. L'île a toujours été calme, même pendant la révolution", soutient un agent de sécurité. Devant l'entrée du bâtiment blanchi à la chaux, le dispositif de sécurité est visible, mais selon les habitants, il est moindre que sous Ben Ali. Un hélicoptère patrouille en permanence. Un détecteur de substances explosives à la main, un homme parcourt la patio du lieu de culte. "Il n'y a aucun risque. Il s'agit de mesures de prévention après les appels de certains extrémistes", rassure le commandant AbdelmajidLabiaad. Quelques semaines plus tôt, une vidéo montrant un orateur appelant au meurtre des Juifs sur l'avenue Habib Bourguiba, à Tunis, avait circulé sur le Net, avant d'être dénoncée par l'ensemble de la classe politique. Pour apaiser les tensions, Moncef Marzouki, le président de la République tunisienne, s'est rendu à Djerba le 11 avril pour commémorer le 10e anniversaire de l'attentat contre la synagogue qui avait fait 21 morts deux semaines avant les festivités annuelles. "Seule une trentaine de personnes étaient venues cette année-là", se souvient Perez Trabelsi.

"Miroir du tourisme tunisien"

Des youyous retentissent dans la synagogue. Une jeune femme, la tête couverte et les yeux rougis par les larmes, sort d'une petite grotte. Alors que certaines brûlent des cierges, d'autres écrivent leurs voeux sur des oeufs, à l'image de Nicole. Vêtue de blanc et d'un fichu sur la tête, cette assistante d'éducation à Paris se rend chaque année à la Ghriba. Organisé annuellement au 33e jour de la Pâque juive, ce pèlerinage attire "en moyenne entre 7 000 et 8 000 personnes", assure Perez Trabelsi, et lance d'une certaine manière la saison touristique sur l'île. Mais ce petit homme trapu regrette cette année que le ministère du Tourisme n'ait pas invité des personnalités religieuses d'autres pays "comme le faisait l'ATCE" (Agence de communication extérieure), depuis dissoute.

"Le ministère du Tourisme n'a jamais joué le rôle de l'ATCE qui était utilisée pour des fins politiques. Cet événement religieux doit exister, réussir et être respecté. L'État met tout en oeuvre pour qu'il se passe bien", s'emporte Mohamed Essayem, le commissaire régional du Tourisme à Djerba depuis 7 ans. Jeudi, le ministre Elyes Fakhfakh se rendra à la cérémonie de clôture du pèlerinage. "Sur le plan touristique, ces visiteurs sont des habitués, ils ont leurs hôtels, leurs magasins. Cela fait partie du rituel de l'île, qui est le miroir du tourisme tunisien", analyse Mohamed Essayem.

Dans le souk de la localité de Houmt Souk, de nombreux commerçants ne ressentent pas de retombées particulières du pèlerinage, à l'exception de Mohamed. "En cinq jours, je me fais plus de 1 000 dinars (500 euros), contre 100 (50 euros) en temps normal", défend ce marchand d'épices. Huiles essentielles, épices, masques pour le visage..., sa petite échoppe, dans laquelle trône une photo de son père portant un keffieh palestinien et qui a ouvert ce magasin il y a 40 ans, propose toutes sortes d'articles nécessaires aux rites religieux.

Haut de gamme

Dans la cour du foundouk ("hôtel" en arabe), une sono crache de la musique. Une vente aux enchères a lieu. Les recettes assureront une partie de l'entretien de la synagogue "bâtie sur une pierre de Jérusalem", estimé à 30 000 dinars par an, selon Perez Trabelsi. Avant 1967, les pèlerins dormaient sur place. Depuis, ils ont pris place dans les hôtels de l'île.

"Le pèlerinage de la Ghriba est un événement clé du tourisme à Djerba. C'est un peu comme Lourdes pour les chrétiens ou l'Arabie saoudite pour les musulmans. Cette année, nous avons entre 70 et 90 pèlerins sur les deux hôtels, c'est beaucoup moins que d'habitude", regrette Sami Ounalli, directeur commercial des hôtels Radisson et Park Inn situés dans la zone touristique de Djerba. En bord de mer, ornés de palmiers, ces hôtels luxueux qui proposent des formules alléchantes pour les touristes enregistrent en ce début du mois de mai un taux d'occupation de moins de 60 %, contre près de 80 % les années précédentes.

Mohamed Essayem, qui représente l'Office national du tourisme tunisien (ONTT), note cependant une certaine reprise du tourisme sur les dix derniers jours du mois d'avril. L'ONTT, qui espère "une saison aussi bonne qu'en 2010", cherche maintenant à attirer "une clientèle différente, plus haut de gamme", à travers la promotion des maisons d'hôtes notamment, "afin de recréer du lien entre les touristes et la culture locale". Mais aussi pour contrecarrer les effets néfastes du tourisme de masse promu sous Ben Ali. Un discours que soutient Mohamed-Habib Tekitek. Dans son bureau de la municipalité situé au centre de Houmt Souk, ce retraité devenu bénévole à la municipalité énumère : "1 000 tonnes de déchets par jour à cause des hôtels", des problème d'eau, un environnement dégradé... Alors que le tourisme représente près de 80 % de l'économie locale, il a, selon lui, "défiguré l'île. Nous devons maintenant essayer de sauver ce qu'il reste."

JULIE SCHNEIDER

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