mardi 26 juillet 2011

De la conscience professionnelle des enseignants

Des hussards noirs de la 3ème République aux acteurs de la rénovation pédagogique des années 1970, aux professeurs d’école confrontés à la difficulté de mise en œuvre de la loi d’orientation de 1989, l’une des caractéristiques majeures des enseignants était leur conscience professionnelle.

Pour eux, l’intérêt de l’enfant n’était pas qu’un slogan.

De nombreux ouvrages en attestent : romans historiques, autobiographies, études sociologiques et psychologiques, enquêtes, thèses.

Même dans des conditions difficiles, même dans des contextes hostiles, cette grande qualité ne s’est jamais démentie.

Inspecteur dans les écoles maternelles et élémentaires d’une circonscription du Nord durant 28 ans, je dois reconnaître que j’ai très rarement rencontré des enseignants manquant de courage, de sérieux, de constance, d’assiduité et d’intérêt pour l’enfance et pour les apprentissages.

J’en ai rarement rencontré qui baissaient les bras avec des enfants en difficulté, qui n’étaient pas dans leur classe bien avant et bien après l’heure, qui arrivaient en classe sans préparation ni réflexion, qui ne s’intéressaient pas à l’évolution de leur métier.

Non pas que leurs pratiques répondaient toujours aux enjeux nouveaux d’une société en mutation, non pas que la résistance au changement n’ait pas existé avec ses formes diverses de résistance passive, non pas que des pratiques anciennes n’aient pas perduré, mais dans l’ensemble, la Nation a pu et peut compter sur un corps exemplaire qui a permis – ne l’oublions pas – de réussir une démocratisation quantitative spectaculaire.

Il suffit d’observer l’évolution des statistiques du baccalauréat pour s’en convaincre.

Ceux qui connaissent bien le milieu savent à quel point les enseignants se consacrent à leur travail, souvent au grand dam de leur entourage.

Le malaise, latent, semble pourtant s’installer et mettre en danger cette conscience.

Découragement, démobilisation, incompréhension des nouvelles politiques se confirment.

L’absence d’un projet éducatif national cohérent, moderne, lisible, mobilisateur est sans doute la cause principale de cette dégradation inquiétante.

La succession de mesures imposées sans concertation depuis 2007, balayant d’un revers de main méprisant tous les efforts réalisés depuis plus de trente ans, la réduction drastique des moyens au nom de la révision des politiques publiques, la multiplication de décisions gadgets, le choix implicite d’une société de l’individualisme, de la compétition entre les élèves, les personnes et les établissements, le développement de l’autoritarisme, des primes et des sanctions ont rapidement détérioré le climat éducatif.

La paperasserie délirante, les contrôles incessants, l’évaluationnite aiguë renforcent l’évidence.

Les hiérarchies intermédiaires, habituées au respect et à une certaine docilité, mesurent mal la réalité du problème. On se complaît dans une culture de l’apparence, bien en phase avec la conception en vogue de la communication, qui ne correspond en rien à la réalité des états d’âme et des réflexions du terrain.

La Nation paiera très cher cette dégradation : développement de la violence, difficulté du vivre ensemble, désengagement citoyen au profit du pouvoir aux experts et aux gagnants, perte des valeurs, etc.

La disparition de la formation professionnelle des enseignants, le déni de la pédagogie, l’ignorance chez les nouveaux enseignants de l’histoire de l’école, la priorité donnée aux contenus disciplinaires cloisonnés classiques ne se sont pas de nature à redonner du souffle à l’institution.

Une nouvelle mobilisation de l’ensemble de la Nation pour l’école démocratique et émancipatrice du futur avec la recherche d’un consensus sur l’essentiel pour transcender les alternances politiques et donner du temps au temps est nécessaire. Elle seule pourra garantir la conscience professionnelle historique des enseignants et l’enthousiasme nécessaire à l’exercice du plus beau métier du monde. ...

par Pierre Frackowiak mardi 26 juillet 2011

http://www.educavox.fr/De-la-conscience-professionnelle

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