La croissance des villes du futur selon les principes du développement durable représente un défi (cf. notre dernier article sur le sujet [1]). Un des axes d'évolution des centres urbains très étudié et discuté est notamment l'interconnexion croissante entre les villes: grâce à des technologies en cours de développement, les citadins pourront se déplacer rapidement, économiser de l'énergie, et les services municipaux pourraient gagner en interactivité et en efficacité.
Mais quels seront les acteurs clés dans l'évolution des villes? Aux Etats-Unis, où les métropoles abritent 83% de la population et sont à l'origine de 90% du PIB, le marché des nouvelles technologies de l'information dans les villes est en constante augmentation. Il pourrait être de l'ordre de 1 200 milliards de dollars sur la prochaine décennie selon Bruce Katz, Directeur du Programme Politique des grandes villes à la Brookings Institution [2]. C'est sans doute une des raisons qui expliquent l'intérêt croissant de nombreuses entreprises et d'autres entités nationales et internationales sur ce sujet.
Les usagers
Les premiers à faciliter la transmission des flux d'information de toutes sortes (ex: évolution des places de stationnement disponibles en temps réel, le taux de criminalité par quartier...) pourraient être ceux qui en bénéficient le plus, c'est-à-dire les habitants des villes, surtout si on les y incite et si on leur en donne les moyens.
Sur la côte ouest des Etats-Unis par exemple, la "San Francisco Citizens Initiative for Technology & Innovation" (sf.citi) est une organisation indépendante créée en 2011, dont l'objectif est d'améliorer la ville. En tirant profit de la puissance des secteurs de la technologie et de l'innovation qui sont des points forts de la région, l'association a pour ambition de créer une force d'action civique locale. "sf.citi" bénéficie du soutien du gouvernement californien, de la ville et de la communauté technologique de San Francisco (plus de 30.000 emplois).
Les deux premiers chantiers de cette organisation ont été de mettre sur pied un programme pour l'emploi et l'apprentissage ainsi que de créer un accélérateur pour les jeunes entreprises innovantes (JEI) qui mettent l'accent sur ??les questions civiques [3]. La création de ce dernier a été annoncée en janvier 2012 par le maire de San Francisco, M. Ed Lee. En partenariat avec "Code for America" (CFA), la ville incite donc les programmeurs (qui peuvent inclure d'anciens pirates informatiques) à scruter les données numériques de la ville qui seront mises à leur disposition et à imaginer des solutions économiquement viables qui pourraient aider les autorités administratives à être plus efficaces à tous les niveaux. Comme par exemple, une meilleure coordination entre les différents services publics ou des programmes permettant d'économiser l'eau en repérant plus rapidement les fuites, etc.. Google finance le projet à hauteur de 1,5 million de dollars, ainsi que la Fondation Kauffman (pour montant non précisé).
D'après Jennifer Pahlka, fondatrice et directeur exécutif de CFA, le mode de fonctionnement de l'accélérateur sera calqué sur celui du YCombinator, un autre incubateur local: le modèle de financement implique les jeunes entrepreneurs dès le démarrage, les délais de réponse sont courts et le développement rapide. Enfin, des journées de démonstration sont organisées à la fin de la conception de la première ébauche des produits, pour attirer les investisseurs .
Selon Mark Headd, un défenseur du piratage informatique à des fins civiques, ancien conseiller des technologies de l'information de l'état du Delaware, "beaucoup de gens avaient peur d'avoir l'air un peu fou [avec de tels projets], mais maintenant que San Francisco a pris les devants, de telles idées [et projets sont devenus] légitimes" [4].
Les autorités dirigeantes des villes
Depuis les années 1990, les métropoles ont commencé à travailler sur leur image et leur marketing, ce qui a introduit une certaine émulation entre elles: depuis peu, elles sont même en concurrence pour augmenter leur attractivité, attirer des habitants. Elles cherchent aussi à améliorer la qualité de vie qu'elles offrent. Notons que certains chercheurs [5] redoutent que le thème "smart cities" soit uniquement un argument de vente supplémentaire. Les villes pourraient succomber à la tentation de se livrer à des louanges quant à leurs réalisations dans ce domaine et à se développer de façon individuelle, ce qui risquerait de diminuer les efforts de collaboration entre les municipalités.
Quoiqu'il en soit, l'accroissement de la connectivité fait partie de leur champ de bataille [6] notamment dans les pays émergents. La ville de Rio de Janeiro (Brésil), qui s'apprête à recevoir bientôt le sommet pour le climat Rio+20 [7], vient par exemple de s'équiper d'un système d'information très sophistiqué dont l'interface est un mur d'écrans - une sorte de quasi-Rio. A l'aide de cet outil futuriste, on peut observer en temps réel l'activité des stations de métro et des principaux carrefours grâce à la surveillance vidéo, les prévisions météorologiques à travers la ville, ou encore les emplacements des accidents de voiture, des pannes d'électricité et d'autres problèmes [8].
En Amérique du Nord, certaines villes désirent avant tout "verdir" leur image (et en profiter pour faire des économies). Ottawa multiplie par exemple les initiatives pour accueillir des bâtiments moins consommateurs d'énergie, développer les énergies renouvelables ou améliorer l'accès aux transports publics [9].
Chicago a adopté une solution innovante pour le financement de l'efficacité énergétique: le maire a récemment annoncé la création d'un trust pour améliorer l'infrastructure de la ville en s'appuyant sur de l'investissement privé. Entre 200 et 225 millions de dollars pourraient ainsi servir au premier projet intitulé "retrofit Chicago", qui permettrait de réduire de 20% la consommation d'énergie des bâtiments municipaux en les rénovant [10].
Cependant aux Etats-Unis, comme le souligne le journal Brookings, la multiplication d'organismes gouvernementaux, locaux ou municipaux est susceptible de constituer un frein au développement de nouvelles initiatives urbaines coordonnées. On compte dans le pays 19 492 gouvernements municipaux, 13 051 districts scolaires, et 37 381 autorités différentes. La métropole de Chicago traverse à elle seule 14 comtés dans trois états, et est découpée en 347 municipalités, 365 districts scolaires et 137 districts de bibliothèque [2]!
Afin de surmonter les problèmes de bureaucratie liés à cette fragmentation qui entravent le développement des "smart cities", certains journalistes considèrent que l'état fédéral devrait:
- proposer des financements plus ciblés, récompensant les métropoles qui ont une approche intégrée sur les transports, l'habitat et l'emploi;
- imposer une certaine coordination entre les gouvernements municipaux en exigeant des plateformes communes pour les services partagés;
- développer les partenariats public-privé, à l'exemple de certaines villes européennes comme Amsterdam [11].
Cela explique sans doute la démarche des conseils municipaux qui s'appuient sur des réseaux plus étendus pour améliorer leur développement, et parfois sur des cabinets de conseil ou des entreprises spécialisées.
Les "facilitateurs" non-gouvernementaux
=> Pourquoi pas un site internet ?
Le site "Cool California" veut tirer partie de l'émulation entre les villes. Il organise un concours pour récompenser les villes californiennes qui réduisent leur empreinte carbone. Des organismes gouvernementaux, des universités, l'Etat californien et Next10, une organisation à but non lucratif sont à l'origine de cette initiative. Elle est cependant conçue pour être participative et tous les citoyens sont invités à apporter leur contribution au site.
Les ménages habitant dans les villes participantes gagneront des points s'ils ont déjà des comportements sobres en carbone, et des points bonus s'ils effectuent des modifications de comportement permettant de réduire encore plus leurs émissions. Les villes seront en concurrence pour remporter des prix qui profiteront à leur communauté. Après trois mois de compétition les trois finalistes seront reconnues comme les "villes les plus branchées la Californie" [12].
Notons que dans un esprit similaire, le site internet Cité Green propose en France de récompenser les habitants-citoyens pour leurs gestes responsables (trier les déchets, faire du co-voiturage...) [13].
=> Fonctionner en réseau pour mutualiser les apprentissages
Certaines villes choisissent de travailler ensemble: c'est le cas d'une soixantaine d'entre elles (dont dix aux Etats-Unis) réunies dans le réseau "C40 Cities Climate Leadership" (C40), présidé par le maire de New York, M. Michael R. Bloomberg. Ce groupe regroupe des grandes villes de toute la planète engagées dans la lutte contre le changement climatique et qui souhaitent apporter leur contribution en mettant en oeuvre des solutions durables au niveau local.
