lundi 23 avril 2012

Repenser et réformer l’enseignement

Luxembourg | Par: Raymond Schadeck | Publié aujourd'hui

Malgré des réformes successives, le système ne présente aucune amélioration.

Raymond Schadeck est administrateur indépendant et président de Focal, fondation qui soutient financièrement les projets de recherche.

L’objectif premier de notre mouvement est de changer les mentalités afin de mieux préparer l’avenir au profit de nos générations futures. Pour ce faire, nous devons aller à la rencontre des jeunes et adresser les sujets qui les concernent. Nous sommes particulièrement inquiets de l’état dans lequel se trouve l’institution qui a pour charge de les préparer pour le futur, à savoir l’enseignement.

Le constat que nous faisons est celui d’un système qui, malgré des réformes successives, ne présente aucune amélioration. Au contraire, les statistiques montrent une régression des performances que nous voulons mettre en évidence. Même si le taux d’échec scolaire a continuellement baissé pour atteindre un taux de 12% en 2010, force est de constater que le taux de réussite au bac ( élèves passant leur bac après un parcours sans redoublement ) reste largement inférieur à la moyenne de l’OCDE . Plus inquiétant encore, le taux d’échec des élèves qui choisissent de poursuivre leurs études à l’étranger après l’obtention du bac. Deux tiers de ces élèves sortant du classique ( secondaire général ) n’atteignent pas la deuxième année dans l’orientation suivie, parmi lesquels une partie ne réussit pas et une autre décide de se réorienter au courant de l’année.

Niveaux d'échec inquiétants

Ces niveaux d’échec inquiétants sont-ils dus à un niveau trop peu élevé, à une orientation inadéquate ou un problème d’attitude vis-à-vis de l’effort requis ? Il y a du vrai dans ces trois réponses et il s’agira d’analyser les problèmes qu’ils soulèvent afin de les contrecarrer.

Le système d’éducation présente un nombre trop important de pathologies. Il existe un décalage entre l’approche multilingue de l’enseignement et la situation démographique du pays. Il est très frappant que si deux tiers des adolescents de 15 ans parlent le luxembourgeois, ce taux n’est que d’un tiers pour les enfants du précoce. Plus inquiétant encore, un tiers des enfants du précoce ne parlent aucune des trois langues officielles. Ces réalités doivent être prises en compte si nous voulons remédier à l’échec scolaire et favoriser l’intégration.

Le rôle de la langue française semble lui-aussi poser problème. Force est de constater que l’apprentissage du français sert bien au-delà de l’objectif de l’apprentissage de la langue même, mais aussi à la découverte le la culture, de l’histoire, de la philosophie …. . La formation d’esprits éclairés est certes une bonne chose, mais cet exercice devient contreproductif si les bases de la langue ne sont pas correctement transmises et enseignées. Les statistiques le démontrent : au cours de l’année 2009/2010, dans le secondaire général l’échec scolaire en français pour les classes de 7e à 5e était plus élevé que celui dans toutes les autres langues et sciences réunies. Cette évolution négative se traduit aussi dans l’augmentation du taux d’échec dans les sciences à partir de la 4e, année qui prévoit l’introduction du français comme langue véhiculaire dans toutes les sciences. Il y a donc un besoin urgent de recadrer l’apprentissage du français dans notre système. Mieux vaut avoir des têtes bien faites que bien remplies.

Un autre problème résultant des réformes successives est la diminution du niveau d’efforts que les jeunes doivent fournir afin de réussir, ce qui a tendance à les rendre partisans à la loi du moindre effort. Le système d’éducation se détache de plus en plus du monde économique, une tendance qui inquiète même des directeurs de lycées. A l’inverse de ses élèves, le système n’arrive pas à suivre les nouvelles tendances. Les cours informatiques font souvent défaut ou sont réalisés sur un support vétuste. Cela n’impressionnera guère les jeunes.

Comparaisons internationales

Les manquements du système sont exposés dans les comparaisons internationales. Les performances du Luxembourg dans les tests PISA sont certes stables, mais très décevants. Nos élèves se retrouvent en-dessous de la moyenne OCDE dans les trois domaines que sont la lecture, la culture mathématique et la culture scientifique. Le pourcentage des élèves peu performants, ceux qui sont considérés comme manquer des compétences élémentaires jugées nécessaires pour la poursuite des apprentissages ou la maîtrise de situations dans la vie active, est au-dessus de la moyenne OCDE dans les trois catégories. Ces résultats sont d’autant plus décevants au vu des moyens dépensés par le pays dans l’enseignement, qui sont largement au-dessus de la moyenne et les plus élevés par étudiant. Il est juste et bon d’investir dans l’éducation, mes encore faut-il se doter d’un système qui produise des résultats qui sont à la hauteur des moyens employés.

Les résultats montrent aussi du doigt les différences de niveau au sein du système. Ces derniers reflètent les inégalités sociales dans notre pays. Ainsi, les élèves provenant de milieux favorisés ont environ deux années scolaires d’avance dans leur niveau, ce qui démontre l’existence d’un gouffre social inquiétant. L’écart entre les performances des luxembourgeois et celui des immigrés, qui est d’environ une demie année scolaire, montre que l’intégration est loin d’être parfaite.

L’éducation a un rôle fédérateur d’inclusion sociale et d’intégration. En ce moment, le système est en échec et cela doit changer.

