par Thierry Klein, Dirigeant de la société Speechi
Dans un récent article publié sur le blog de Speechi, j’évoquais comment les nouveaux modes d’enseignement concurrencent l’école. Je détaillais ainsi quelles sont les nouvelles façons de transmettre le savoir. Mais, sous la pression de la Révolution Numérique, quels sont les piliers de l’école à devoir être repensés intégralement ?
1/ La personnalisation : L’école de Jules Ferry apportait à l’ensemble des citoyens un savoir quasi indifférencié, délivré par des professeurs sortant de la bien nommée école normale et sanctionné par le baccalauréat. Elle a créé des corps d’ingénieurs et d’ouvriers qualifiés pour le secteur de l’industrie - des ressources nécessaires pour faire de la France une grande nation industrielle. Et elle est elle-même organisée – taylorisée – comme une gigantesque usine.
Avec Internet, la production indifférenciée de masse, caractéristique de la révolution industrielle, est remplacée par la consommation de masse de produits virtuels. Le marketing et la communication prennent le pas sur l’ingénierie. Le monde devient connecté, outillé, créatif. Les besoins de formation et les formes d’éducation qui en résultent doivent être radicalement transformés.
L’éducation doit être plus personnalisée. Il s’agit autant « d’apprendre à apprendre », « d’apprendre à chercher », que « d’emmagasiner des connaissances académiques communes ».
Les nouvelles technologies apportent des outils qui permettent de personnaliser les apprentissages et les parcours ; la forme et la structure de l’école doivent être modifiées pour en tirer parti.
2/ L’interaction et la collaboration. L’enseignement né de la révolution industrielle privilégie la transmission didactique du savoir, du professeur vers l’élève. L’interaction avec l’ordinateur permet aujourd’hui de donner à un élève un retour immédiat sur la tâche qu’il est en train d’accomplir, sa performance, etc…
La collaboration permet à des groupes d’élèves d’améliorer leurs performances dans un grand nombre de domaines où les capacités à travailler en commun sont absolument nécessaires (négociation, recherche de solutions, sessions créatives de travail, etc…).
La documentation. Aristote est selon moi le premier à avoir compris le rôle crucial de la bibliothèque dans l’enseignement. Tout élève a accès aujourd’hui à plus de documentations que ce qu’Aristote n’aurait jamais pu imaginer.
Internet permet d’accéder de manière instantanée à une grande variété d’informations. Mais y trouver un savoir pertinent est devenu plus complexe. Professeurs et parents ont désormais un rôle d’orientation en plus de la transmission du savoir. Les machines qui améliorent la recherche restent encore perfectibles. Et l’école doit apprendre aussi à évaluer les élèves « à ordinateur ouvert » et non plus simplement sur des savoirs mémorisés.
L’évaluation. Le numérique rend l’évaluation des élèves et des professeurs beaucoup plus rapide et facile, à tel point qu’il devient possible de diriger toute la politique scolaire grâce aux nouvelles technologies.
A partir du moment où des batteries de tests comme des questionnaires à choix multiples sont donnés à quelques milliers d’élèves, de façon à obtenir des résultats significatifs, il est possible de déterminer de façon comparative :
- Le niveau des élèves à l’instant T – et donc l’enseignement qui leur est le mieux adapté ;
- La performance des professeurs (par analyse statistique des progressions des élèves qui leur sont confiés). Ceci permet de récompenser les meilleurs professeurs, de s’inspirer de leurs méthodes, de leur confier des élèves qui ont le plus besoin d’eux, etc… ;
- La performance des méthodes scolaires et les résultats des expérimentations pédagogiques.
Méthode globale ou syllabique ? Tableau interactif ou non ? Enseignement frontal ou collaboratif ? Toutes ces questions, qui mènent aujourd’hui à des débats sans fin et sans intérêt, pourraient être tranchées en quelques semaines avec des méthodes dites d’évaluation aléatoire).
L’évaluation est probablement le facteur le plus important et le plus méconnu de la révolution éducative à venir. A partir du moment où on rassemble suffisamment de données, la statistique permet de dégager des lois générales, profondes.
Aujourd’hui, ces données peuvent être fournies par les élèves à partir d’un ordinateur, d’une tablette, d’un téléphone, de façon presque continue. Certaines entreprises (Google, Facebook) utilisent avec succès ces données dans le but de vendre des bandeaux publicitaires. Il est temps de s’en servir dans un objectif d’intérêt général.
On peut, par exemple, arriver à préciser la notion de « bon professeur » en obtenant, après une analyse des données, la probabilité que tel professeur fasse progresser tel type d’élève – ce qui conduirait à confier l’élève au professeur le plus adapté à son profil.
Avec les outils d’évaluation adéquats, l’école peut devenir un processus dit « d’optimisation sous contrainte ». Comme le processus d’évolution améliore en permanence la performance des êtres vivants, toutes les initiatives peuvent être évaluées, et les meilleures sélectionnées puis généralisées.
Le pays qui tirera le plus avantage de la révolution numérique sera celui qui saura le mieux utiliser ces nouveaux outils d’évaluation.
La mobilité. Personnalisation, interaction, documentation, collaboration, évaluation. La réflexion sur la mobilité transcende les différents “piliers” énumérés ci-dessus et peut être considérée comme un axe bien à part nécessitant une réflexion et des solutions spécifiques.
Les moyens d’enseignement mobiles, observés de nos jours avec méfiance, voire bannis de l’école, vont s’imposer très rapidement, que ce soit au niveau des enseignants ou au niveau des élèves.
Il est évident, et ce dès à présent, que les outils pédagogiques mobiles sont indispensables pour tout ce qui touche à l’enseignement à distance ou à la maison (équipement des élèves). Mais les professeurs pourront aussi utiliser ces outils pour évaluer les élèves, construire leurs cours de façon personnalisée ; et les écoles auront l’occasion de partager les investissements entre plusieurs professeurs, salles et élèves.
La mobilité est un facteur clé de propagation du savoir. C’est une loi générale : “Plus le support de l’information est léger, petit, lisible, transportable, copiable, partageable … Autrement dit, plus le support est nomade, plus l’information et le savoir se répandent“.
La crise accélère le mouvement vers le nomadisme car le nomadisme permet de réduire doublement l’investissement de l’état. D’abord parce que 90% des élèves sont ou seront équipés d’outils mobiles à coût nul pour l’état ; et ensuite parce que les équipements fixes non partageables sont aussi remplacés par des équipements mobiles partagés, seule solution qui permette de rendre crédible toute politique d’équipement des écoles en temps de crise (1).
(1) A titre d’exemple, Le récent rapport Fourgous (avril 2012) identifie assez bien, quoique de façon empirique, incomplète et sans réflexion critique, les cinq premiers domaines cités ci-dessus. Mais il oublie l’importance de la mobilité. En conséquence, le chiffrage fourni par Jean-Michel Fourgous oscille entre 5 et 25 milliards d’euros, ce qui rend évidemment toutes les politiques impossibles car l’Etat n’est plus à même d’assurer de telles dépenses. Un bon usage des moyens mobiles permet de diminuer ces budgets d’un facteur au moins égal à 10.
parSPEECHImercredi 18 avril 2012
1/ La personnalisation : L’école de Jules Ferry apportait à l’ensemble des citoyens un savoir quasi indifférencié, délivré par des professeurs sortant de la bien nommée école normale et sanctionné par le baccalauréat. Elle a créé des corps d’ingénieurs et d’ouvriers qualifiés pour le secteur de l’industrie - des ressources nécessaires pour faire de la France une grande nation industrielle. Et elle est elle-même organisée – taylorisée – comme une gigantesque usine.
Avec Internet, la production indifférenciée de masse, caractéristique de la révolution industrielle, est remplacée par la consommation de masse de produits virtuels. Le marketing et la communication prennent le pas sur l’ingénierie. Le monde devient connecté, outillé, créatif. Les besoins de formation et les formes d’éducation qui en résultent doivent être radicalement transformés.
L’éducation doit être plus personnalisée. Il s’agit autant « d’apprendre à apprendre », « d’apprendre à chercher », que « d’emmagasiner des connaissances académiques communes ».
Les nouvelles technologies apportent des outils qui permettent de personnaliser les apprentissages et les parcours ; la forme et la structure de l’école doivent être modifiées pour en tirer parti.
2/ L’interaction et la collaboration. L’enseignement né de la révolution industrielle privilégie la transmission didactique du savoir, du professeur vers l’élève. L’interaction avec l’ordinateur permet aujourd’hui de donner à un élève un retour immédiat sur la tâche qu’il est en train d’accomplir, sa performance, etc…
La collaboration permet à des groupes d’élèves d’améliorer leurs performances dans un grand nombre de domaines où les capacités à travailler en commun sont absolument nécessaires (négociation, recherche de solutions, sessions créatives de travail, etc…).
La documentation. Aristote est selon moi le premier à avoir compris le rôle crucial de la bibliothèque dans l’enseignement. Tout élève a accès aujourd’hui à plus de documentations que ce qu’Aristote n’aurait jamais pu imaginer.
Internet permet d’accéder de manière instantanée à une grande variété d’informations. Mais y trouver un savoir pertinent est devenu plus complexe. Professeurs et parents ont désormais un rôle d’orientation en plus de la transmission du savoir. Les machines qui améliorent la recherche restent encore perfectibles. Et l’école doit apprendre aussi à évaluer les élèves « à ordinateur ouvert » et non plus simplement sur des savoirs mémorisés.
L’évaluation. Le numérique rend l’évaluation des élèves et des professeurs beaucoup plus rapide et facile, à tel point qu’il devient possible de diriger toute la politique scolaire grâce aux nouvelles technologies.
A partir du moment où des batteries de tests comme des questionnaires à choix multiples sont donnés à quelques milliers d’élèves, de façon à obtenir des résultats significatifs, il est possible de déterminer de façon comparative :
- Le niveau des élèves à l’instant T – et donc l’enseignement qui leur est le mieux adapté ;
- La performance des professeurs (par analyse statistique des progressions des élèves qui leur sont confiés). Ceci permet de récompenser les meilleurs professeurs, de s’inspirer de leurs méthodes, de leur confier des élèves qui ont le plus besoin d’eux, etc… ;
- La performance des méthodes scolaires et les résultats des expérimentations pédagogiques.
Méthode globale ou syllabique ? Tableau interactif ou non ? Enseignement frontal ou collaboratif ? Toutes ces questions, qui mènent aujourd’hui à des débats sans fin et sans intérêt, pourraient être tranchées en quelques semaines avec des méthodes dites d’évaluation aléatoire).
L’évaluation est probablement le facteur le plus important et le plus méconnu de la révolution éducative à venir. A partir du moment où on rassemble suffisamment de données, la statistique permet de dégager des lois générales, profondes.
Aujourd’hui, ces données peuvent être fournies par les élèves à partir d’un ordinateur, d’une tablette, d’un téléphone, de façon presque continue. Certaines entreprises (Google, Facebook) utilisent avec succès ces données dans le but de vendre des bandeaux publicitaires. Il est temps de s’en servir dans un objectif d’intérêt général.
On peut, par exemple, arriver à préciser la notion de « bon professeur » en obtenant, après une analyse des données, la probabilité que tel professeur fasse progresser tel type d’élève – ce qui conduirait à confier l’élève au professeur le plus adapté à son profil.
Avec les outils d’évaluation adéquats, l’école peut devenir un processus dit « d’optimisation sous contrainte ». Comme le processus d’évolution améliore en permanence la performance des êtres vivants, toutes les initiatives peuvent être évaluées, et les meilleures sélectionnées puis généralisées.
Le pays qui tirera le plus avantage de la révolution numérique sera celui qui saura le mieux utiliser ces nouveaux outils d’évaluation.
La mobilité. Personnalisation, interaction, documentation, collaboration, évaluation. La réflexion sur la mobilité transcende les différents “piliers” énumérés ci-dessus et peut être considérée comme un axe bien à part nécessitant une réflexion et des solutions spécifiques.
Les moyens d’enseignement mobiles, observés de nos jours avec méfiance, voire bannis de l’école, vont s’imposer très rapidement, que ce soit au niveau des enseignants ou au niveau des élèves.
Il est évident, et ce dès à présent, que les outils pédagogiques mobiles sont indispensables pour tout ce qui touche à l’enseignement à distance ou à la maison (équipement des élèves). Mais les professeurs pourront aussi utiliser ces outils pour évaluer les élèves, construire leurs cours de façon personnalisée ; et les écoles auront l’occasion de partager les investissements entre plusieurs professeurs, salles et élèves.
La mobilité est un facteur clé de propagation du savoir. C’est une loi générale : “Plus le support de l’information est léger, petit, lisible, transportable, copiable, partageable … Autrement dit, plus le support est nomade, plus l’information et le savoir se répandent“.
La crise accélère le mouvement vers le nomadisme car le nomadisme permet de réduire doublement l’investissement de l’état. D’abord parce que 90% des élèves sont ou seront équipés d’outils mobiles à coût nul pour l’état ; et ensuite parce que les équipements fixes non partageables sont aussi remplacés par des équipements mobiles partagés, seule solution qui permette de rendre crédible toute politique d’équipement des écoles en temps de crise (1).
(1) A titre d’exemple, Le récent rapport Fourgous (avril 2012) identifie assez bien, quoique de façon empirique, incomplète et sans réflexion critique, les cinq premiers domaines cités ci-dessus. Mais il oublie l’importance de la mobilité. En conséquence, le chiffrage fourni par Jean-Michel Fourgous oscille entre 5 et 25 milliards d’euros, ce qui rend évidemment toutes les politiques impossibles car l’Etat n’est plus à même d’assurer de telles dépenses. Un bon usage des moyens mobiles permet de diminuer ces budgets d’un facteur au moins égal à 10.
parSPEECHImercredi 18 avril 2012
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