Créé en 2005 par l'ancien maire de Londres Ken Livingstone, C40 a noué un partenariat en 2006 avec le programme des villes de la Climate Initiative du Président Clinton (CCI) pour réduire les émissions de carbone et augmenter l'efficacité énergétique dans les grandes métropoles mondiales. L'organisation profite ainsi d'un réseau encore plus étendu d'experts pointus sur de nombreux domaines, qu'elle met à disposition des autorités municipales [14].
Lors d'une conférence tenue en Suisse en février 2012, C40 a lancé une nouvelle initiative pour soutenir les villes souhaitant collaborer pour identifier des solutions de financement. Deux séances ont été consacrées à ce sujet, durant lesquelles les villes ont pu échanger leurs bonnes pratiques, les politiques et leurs retours d'expérience [15].
Les entreprises
Naturellement, de grandes multinationales s'intéressent au marché des villes, et notamment les sociétés de hautes technologies. IBM est peut-être celle dont l'effort est le plus conséquent (et le plus médiatisé), notamment grâce au concept de "smart cities" [16], dont le système de Rio, évoqué plus haut, est une démonstration et qui était encore au centre d'une conférence récente aux Etats-Unis, IBM Pulse 2012 [17]. L'entreprise a créé une centrale opérationnelle pour les villes intelligentes ("Intelligent Operations Center for Smarter Cities") qui analyse les efforts entrepris dans différents secteurs et acteurs. Le système a pour objectif d'offrir aux décideurs des informations qui les aident à anticiper les problèmes, plutôt que de réagir lorsque ceux-ci sont survenus. Les villes pourraient ainsi gérer leur croissance et leur développement d'une manière plus durable et anticipée.
Cisco de son côté a lancé une initiative intitulée "connected urban development" avec l'organisation Climate Group [18]. Si ce projet semble être ralenti depuis 2010, cela ne traduit pas un fléchissement de l'intérêt de l'entreprise pour le sujet, qui anime l'institut "Smart+Connected Communities" dont la vocation est d'être une plateforme d'échanges. Cette dernière concerne les dirigeants politiques, les urbanistes, les promoteurs, les universités, les intégrateurs de systèmes où ils peuvent collaborer et innover pour développer de futures villes durables [19].
Siemens souhaite également apporter son point de vue. Sur son site internet américain [20], on trouve plusieurs rapports comme par exemple "Smarter Neighborhoods, Smarter City", qui contient des recommandations détaillées sur la façon dont la plus grande zone urbaine des Etats-Unis, la ville de New York, pourrait organiser un plan de croissance durable.
Enfin, certaines sociétés ne sont présentes sur de nombreux aspects du développement des villes, par exemple Bouygues, qui développe de nombreux produits dont des éclairages publics intelligents [21], Google (avec le site Google Maps et la possibilité qu'il offre sur le calcul des itinéraires que nous évoquions dans un précédent article, et l'investissement dans l'accélérateur de sf.citi prévu à San Francisco), etc.
De nombreuses société de taille plus modeste, telles que celles qui seront crées dans cette structure, cherchent également à apporter leur pierre à l'édifice.
Une opportunité pour les entreprises, mais par où commencer ?
Lux Research a récemment présenté les conclusionsde ses recherches sur les technologies des villes du futur sur un document en ligne [22]. Le cabinet de conseil estime que les villes représentent un marché de plusieurs milliards de dollars. Pour lui, ce sera même un marché incontournable pour les entreprises technologiques qui veulent rester compétitives dans les décennies à venir. De son côté, l'analyste Jaideep Raje, tempère. Il souligne la complexité engendrée par le nombre important d'acteurs en jeu (même si l'on ne considère que la thématique comme les bâtiments et réseaux intelligents), qui se superposent à la diversité et les particularités de villes.
Lux Research a développé un outil qui permet aux entreprises de mieux cibler leurs potentiels segments de clientèle dans le domaine de l'efficacité énergétique. Trois indicateurs sont pris en compte:
1 - le niveau de développement: les villes sont qualifiées en tant que "brownfield" ou "greenfield". Dans le premier cas il s'agit des villes plus anciennes possédant des infrastructures conséquentes qu'il faudrait moderniser et interconnecter. Dans le second, il s'agit de villes où une grande partie du développement reste à faire, à partir d'infrastructures modernes quasi-inexistantes.
2 - la gestion du développement: approche "top-down" (centralisée) ou "organic" (décentralisée)
3 - l'ntité qui mène le développement: la ville uniquement ou un consortium
Six combinaisons ont été retenues parmi les huit possibles, les deux autres ayant été éliminées car elles ne correspondent à aucun exemple réel ou à des modèles de développement très rares. C'est le cas de la ville de Masdar. Les différents types de villes identifiés sont ensuite positionnés sur cinq échelles qualifiant le marché. L'une d'entre elle quantifie par exemple le degré de duplication du modèle de développement tandis qu'une autre indique si les villes auront des besoins en technologies plutôt intégrées ou bien indépendantes.
Conclusion
Le concept des villes intelligentes, plus équitables, vertes, interconnectées correspond à un défi mondial qui nécessitera des efforts de coordination à tous les niveaux, d'autant plus que le nombre d'acteurs en jeu augmente: autorités municipales, entreprises, intermédiaires et même citadins auront pleinement leur rôle à jouer.
Au niveau mondial, l'Organisation des Nations-Unies s'intéressent de près aux villes et au futur de celles-ci. Ainsi une exposition intitulée "Design With the Other 90%: Cities" a été présentée à New York jusqu'en janvier 2012. On pouvait y voir des dizaines de produits et de projets conçus pour répondre aux besoins des 90% de la population mondiale sans accès à des services professionnels de conception et d'architecture [23]. Récemment, un rapport a été également publié par le département chargé de la question de l'habitat des Nations-Unies : "droit à la ville", ou le fait que les autorités municipales doivent protéger toutes les formes des droits de l'homme et tenter de combler la fracture urbaine par tous les moyens [24]. Notons qu'elles devront également protéger les citoyens contre les problèmes de hacking, qui sont en augmentation dans certains des pays les plus développés comme les Etats-Unis [25].
C'est également un thème porteur d'espoir en matière de développement. Richard Jones, le directeur exécutif de l'Agence Internationale de l'Energie, a par exemple invité le 2 mars lors d'une allocution au Japon les villes et villages du départements atour de Fukushima à "faire de cette vision une réalité" en planifiant la reconstruction des communautés et en intégrant la technologie moderne pour les rendre plus agréable à vivre que jamais [26].
http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/69521.htm
Mais quels seront les acteurs clés dans l'évolution des villes? Aux Etats-Unis, où les métropoles abritent 83% de la population et sont à l'origine de 90% du PIB, le marché des nouvelles technologies de l'information dans les villes est en constante augmentation. Il pourrait être de l'ordre de 1 200 milliards de dollars sur la prochaine décennie selon Bruce Katz, Directeur du Programme Politique des grandes villes à la Brookings Institution [2]. C'est sans doute une des raisons qui expliquent l'intérêt croissant de nombreuses entreprises et d'autres entités nationales et internationales sur ce sujet.
Les usagers
Les premiers à faciliter la transmission des flux d'information de toutes sortes (ex: évolution des places de stationnement disponibles en temps réel, le taux de criminalité par quartier...) pourraient être ceux qui en bénéficient le plus, c'est-à-dire les habitants des villes, surtout si on les y incite et si on leur en donne les moyens.
Sur la côte ouest des Etats-Unis par exemple, la "San Francisco Citizens Initiative for Technology & Innovation" (sf.citi) est une organisation indépendante créée en 2011, dont l'objectif est d'améliorer la ville. En tirant profit de la puissance des secteurs de la technologie et de l'innovation qui sont des points forts de la région, l'association a pour ambition de créer une force d'action civique locale. "sf.citi" bénéficie du soutien du gouvernement californien, de la ville et de la communauté technologique de San Francisco (plus de 30.000 emplois).
Les deux premiers chantiers de cette organisation ont été de mettre sur pied un programme pour l'emploi et l'apprentissage ainsi que de créer un accélérateur pour les jeunes entreprises innovantes (JEI) qui mettent l'accent sur ??les questions civiques [3]. La création de ce dernier a été annoncée en janvier 2012 par le maire de San Francisco, M. Ed Lee. En partenariat avec "Code for America" (CFA), la ville incite donc les programmeurs (qui peuvent inclure d'anciens pirates informatiques) à scruter les données numériques de la ville qui seront mises à leur disposition et à imaginer des solutions économiquement viables qui pourraient aider les autorités administratives à être plus efficaces à tous les niveaux. Comme par exemple, une meilleure coordination entre les différents services publics ou des programmes permettant d'économiser l'eau en repérant plus rapidement les fuites, etc.. Google finance le projet à hauteur de 1,5 million de dollars, ainsi que la Fondation Kauffman (pour montant non précisé).