Afin d’amener un changement, des ajustements sommaires et des réformes cosmétiques ne suffisent pas. Un réel changement des mentalités est nécessaire. Ce changement de mentalités passe par un changement au niveau des valeurs qui sont transmises par le système scolaire. Il faut transmettre aux jeunes un certain goût du risque et un appétit au défi. Il faut former des êtres indépendants, qui affrontent leurs problèmes et n’attendent pas que quelqu’un d’autre les résolve à leur place. Cet « autre »ubiquiste est souvent l’Etat. La culture du débat doit impérativement faire son retour dans les écoles, afin de former des jeunes qui sont capables de défendre leurs idées, être à l’écoute des autres et se laisser convaincre. Bref, nous devons former des êtres francs, dynamiques et engagés. Dans nos sociétés modernes, dans lesquelles ces valeurs sont de moins en moins transmises par les parents, le système éducatif doit combler la brèche et prendre ses responsabilités.

Hormis la transmission de valeurs, notre système d’enseignement doit aussi recadrer ses objectifs et les moyens pour les réaliser. Ainsi, l’enseignement se doit de développer les talents et les compétences des élèves pour permettre à chacun de s’épanouir dans le domaine dans lequel il peut le mieux utiliser ses capacités. L’adaptation continuelle du système aux mutations de l’environnement économique, social et stratégique du pays est essentielle. Les élèves doivent aussi retrouver de la satisfaction éprouvée grâce à un travail bien fait précédé d’un effort fourni. Il faut redonner aux élèves la confiance afin de leur montrer que seule une attitude active et participative leur permette de réussir et d’avancer dans la vie. Le système doit aussi s’occuper des faiblesses et des difficultés des uns et des autres, afin de mieux les contrecarrer d’une manière inclusive. Le système doit aussi se donner l’objectif de responsabiliser les jeunes, de leur apprendre qu’ils ont des droits, mais aussi des obligations. A la question « Consommateur ou citoyen ? « posée par Moncef Guitouni en 2001 notre réponse est clairement « citoyen » !

Décalage

Afin de contrecarrer le décalage entre le système scolaire et l’économie, il faut rapprocher les deux. Ainsi, il faut ouvrir les portes et les fenêtres des écoles et y laisser entrer les représentants, les valeurs et les idées de l’entreprenariat. Un contact plus étroit et permanent avec les représentants de l’économie permettra aux jeunes de mieux les comprendre et d’au moins les confronter avec l’idée éventuelle de se lancer eux-mêmes dans l’entreprenariat. Les entreprises sont le moteur de notre économie, et les élèves doivent en être conscients le plus tôt possible dans leur développement scolaire. Ils doivent réaliser qu’il est de leur droit évidemment de revendiquer un emploi , mais que chaque société doit aussi avoir des personnes qui en créent.

Sur base de ces constats et objectifs, il est évident que l’adaptation de notre système scolaire aux défis actuels et futurs passe par une remise en question fondamentale et un changement de mentalités. Si notre succès dépendra de notre capacité à créer des niches de compétence et des centres d’excellence, notre ambition pour l’éducation doit aussi être la recherche de l’excellence. Ne nous contentons pas de faire partie de la moyenne OCDE, visons les premières places. Inspirons nous des pays qui reçoivent les meilleurs résultats. Il existe un lien entre les performances des systèmes d’éducation de la Finlande, de la Suisse, de la Chine, de l’Allemagne et leur performance économique. Leur réputation fondée sur la qualité et l’innovation trouve sa source dans le système scolaire.

Il ne suffit pas de devenir une terre d’accueil pour les innovateurs, nous devons avoir l’ambition d’en créer. Pour ce faire, une réflexion sur le contenu de nos programmes scolaires est indispensable. Nous devons nous pencher pourtant aussi sur le style de l’enseignement. Si nous voulons favoriser le développement de la curiosité, de la créativité et de l’esprit d’initiative chez les enfants, nous devons les faire participer. Un style plus collégial à tous les niveaux et dans toutes les matières permettra aux élèves de s’approprier des matières. Nous devons abandonner les cours magistraux et les monologues incessants qui mènent à récompenser celui qui régurgite le mieux un contenu prémâché.

Afin d’aborder le problème linguistique, nous pourrions , bien que du point de vue linquistique il y a une grande différence entre les deux pays , nous inspirer de l’exemple israélien, qui prévoit que tout étranger doit d’abord apprendre les bases de la langue de l’enseignement pendant un cours intensif de quelques mois avant d’intégrer le système scolaire. Les bénéfices d’un tel système sont mutuels. En effet, les élèves concernés auront moins de difficultés à suivre les cours et à s’intégrer dans un milieu nouveau. Les enseignants auront une tâche plus facile et pourront consacrer davantage de temps aux autres élèves. La société en profitera aussi étant donné que la langue est le moteur de l’intégration.

Le multilinguisme sur lequel notre système est basé manque d’efficacité et de rendement. Un retour aux bases de l’apprentissage des langues est ce qu’il faut. D’abord, les élèves doivent apprendre à lire, écrire et parler correctement une langue. Afin d’intéresser les jeunes à l’apprentissage de celle-ci, il faut leur proposer un programme qui relève davantage de l’actualité. Les nouvelles technologies ont donné aux jeunes la volonté et les moyens de s’exprimer. L’enseignement doit se nourrir de cette motivation et la transformer en résultats. Il ne s’agit pas de diaboliser la littérature et de la chasser des programmes, plutôt de donner le choix aux élèves d’opter pour des filières littéraires. Au vu des résultats et des appréhensions des élèves vis-à-vis de la langue française, un réexamen de la langue véhiculaire pour les sciences est de mise. Notre système de notation négatif mérite d’être remis en question après une analyse détaillée des mérites des systèmes en place dans les pays les plus performants.

Une réforme profonde de l’enseignement ne se fera pas sans l’appropriation du projet par les enseignants et leur implication. La réussite dépendra du degré d’identification des enseignants avec le projet et leur motivation à faire réussir la réforme ainsi que la préparation aux défis actuels et futurs de tous leurs élèves.

http://www.paperjam.lu/article/fr/repenser-et-reformer-l-enseignement

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire