vendredi 1 juillet 2011

Bac : rite et vestige

...  Alors, à quand le baccalauréat virtuel ? Avec lui, on eût renoncé à convoquer à grands frais, cette année, 654 548 postulants et 166 966 correcteurs, dont certains recrutés in extremis chez stagiaires et retraités. On eût, à tous, épargné le stress et la triche. Moralisant l'épreuve, le principe de Castillon - dont la bataille mit fin à la guerre de Cent Ans - achèverait après deux cents ans un vestige en péril...

Je badine et j'ai tort ! Le bac est malade, mais il reste le grand rite de passage de la jeunesse française. Il sanctionne encore l'acquis d'une culture minimale et théoriquement commune. Un héritage de l'égalitarisme républicain. Rater le bac (30 % des inscrits) reste un sévère handicap. On ne peut l'obtenir si l'on n'a "rien fait". C'est le jugement de la grande majorité des Français. Imaginer la fin du bac, voire une sérieuse refonte, c'est faire lever une tempête d'hystéries et une canonnade politique. Allègre, Fillon en ont senti les boulets.

Monument délabré, le bac modélise les misères d'un enseignement décati. Sa pérennité irréformable, sa monstruosité de mammouth et sa complaisance démagogue qui déblatèrent la sélection. Le monument est si branlant que sa réforme s'imposera. Quand ? Après quelques scandales. Alors, au pied du mur, un réformateur affrontera le monstre, convoquera peut-être un "Grenelle du bac" et retapera la galère avant qu'elle ne tourne au "Titanic".

Le bac hérite d'une cascade d'effondrements. Celui, capital, d'un enseignement primaire défoncé par une idéologie rampante et un pédagogisme délirant où l'on prétend enseigner les maths sans apprendre à compter, et le reste sans apprendre à lire. Il gère un formidable déferlement d'effectifs et leur infinie diversité sociale. Il y a répondu tant bien que mal en se diversifiant lui-même. Outre le bac général avec ses trois filières (économique, littéraire et scientifique), on compte aujourd'hui un bac technologique avec 7 séries et, pour un quart des candidats, un bac professionnel avec... 74 spécialités. ...


Le bac conserve deux fonctions théoriques : sanctionner un cycle d'études secondaires et donner accès à l'enseignement supérieur. A ce dernier objectif, il échoue spectaculairement : 50 % des bacheliers ne franchiront pas la première année universitaire. De même que l'échec retentissant du primaire déverse sur le secondaire 30 % d'élèves incapables de comprendre ce qu'ils ânonnent, de même le bac déverse sur le supérieur un flux de semi-analphabètes diplômés. Sans entrer dans le débat sur la sincérité du niveau (il baisse dramatiquement pour le français, mais stagne ou augmente ailleurs), on constate que la volonté d'accroître le nombre des bacheliers y multiplie l'indulgence et dévalue la qualité. Seul le bac général, lui-même exténué, ressemble encore vaguement au bac d'il y a vingt ans. Mais il ne rassemble plus que 53 % des candidats.

Hélas, les évaluations internationales tombent cruellement chaque année pour remettre les pendules à l'heure. Et constater que les nôtres retardent.

En réalité, le refus en cascade de sélections sincères bute contre la sélection terminale, celle de l'enseignement supérieur. Et celle de la vie, où l'inégalité sociale sélectionne sans le dire. Les préparations élitaires aux grandes écoles sont d'ailleurs si peu convaincues de la valeur du bac qu'elles recrutent leurs futurs champions avant même l'examen et sur simple dossier scolaire. A leur exemple, le contrôle continu, par la force des choses, nourrira la réforme du bac soit pour toutes les matières, soit, plus vraisemblablement, pour certaines d'entre elles. Il s'imposera chez nous, comme il s'est imposé partout dans le monde. Au grand dam de l'exception française.

Les commentaires polémiques ou désabusés sur le bac 2011 auront du moins cette vertu de rappeler sa décrépitude."Avec le bac, on ne sait pas très bien ni ce qu'on évalue ni la valeur de son résultat final, et l'on doute maintenant de sa moralité." Ainsi juge Philippe Tournier (1), qui aussitôt soupire sur les murailles dressées contre la réforme : elles sont, dit-il,"historiques et idéologiques". Les bastilles, en effet, du mal français !.


Claude Imbert
 
1. Secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'Education nationale.


Le Point- Publié le 30/06/2011 à 14:46 

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