D'après Jennifer Pahlka, fondatrice et directeur exécutif de CFA, le mode de fonctionnement de l'accélérateur sera calqué sur celui du YCombinator, un autre incubateur local: le modèle de financement implique les jeunes entrepreneurs dès le démarrage, les délais de réponse sont courts et le développement rapide. Enfin, des journées de démonstration sont organisées à la fin de la conception de la première ébauche des produits, pour attirer les investisseurs .
Selon Mark Headd, un défenseur du piratage informatique à des fins civiques, ancien conseiller des technologies de l'information de l'état du Delaware, "beaucoup de gens avaient peur d'avoir l'air un peu fou [avec de tels projets], mais maintenant que San Francisco a pris les devants, de telles idées [et projets sont devenus] légitimes" [4].
Les autorités dirigeantes des villes
Depuis les années 1990, les métropoles ont commencé à travailler sur leur image et leur marketing, ce qui a introduit une certaine émulation entre elles: depuis peu, elles sont même en concurrence pour augmenter leur attractivité, attirer des habitants. Elles cherchent aussi à améliorer la qualité de vie qu'elles offrent. Notons que certains chercheurs [5] redoutent que le thème "smart cities" soit uniquement un argument de vente supplémentaire. Les villes pourraient succomber à la tentation de se livrer à des louanges quant à leurs réalisations dans ce domaine et à se développer de façon individuelle, ce qui risquerait de diminuer les efforts de collaboration entre les municipalités.
Quoiqu'il en soit, l'accroissement de la connectivité fait partie de leur champ de bataille [6] notamment dans les pays émergents. La ville de Rio de Janeiro (Brésil), qui s'apprête à recevoir bientôt le sommet pour le climat Rio+20 [7], vient par exemple de s'équiper d'un système d'information très sophistiqué dont l'interface est un mur d'écrans - une sorte de quasi-Rio. A l'aide de cet outil futuriste, on peut observer en temps réel l'activité des stations de métro et des principaux carrefours grâce à la surveillance vidéo, les prévisions météorologiques à travers la ville, ou encore les emplacements des accidents de voiture, des pannes d'électricité et d'autres problèmes [8].
En Amérique du Nord, certaines villes désirent avant tout "verdir" leur image (et en profiter pour faire des économies). Ottawa multiplie par exemple les initiatives pour accueillir des bâtiments moins consommateurs d'énergie, développer les énergies renouvelables ou améliorer l'accès aux transports publics [9].
Chicago a adopté une solution innovante pour le financement de l'efficacité énergétique: le maire a récemment annoncé la création d'un trust pour améliorer l'infrastructure de la ville en s'appuyant sur de l'investissement privé. Entre 200 et 225 millions de dollars pourraient ainsi servir au premier projet intitulé "retrofit Chicago", qui permettrait de réduire de 20% la consommation d'énergie des bâtiments municipaux en les rénovant [10].
Cependant aux Etats-Unis, comme le souligne le journal Brookings, la multiplication d'organismes gouvernementaux, locaux ou municipaux est susceptible de constituer un frein au développement de nouvelles initiatives urbaines coordonnées. On compte dans le pays 19 492 gouvernements municipaux, 13 051 districts scolaires, et 37 381 autorités différentes. La métropole de Chicago traverse à elle seule 14 comtés dans trois états, et est découpée en 347 municipalités, 365 districts scolaires et 137 districts de bibliothèque [2]!
Afin de surmonter les problèmes de bureaucratie liés à cette fragmentation qui entravent le développement des "smart cities", certains journalistes considèrent que l'état fédéral devrait:
- proposer des financements plus ciblés, récompensant les métropoles qui ont une approche intégrée sur les transports, l'habitat et l'emploi;
- imposer une certaine coordination entre les gouvernements municipaux en exigeant des plateformes communes pour les services partagés;
- développer les partenariats public-privé, à l'exemple de certaines villes européennes comme Amsterdam [11].
Cela explique sans doute la démarche des conseils municipaux qui s'appuient sur des réseaux plus étendus pour améliorer leur développement, et parfois sur des cabinets de conseil ou des entreprises spécialisées.
Les "facilitateurs" non-gouvernementaux
=> Pourquoi pas un site internet ?
Le site "Cool California" veut tirer partie de l'émulation entre les villes. Il organise un concours pour récompenser les villes californiennes qui réduisent leur empreinte carbone. Des organismes gouvernementaux, des universités, l'Etat californien et Next10, une organisation à but non lucratif sont à l'origine de cette initiative. Elle est cependant conçue pour être participative et tous les citoyens sont invités à apporter leur contribution au site.
Les ménages habitant dans les villes participantes gagneront des points s'ils ont déjà des comportements sobres en carbone, et des points bonus s'ils effectuent des modifications de comportement permettant de réduire encore plus leurs émissions. Les villes seront en concurrence pour remporter des prix qui profiteront à leur communauté. Après trois mois de compétition les trois finalistes seront reconnues comme les "villes les plus branchées la Californie" [12].
Notons que dans un esprit similaire, le site internet Cité Green propose en France de récompenser les habitants-citoyens pour leurs gestes responsables (trier les déchets, faire du co-voiturage...) [13].
=> Fonctionner en réseau pour mutualiser les apprentissages
Certaines villes choisissent de travailler ensemble: c'est le cas d'une soixantaine d'entre elles (dont dix aux Etats-Unis) réunies dans le réseau "C40 Cities Climate Leadership" (C40), présidé par le maire de New York, M. Michael R. Bloomberg. Ce groupe regroupe des grandes villes de toute la planète engagées dans la lutte contre le changement climatique et qui souhaitent apporter leur contribution en mettant en oeuvre des solutions durables au niveau local.
Créé en 2005 par l'ancien maire de Londres Ken Livingstone, C40 a noué un partenariat en 2006 avec le programme des villes de la Climate Initiative du Président Clinton (CCI) pour réduire les émissions de carbone et augmenter l'efficacité énergétique dans les grandes métropoles mondiales. L'organisation profite ainsi d'un réseau encore plus étendu d'experts pointus sur de nombreux domaines, qu'elle met à disposition des autorités municipales [14].
Lors d'une conférence tenue en Suisse en février 2012, C40 a lancé une nouvelle initiative pour soutenir les villes souhaitant collaborer pour identifier des solutions de financement. Deux séances ont été consacrées à ce sujet, durant lesquelles les villes ont pu échanger leurs bonnes pratiques, les politiques et leurs retours d'expérience [15].
Les entreprises
Naturellement, de grandes multinationales s'intéressent au marché des villes, et notamment les sociétés de hautes technologies. IBM est peut-être celle dont l'effort est le plus conséquent (et le plus médiatisé), notamment grâce au concept de "smart cities" [16], dont le système de Rio, évoqué plus haut, est une démonstration et qui était encore au centre d'une conférence récente aux Etats-Unis, IBM Pulse 2012 [17]. L'entreprise a créé une centrale opérationnelle pour les villes intelligentes ("Intelligent Operations Center for Smarter Cities") qui analyse les efforts entrepris dans différents secteurs et acteurs. Le système a pour objectif d'offrir aux décideurs des informations qui les aident à anticiper les problèmes, plutôt que de réagir lorsque ceux-ci sont survenus. Les villes pourraient ainsi gérer leur croissance et leur développement d'une manière plus durable et anticipée.
Cisco de son côté a lancé une initiative intitulée "connected urban development" avec l'organisation Climate Group [18]. Si ce projet semble être ralenti depuis 2010, cela ne traduit pas un fléchissement de l'intérêt de l'entreprise pour le sujet, qui anime l'institut "Smart+Connected Communities" dont la vocation est d'être une plateforme d'échanges. Cette dernière concerne les dirigeants politiques, les urbanistes, les promoteurs, les universités, les intégrateurs de systèmes où ils peuvent collaborer et innover pour développer de futures villes durables [19].
