On entend dire depuis longtemps que le discours politique est plus polarisé que jamais. Plus récemment, les journalistes scientifiques ont commencé à en sentir les effets. Et voilà qu’enfin, c’est au tour des scientifiques de devoir y faire face.
Il aurait été difficile à un congrès consacrant cinq jours à l’Année polaire internationale (voir les articles de l’Agence Science-Presse ici et ici) d’éluder les énormes difficultés à transmettre l’information scientifique à un public qui ne veut rien entendre —incluant des politiciens. Mais là où, il y a quelques années, glaciologues, océanographes et autres climatologues se seraient contentés de le déplorer, cette semaine, les micros du Palais des congrès de Montréal ont aussi vu passer, entre autres, un sociologue, un psychologue et au moins un journaliste —tous venus réitérer aux scientifiques que, contrairement à ce qu’ils veulent croire, le problème ne se résume pas à une simple ignorance du public.
Andrew Revkin, journaliste environnemental depuis deux décennies —au New York Times en particulier— et blogueur a illustré cela en rappelant que lorsqu’il était jeune, il y avait à la télévision « un gars qui venait nous expliquer en une demi-heure tout ce qu’on avait besoin de savoir sur ce qui s’était passé dans la journée ». Alors qu’aujourd’hui, nous pouvons choisir de ne lire que sur les sujets qui nous intéressent —mais surtout, nous pouvons sélectionner les sources qui confortent nos croyances.
C’est là un rappel qui aurait été inutile dans un congrès de journalistes. Des billets de ce blogue et des articles en ont également fait état. Mais pour un auditoire typiquement scientifique, j’ai bien l’impression que c’est un rappel qu’il faudra faire de plus en plus souvent : les modèles du prof et de l’expert de qui on acceptait qu’il nous fasse la leçon, ne sont plus à jour.
Si tant de gens persistent à nier les changements climatiques, ce n’est pas parce qu’ils ont manqué d’information ou parce que les vilains médias n’ont pas fait leur travail. C’est parce qu’ils ont l’impression qu’on essaie de toucher à ce qu’ils ont de plus précieux : leurs valeurs.
Et en Amérique du Nord, on le mesure de mieux en mieux. Depuis deux ou trois ans, il était courant de voir des études américaines établissant que ceux qui sont républicains sont davantage «à risque» de nier le réchauffement, mais la dernière étude du sociologue Lawrence Hamilton, de l’Université du New Hampshire, nous envoie plus loin encore: est-ce que le sort de l’Arctique vous préoccupe? Plus vous êtes à gauche du spectre politique, plus la réponse est oui; plus vous êtes à droite, plus la réponse est « so what»?
Et c’est encore pire que ça. Hamilton s’est livré à une petite analyse, pas scientifique, mais révélatrice : cherchant via Google ce qui s’était écrit sur son étude, il a constaté que pendant les premières 48 heures, le gros des textes —médias et blogues confondus— s’inspirait plus ou moins du communiqué de presse et de ses propres entrevues. Après 48 heures, un basculement s’est opéré: les climatosceptiques sont débarqués et ont donné un sens complètement erroné à ses conclusions, s’inspirant notamment du plus populaire des blogueurs climatosceptiques (Watts up with that), qui titrait «La spirale de la mort de l’Arctique: le public n’y croit plus».
Or, aujourd’hui, deux mois plus tard, Google fournit 23 000 résultats si on tape un titre inspiré du communiqué ou de l’étude... et 11 200 résultats si on tape un titre inspiré du blogue erroné!
De conclure Hamilton: les gens qui ne veulent pas accepter les conclusions d’une étude scientifique n’ont qu’à attendre deux jours pour trouver une source qui va les conforter dans leur croyance.
Et incidemment, le problème n’est pas juste sur Internet: selon Erik Conway, co-auteur de Merchants of Doubt(compte rendu ici), pas moins de 110 livres climatosceptiques sont parus aux États-Unis depuis 2006!
Le message pour les scientifiques ne pourrait être plus clair : sortez de votre tour d’ivoire, comme l'a dit l'une des vedettes cette semaine, Louis Fortier, de l'Université Laval. Apprenez à communiquer pour le grand public, expérimentez de nouveaux moyens de communication (le blogue est encore considéré comme «nouveau»). En dépit des sommes investies dans l’Année polaire, les climatosceptiques démontrent combien ils sont efficaces pour diffuser de la désinformation: les regarder de haut n’est donc plus une option. Croire qu’il suffit de publier des recherches rigoureuses pour que les gens distinguent spontanément les faits de l’opinion, relève de la naïveté.
Pascal Lapointe, le 27 avril 2012, 17h45
Andrew Revkin, journaliste environnemental depuis deux décennies —au New York Times en particulier— et blogueur a illustré cela en rappelant que lorsqu’il était jeune, il y avait à la télévision « un gars qui venait nous expliquer en une demi-heure tout ce qu’on avait besoin de savoir sur ce qui s’était passé dans la journée ». Alors qu’aujourd’hui, nous pouvons choisir de ne lire que sur les sujets qui nous intéressent —mais surtout, nous pouvons sélectionner les sources qui confortent nos croyances.
C’est là un rappel qui aurait été inutile dans un congrès de journalistes. Des billets de ce blogue et des articles en ont également fait état. Mais pour un auditoire typiquement scientifique, j’ai bien l’impression que c’est un rappel qu’il faudra faire de plus en plus souvent : les modèles du prof et de l’expert de qui on acceptait qu’il nous fasse la leçon, ne sont plus à jour.
Si tant de gens persistent à nier les changements climatiques, ce n’est pas parce qu’ils ont manqué d’information ou parce que les vilains médias n’ont pas fait leur travail. C’est parce qu’ils ont l’impression qu’on essaie de toucher à ce qu’ils ont de plus précieux : leurs valeurs.
Et en Amérique du Nord, on le mesure de mieux en mieux. Depuis deux ou trois ans, il était courant de voir des études américaines établissant que ceux qui sont républicains sont davantage «à risque» de nier le réchauffement, mais la dernière étude du sociologue Lawrence Hamilton, de l’Université du New Hampshire, nous envoie plus loin encore: est-ce que le sort de l’Arctique vous préoccupe? Plus vous êtes à gauche du spectre politique, plus la réponse est oui; plus vous êtes à droite, plus la réponse est « so what»?
Et c’est encore pire que ça. Hamilton s’est livré à une petite analyse, pas scientifique, mais révélatrice : cherchant via Google ce qui s’était écrit sur son étude, il a constaté que pendant les premières 48 heures, le gros des textes —médias et blogues confondus— s’inspirait plus ou moins du communiqué de presse et de ses propres entrevues. Après 48 heures, un basculement s’est opéré: les climatosceptiques sont débarqués et ont donné un sens complètement erroné à ses conclusions, s’inspirant notamment du plus populaire des blogueurs climatosceptiques (Watts up with that), qui titrait «La spirale de la mort de l’Arctique: le public n’y croit plus».
Or, aujourd’hui, deux mois plus tard, Google fournit 23 000 résultats si on tape un titre inspiré du communiqué ou de l’étude... et 11 200 résultats si on tape un titre inspiré du blogue erroné!
De conclure Hamilton: les gens qui ne veulent pas accepter les conclusions d’une étude scientifique n’ont qu’à attendre deux jours pour trouver une source qui va les conforter dans leur croyance.
Et incidemment, le problème n’est pas juste sur Internet: selon Erik Conway, co-auteur de Merchants of Doubt(compte rendu ici), pas moins de 110 livres climatosceptiques sont parus aux États-Unis depuis 2006!
Le message pour les scientifiques ne pourrait être plus clair : sortez de votre tour d’ivoire, comme l'a dit l'une des vedettes cette semaine, Louis Fortier, de l'Université Laval. Apprenez à communiquer pour le grand public, expérimentez de nouveaux moyens de communication (le blogue est encore considéré comme «nouveau»). En dépit des sommes investies dans l’Année polaire, les climatosceptiques démontrent combien ils sont efficaces pour diffuser de la désinformation: les regarder de haut n’est donc plus une option. Croire qu’il suffit de publier des recherches rigoureuses pour que les gens distinguent spontanément les faits de l’opinion, relève de la naïveté.
Pascal Lapointe, le 27 avril 2012, 17h45
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