dimanche 30 octobre 2011

"La démocratie ne se décrète pas, elle se pratique"

La réussite des élections tunisiennes a été saluée par de nombreuses personnalités. Le travail de l'Assemblée constituante va à présent se mettre en marche. Tokia Saïfi, député européenne PPE, a fait partie de la délégation du Parlement européen qui était présente en tant qu'observateur lors de ces premières élections démocratiques. Elle nous livre son sentiment vis-à-vis du déroulement de cette élection, et en analyse les résultats.

Touteleurope.eu : Pensez-vous que la campagne électorale tunisienne a pu se dérouler sur une base d'égalité, notamment dans le traitement des médias, publics et privés ?

Tokia Saïfi : Certaines listes n'ont pas eu une seule voix. C'était donc assez curieux, lors du dépouillement de constater que seule une dizaine de liste a eu effectivement des voix. Je pense que cette première élection va servir à faire le tri entre tous les partis politiques qui se sont constitués plus ou moins par ego ou orgueil afin de défendre chacun leur opinion. Les Tunisiens rentrent dans le processus démocratique. Or la démocratie ne se décrète pas, elle se pratique. Elle doit être structurée dans une certaine logique.

Les médias sont également entrés dans cette logique démocratique. Sous Ben Ali, il n'y avait qu'un seul média pour faire la propagande gouvernementale et présidentielle. L'ISIE, l'instance qui a organisé les élections, a vraiment fourni d'énormes efforts afin qu'un traitement équitable soit appliqué à toutes les opinions politiques. On a eu une campagne électorale qui a été extrêmement timide. Il n'y a eu que quelques grands meetings. Nous avons été aussi très étonné de voir les panneaux d'affichage avec seulement de toutes petites affiches, très discrètes. Nous n'avons pas vu ce que l'on peut voir chez nous lors des élections. Nous ne pouvions d'ailleurs pas observer les mêmes phénomènes que dans nos pays, dans lesquels il y a une pratique ancienne, par les médias, du traitement de l'information électorale.

Touteleurope.eu : Au regard des premiers résultats, vous inquiétez-vous de l'avenir des droits des femmes tunisiennes, qui comme on le sait, possède un des statuts les plus avancées des pays du monde arabe ?

Tokia Saïfi : De ce que j'ai observé, les femmes tunisiennes sont extrêmement vigilantes. Lors de la campagne, le parti Ennahda a pris en compte la candidature de plusieurs femmes. Et lors de leurs meetings, il a mis en avant des femmes voilées et non voilées. Il faut savoir que les femmes ont représenté 46 % des inscriptions volontaires. Sur 5 000 femmes qui se sont portées candidates, seul 7 % d'entre elles se présentaient en tête de liste. Il est vrai qu'il y aura plus d'hommes élus.

Je pense que la participation des femmes à la vie politique sera une question sur laquelle il faudra être vigilant. Lorsque nous étions en Tunisie, nous avons eu des discussions avec des associations de femmes, notamment sur le contenu de la prochaine constitution. Les femmes tunisiennes ont acquis un statut de haut niveau en termes de libertés, et en discutant avec elles, nous avons constaté qu'elles ne transigeraient pas sur ce statut. Mais je crois que l'Europe doit rester vigilante sur cette question.

Touteleurope.eu : La victoire du parti Ennahda influencera-t-elle le nouveau processus démocratique en Tunisie ?

Tokia Saïfi : Il faut laisser du temps aux Tunisiens et ne pas commencer à tirer des conclusions hâtives. Il faut aussi avoir un certain recul aussi face notre histoire, notamment sur le nombre d'années qui nous a été nécessaire pour obtenir une démocratie, avec des bases et des fondamentaux solides. Le processus démocratique est nouveau pour les Tunisiens. Il faut leur laisser le temps de la pratique. Le parti Ennahda sera observé durant une année pendant les travaux de l'Assemblée Constituante. Cette année d'observation est, à mon avis, importante car elle se déroulera durant la mise en place du régime politique tunisien. Elle permettra également de voir comment se comporte Ennahda avant les élections législative et présidentielle. Cette période constitue une espèce de "sas", qui fait que s'il y a un quelconque dérapage, les Tunisiens et les Tunisiennes sauront réagir.

Une chose m'a frappée quand nous étions en Tunisie dimanche. Nous sommes sortis d'un bureau de vote et avons commencé à discuter avec une personne. Celle-ci nous a dit de respecter les résultats de ces élections. Car les Tunisiens sont aussi vigilants sur notre potentielle ingérence dans leur vie démocratique. Il ne faut en effet pas changer de point de vue en fonction de résultats qui ne nous satisferaient pas.

La nouvelle façon de voir notre partenariat est de leur faire confiance et de ne pas s'ériger en donneur de leçons. Nous ne devons intervenir que dans le domaine du respect des droits de l'homme. S'il se passe un dérapage dans ce domaine, nous aurons notre mot à dire. Mais si les Tunisiens, demain, décident d'élire tel ou tel parti plus qu'un autre, nous n'avons pas à interférer.

Touteleurope.eu : La victoire du parti Ennahda aura-t-elle un impact sur les futures décisions de l'Assemblée constituante, notamment au regard du choix de régime politique tunisien ?

Tokia Saïfi : Aujourd'hui, je ne vois pas la Tunisie faire une application stricte de la charia. J'ai trouvé très maladroits les propos samedi de Moustapha Abdeljalil, le président de la Libye. Il a d'ailleurs essayé par la suite de revenir sur ses propos, car il s'est bien rendu compte qu'ils étaient inopportuns.

De plus, on ne peut pas comparer la société tunisienne et la société libyenne. Ce n'est pas le même niveau d'éducation, de liberté de la femme, etc. Le printemps arabe n'est pas uniforme. Ce n'est pas les même principes ni les même méthodes qui vont s'appliquer dans chaque pays. L'Egypte et la Tunisie n'ont pas la même histoire par exemple. En Egypte, vous avez une société plus traditionnelle, à la fois dans sa pratique de l'islam, et dans son pouvoir qui est plutôt militaire. La Tunisie se rapproche, elle, des fondamentaux européens.

Il va falloir accompagner les Tunisiens en matière de développement économique. C'est la question la plus importante. Des pays comme la Tunisie et l'Egypte doivent être accompagnés à travers la mise en place d'un véritable partenariat avec l'Europe, car ce sont nos voisins directs. Il y a un énorme potentiel. En outre, il ne faut pas oublier que la Tunisie connait actuellement un chiffre du chômage des jeunes très élevé. C'est aussi dans un domaine comme celui-là que l'Europe doit être très présente. Je suis sûre que si la population est dans une logique de développement économique et d'avenir qui se précise pour toute sa jeunesse, il y aura certaines idéologies qui n'auront pas d'influence sur la population.

27/10/11

 

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