Siemens souhaite également apporter son point de vue. Sur son site internet américain [20], on trouve plusieurs rapports comme par exemple "Smarter Neighborhoods, Smarter City", qui contient des recommandations détaillées sur la façon dont la plus grande zone urbaine des Etats-Unis, la ville de New York, pourrait organiser un plan de croissance durable.
Enfin, certaines sociétés ne sont présentes sur de nombreux aspects du développement des villes, par exemple Bouygues, qui développe de nombreux produits dont des éclairages publics intelligents [21], Google (avec le site Google Maps et la possibilité qu'il offre sur le calcul des itinéraires que nous évoquions dans un précédent article, et l'investissement dans l'accélérateur de sf.citi prévu à San Francisco), etc.
De nombreuses société de taille plus modeste, telles que celles qui seront crées dans cette structure, cherchent également à apporter leur pierre à l'édifice.
Une opportunité pour les entreprises, mais par où commencer ?
Lux Research a récemment présenté les conclusionsde ses recherches sur les technologies des villes du futur sur un document en ligne [22]. Le cabinet de conseil estime que les villes représentent un marché de plusieurs milliards de dollars. Pour lui, ce sera même un marché incontournable pour les entreprises technologiques qui veulent rester compétitives dans les décennies à venir. De son côté, l'analyste Jaideep Raje, tempère. Il souligne la complexité engendrée par le nombre important d'acteurs en jeu (même si l'on ne considère que la thématique comme les bâtiments et réseaux intelligents), qui se superposent à la diversité et les particularités de villes.
Lux Research a développé un outil qui permet aux entreprises de mieux cibler leurs potentiels segments de clientèle dans le domaine de l'efficacité énergétique. Trois indicateurs sont pris en compte:
1 - le niveau de développement: les villes sont qualifiées en tant que "brownfield" ou "greenfield". Dans le premier cas il s'agit des villes plus anciennes possédant des infrastructures conséquentes qu'il faudrait moderniser et interconnecter. Dans le second, il s'agit de villes où une grande partie du développement reste à faire, à partir d'infrastructures modernes quasi-inexistantes.
2 - la gestion du développement: approche "top-down" (centralisée) ou "organic" (décentralisée)
3 - l'ntité qui mène le développement: la ville uniquement ou un consortium
Six combinaisons ont été retenues parmi les huit possibles, les deux autres ayant été éliminées car elles ne correspondent à aucun exemple réel ou à des modèles de développement très rares. C'est le cas de la ville de Masdar. Les différents types de villes identifiés sont ensuite positionnés sur cinq échelles qualifiant le marché. L'une d'entre elle quantifie par exemple le degré de duplication du modèle de développement tandis qu'une autre indique si les villes auront des besoins en technologies plutôt intégrées ou bien indépendantes.
Conclusion
Le concept des villes intelligentes, plus équitables, vertes, interconnectées correspond à un défi mondial qui nécessitera des efforts de coordination à tous les niveaux, d'autant plus que le nombre d'acteurs en jeu augmente: autorités municipales, entreprises, intermédiaires et même citadins auront pleinement leur rôle à jouer.
Au niveau mondial, l'Organisation des Nations-Unies s'intéressent de près aux villes et au futur de celles-ci. Ainsi une exposition intitulée "Design With the Other 90%: Cities" a été présentée à New York jusqu'en janvier 2012. On pouvait y voir des dizaines de produits et de projets conçus pour répondre aux besoins des 90% de la population mondiale sans accès à des services professionnels de conception et d'architecture [23]. Récemment, un rapport a été également publié par le département chargé de la question de l'habitat des Nations-Unies : "droit à la ville", ou le fait que les autorités municipales doivent protéger toutes les formes des droits de l'homme et tenter de combler la fracture urbaine par tous les moyens [24]. Notons qu'elles devront également protéger les citoyens contre les problèmes de hacking, qui sont en augmentation dans certains des pays les plus développés comme les Etats-Unis [25].
C'est également un thème porteur d'espoir en matière de développement. Richard Jones, le directeur exécutif de l'Agence Internationale de l'Energie, a par exemple invité le 2 mars lors d'une allocution au Japon les villes et villages du départements atour de Fukushima à "faire de cette vision une réalité" en planifiant la reconstruction des communautés et en intégrant la technologie moderne pour les rendre plus agréable à vivre que jamais [26].
http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/69521.htm
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