Carte blanche de Paul Bienbon, enseignant à Anderlecht.
Tout enseignant a fait cette expérience, de rencontrer un ancien élève 10 ans après que celui-ci eut terminé ses études et d’entendre des compliments qu’il n’aurait jamais imaginés. C’est ainsi que récemment un ancien élève m’aborde et me dit tout fier : « Je ne joue plus jamais aux paris sportifs, Monsieur. Et plus à l’Euromillions non plus, ou alors maximum 2 euros par semaine, pour le rêve. Et c’est vous qui m’avez ouvert les yeux ! J’ai tout compris quand vous m’avez dit que pour m’imaginer ce qu’était une chance sur 76 millions, je devais imaginer tous les stades de football de tous les clubs de Division 1 de tous les pays du monde remplis à craquer au même moment, et que parmi tous ces gens un seul seulement serait le gagnant. »
Sa voisine continue : « Moi j’ai mieux réalisé quand vous nous avez dit que l’on avait plus de chance de mourir sur le chemin qui mène chez le libraire pour valider son billet que de gagner le rang 1 de l’Euromillions ! »
Tout cours doit partir d’une question de l’élève
C’est vrai que ce genre de cours n’est pas prévu dans les programmes. Mais pour être franc, la lecture des programmes me donne mal à la tête. Une seule phrase dans ceux-ci a retenu mon attention : « Tout cours doit partir d’une question de l’élève. » Alors quand je vois des grands gaillards de 5e Technique de qualification ne s’intéresser qu’à leurs paris de foot les lendemains de « Champions League », je ne peux pas m’empêcher de réagir. Idem quand le Lotto nous inonde de faux rêves en doublant ses tarifs et en promettant 1 million d’euros deux fois par semaine ou des cagnottes de 5 millions moyennant la modique chance de 1 sur 8 millions. Ou quand l’Euromillions à force d’organiser des loteries sans gros gagnant pendant des semaines promet comme ce 4 octobre 2011 un jackpot de 100 millions, jackpot qui peut monter jusqu’à 180 millions. Ici la chance est passée à 1 sur 116 millions ! Déjà le statisticien M. Boll en 1936 écrivait : « Le commun des mortels est incapable de se représenter à quel point une chance sur 1 million est peu de chose. » Cette phrase devrait figurer sur les billets de loterie ! Le grand peuple est aussi incapable de se représenter combien 180 millions d’euros sont scandaleusement énormes.
Former des citoyens qui réfléchissent
Mes élèves n’ont comme rêve de fortune que de pouvoir s’acheter (ou offrir à leurs proches) deux ou trois grosses villas et deux ou trois belles voitures comme leur joueur de foot favori, et, pour les filles, s’offrir des croisières et un beau mariage de princesse. Choses qui, tous comptes faits, peuvent s’acheter avec 1 voire 2 millions d’euros. Très vite mes élèves comprennent que l’« Euromillions » serait beaucoup plus éthique en proposant cent gagnants de 1 ou 2 millions qui en font profiter indirectement tout leur entourage plutôt qu’un seul gagnant qui rafle tout et laisse l’argent dormir en banque. Nos gouvernants disent vouloir enrayer l’émergence d’une société duale, mais ici ils laissent faire. Je fais réfléchir mes élèves au caractère indispensable d’un organisme public qui canalise les passions du jeu et qui s’assure qu’il n’y a pas de tricherie. Je les mets en garde contre les projets de libéralisation du Parlement européen en la matière et des risques que les loteries tombent aux mains de gens malhonnêtes. Je les fais réfléchir si un organisme comme la Loterie nationale doit chercher à ce que son chiffre d’affaires augmente. Bien sûr que non, et pourtant Enfin je leur explique qu’une partie des gains est redistribuée à des œuvres de bienfaisance, et je leur demande s’ils choisiraient les mêmes œuvres bénéficiaires que la Loterie. Et quand j’ai fait tout cela, je me dis qu’au fond je ne suis pas si loin des programmes, qui, si j’ai bien compris, demandent que l’on forme les jeunes à être des citoyens qui réfléchissent.1
- La Libre – 3.10.11 [↩]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire