samedi 1 octobre 2011

"L’effet enseignant"

Selon une étude du CAS (Centre d’Analyse Stratégique), l’efficacité pédagogique des enseignants aurait plus d’impact que le fait de diminuer la taille des classes ou de renforcer leur formation initiale.


« L’effet enseignant », ce petit « plus » qui influence les résultats de l’élève, est plus important que le niveau de formation de l’enseignant ou la réputation de l’établissement. C’est ce que veut démontrer une récente étude signée Pierre-Yves Cusset du Centre d’analyse stratégique (CAS), think tank officiel du gouvernement. Enjeu de l’étude : poser la question de la pertinence du recrutement de ceux qui enseignent aux futurs forces vives de la nation.

On a tous en tête un prof qui vous a dégoûté d’une matière ou, au contraire, un super pédagogue qui vous a rendu accro aux équations du troisième degré. Intuitivement, on sait bien que la pédagogie de l’enseignant a plus d’impact sur l’envie d’apprendre que le nombre de connaissances qu’il a emmagasinées, et qu’une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine, surtout quand il s’agit de transmission.

Cet « effet enseignant » se mesure, et il pèse lourd, si l’on en croit la dernière note du Centre d’analyse stratégique. Le CAS, qui s’appuie sur un ensemble de données et de recherches internationales menées dans le domaine de l’éducation depuis quatre décennies, estime que, « toutes choses égales par ailleurs », entre 10 % et 15 % des écarts de résultats constatés en fin d’année entre élèves s’expliquent par l’enseignant auquel l’enfant a été confié. « Certains doivent se dire : finalement, ce n’est pas énorme, analyse Vincent Chriqui, directeur général du CAS. En fait, c’est assez considérable. Tout simplement parce qu’environ la moitié des écarts d’acquisitions entre élèves en fin d’année s’explique par des écarts d’acquisition qui existaient déjà en début d’année. »*

Autre enseignement de ces études : l’effet « enseignant » est plus fort que l’effet « établissement », qui n’explique qu’entre 0 % et 5 % des différences de résultats. Pour Vincent Chriqui, cela est dû au fait qu’« ’il y a sans doute plus d’hétérogénéité entre enseignants qu’entre établissements. Certaines études ont montré de fait que les pratiques pédagogiques variaient fortement d’une classe à l’autre au sein d’un même établissement ».

Le niveau de formation et même son expérience seraient marginales dans l’efficacité pédagogique d’un enseignant


L’efficacité pédagogique des enseignants aurait également plus d’impact que le fait de diminuer la taille des classes. Les Etats-Unis ont étudié de très près cette approche et ont prouvé scientifiquement que le fait d’avoir un enseignant très efficace se traduit par une progression pour l’élève de 13 places sur 100 en lecture et de 18 places sur 100 en mathématiques. Alors que le fait pour un élève moyen de passer d’une classe de taille normale (22 à 26 élèves) à une classe de taille réduite (13 à 17 élèves) se traduirait par une progression de ses résultats de 5 places sur 100. Dernier enseignement majeur : l’efficacité pédagogique d’un enseignant ne dépend que marginalement de son niveau de formation initiale et de son expérience. Où se niche alors la capacité des enseignants à faire progresser leurs élèves ? C’est dans l’interaction avec les élèves que se jouerait l’essentiel des différences. Une interaction qui se joue à plusieurs niveaux, dont le temps de travail, mais aussi les exigences de l’enseignant, sa façon de réagir aux réponses des élèves et de les aider à comprendre les causes de leurs erreurs, et la structuration des activités pédagogiques.

Le recrutement des enseignants en ligne de mire
 
L’importance de « l’effet enseignant » pose la question du recrutement et de la formation des professeurs. Une première piste de réflexion, qui émane de la Brookings Institution, se base sur le constat suivant : puisque l’efficacité de l’enseignant dépend peu de son niveau de formation initiale ou de son excellence dans sa discipline de prédilection, pourquoi ne pas abaisser les barrières à l’entrée (c’est-à-dire le niveau des exigences académiques), quitte à se montrer plus sélectif par la suite, en ne retenant que les enseignants qui se sont montrés les plus aptes à faire progresser leurs élèves ? Concrètement, cela signifie qu’on laisse les enseignants débutants enseigner pendant un ou deux ans, et que l’on ne titularise que les trois-quarts des enseignants ayant la plus forte « valeur ajoutée », c’est-à-dire ceux qui ont fait le plus progresser leurs élèves (en fonction de leur niveau initial, leur milieu d’origine, etc.). Si le CAS évoque la question du profil des futurs enseignants, il est dommage que la question du contenu et de la pertinence de la formation ne soient pas évoqués dans ce document. D’autant que la suppression de la dernière année de stage dans la formation des enseignants à partir de 2010 a créé une très forte polémique.
 
Le CAS évoque une deuxième piste de réflexion, à savoir le mode de rémunération les enseignants. Mais un salaire « au mérite » suppose de pouvoir mesurer de manière fiable la performance d’un enseignant.
 
Troisième possibilité : mettre en place des outils d’évaluation permettant au corps enseignant de faire la part entre les bonnes et les mauvaises pratiques. Les enseignants ont besoin de « feed-back » pour progresser, or aujourd’hui, le seul regard porté sur leurs pratiques est celui de l’inspection, qui a un impact en termes de notation et de rémunération, mais ne constitue sans doute pas la meilleure opportunité de développement professionnel. Indicateur de valeur ajoutée, questionnaires remplis par les élèves, coaching reposant sur des enregistrements vidéos de l’enseignant en situation, sans conséquence en termes de notation et de rémunération, tels sont les différentes pistes qui ont été avancées. « Parce que les enseignants peuvent faire la différence, il faut explorer toutes les voies permettant de favoriser leur capacité à faire progresser leurs élèves », conclut Vincent Chriqui.
 
Repères :
 
Méthodologie
Pour évaluer l’impact de l’enseignant, on fait passer aux élèves des tests en début d’année et en fin d’année. Puis on crée un petit modèle économétrique, dans lequel la variable à expliquer est le résultat de l’élève à la fin de l’année, et dans lequel, parmi les variables explicatives, on trouve nécessairement :
  • les résultats de l’élève en début d’année (ou en fin d’année précédente).
  • des variables décrivant le milieu social de l’élève.
  • des variables décrivant la classe : taille, niveau initial moyen des élèves, milieu social des autres élèves.
  • une variable dite « muette » représentant l’enseignant de l’élève ou la classe à laquelle il était affecté.
La variable qui a le plus de poids, puisqu’elle explique environ la moitié des différences de résultats entre élèves en fin d’année, est celle qui représente le niveau initial de l’élève.
 
Le document du CAS :    www.strategie.gouv.fr/conten...
 
mercredi 28 septembre 2011, par Pascale Colisson
 

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