samedi 7 avril 2012

Constitution. Pourquoi le parti Ennahdha renonce à la charia

- le 5 Avril 2012

Les islamistes tunisiens ne sont pas parvenus à imposer la loi religieuse comme source principale de la législation tunisienne. Le raz de marée électoral de l’Union générale des étudiants de Tunisie (Uget) aux élections universitaires, la réaction de la société civile et des forces progressistes n’y sont pas étrangers.

Envoyé spécial. Sans les manifestations des salafistes qui jettent un certain froid sur la ville, Tunis offrirait l’image d’une cité où il fait bon flâner sur l’avenue Bourguiba. En cette dernière semaine de mars, période de soldes à Tunis, la principale artère de la capitale est bondée. Par rapport à Alger ou Rabat, les femmes portant le voile islamique sont moins nombreuses. Et peu de salafistes dans le centre-ville : il faut savoir qu’ils ne s’attablent jamais dans un café. Et quand ils rentrent dans un magasin, ils prennent soin qu’il n’y ait pas de femmes en « tenue indécente » et ne s’y attardent pas. Depuis la chute de Ben Ali, la mosquée El Feth, avenue de la Liberté, est devenue leur fief. C’est de là qu’est partie la première manifestation islamiste en février 2011.

Le quartier a dès lors changé. « Là où en 2010, il y avait dix bars et restaurants servant de l’alcool au mètre carré, il n’y en a plus un seul dans un rayon de 200 mètres autour de la mosquée », explique Mounir, militant de gauche. Ces groupes extrémistes qui défraient l’actualité, plutôt discrets, voire spectateurs durant les manifestations ayant mis fin à la dictature de Ben Ali, sont de plus en plus visibles. Yeux maquillés au khôl, barbes teintes au henné pour certains d’entre eux, ils font peur aux Tunisiens. « Quand j’en croise, ils psalmodient des versets coraniques. Je fais semblant de ne rien entendre », dit Amal, étudiante. « Je suis pessimiste. Non parce que je les crains, mais par le laxisme du gouvernement d’Ennahdha qui laisse faire les barbus. » Et de citer les incidents de l’université de la Manouba (8 000 étudiants), théâtre de heurts quasi quotidiens avec les salafistes, peu nombreux mais très violents, qui réclamaient, au nom de la liberté, le droit pour les étudiantes de porter le voile intégral (le niqab).

Loin de se laisser faire, étudiant(e)s et enseignants les ont contraints à faire marche arrière. Le 8 mars dernier, la remise en place par l’étudiante Khaoula Rachdi, du drapeau tunisien arraché par un islamiste du toit de la faculté pour lui substituer l’emblème salafiste de couleur noire, geste qui a fait d’elle une héroïne nationale, a sonné comme un appel à la riposte citoyenne et républicaine. Et c’est l’université tunisienne qui va donner l’exemple. Le 15 mars, sur les 284 sièges en jeu pour les élections des conseils scientifiques des universités, le syndicat de gauche, l’Uget (Union générale des étudiants de Tunisie), en remporte 280 alors que son rival d’obédience islamiste, l’UGTE (Union générale tunisienne des étudiants), proche d’Ennahdha, n’en gagne que quatre. À l’université de la Manouba, les quatre sièges en jeu sont raflés par l’Uget. Ce raz de marée, inattendu, est un revers, le premier, et sonne comme un coup de tonnerre. Un petit rappel pour en mesurer l’importance : depuis la fin des années 1970, les universités dans les pays arabes et maghrébins ont constitué les lieux à partir desquels les mouvements islamistes entreprenaient la conquête de la société. En Égypte, par exemple, l’université est pratiquement entre leurs mains ; il en va de même en Jordanie, au Yémen, en Syrie, au Soudan, dans les pays du Golfe, à un degré moindre au Maroc et même en Algérie. Les 400 000 étudiants tunisiens (pour une population de 9 millions d’habitants) venaient ainsi d’administrer la preuve que rien n’était encore joué (1). Ce revers va revigorer les progressistes et démocrates tunisiens.

Après la manifestation islamiste du 16 mars, devant le Parlement, à l’appel d’un Front d’associations religieuses réclamant « l’application de la charia de Dieu », scandant « Notre constitution c’est le Coran », le 20 mars, fête de l’indépendance, plusieurs dizaines de milliers de manifestants démocrates – rassemblement le plus important depuis janvier 2011 – investissaient à leur tour l’avenue Bourguiba aux cris de « le peuple veut un État civil », « nous ne laisserons pas voler notre révolution par les esprits obscurantistes ». Enfin, « l’appel à la nation » aux forces progressistes et modernistes à se rassembler autour d’une « alternative » pour parer à la « régression » menaçant la Tunisie lancé par l’ex-premier ministre de la transition et compagnon de Bourguiba, Beji Caïd Essebsi, a constitué un moment fort de la mobilisation. Le 24 mars, des représentants de plus de 50 partis dont le PDP et Ettajdid, étaient présents à Monastir, ville natale du père de l’indépendance tunisienne, en présence de plusieurs milliers de personnes. Cet ensemble de faits n’est pas sans rapport avec l’annonce faite le 25 mars par Ennahdha de renoncer d’inscrire la charia comme source de la législation dans le projet de Constitution en cours de rédaction.

Question qui divisait Ennahdha, entre les faucons représentés par Habib Kheder pour qui « la majorité du peuple tunisien est favorable à l’adoption de la charia comme principale source de la législation » et l’aile où se trouve le ministre de l’Intérieur, Amer Larayedh, affirmant que « la charia n’a jamais figuré dans le programme d’Ennahdha ». Ce qui est vrai. Le camp moderniste a applaudi la décision du parti de Ghannouchi mais reste néanmoins vigilant. Qualifiant de « positives » les déclarations d’Ennahdha, Abdeljawad Jouneidi, dirigeant d’Ettajdid, a estimé qu’« il faut que les actes suivent et que soit mis fin au laxisme sur le terrain », allusion au ministère de l’Intérieur qui ferme les yeux sur l’activisme salafiste.

Mais il était dit que les salafistes n’allaient pas s’avouer vaincus. Le 25 mars, brandissant des drapeaux noirs, quelque 3 000 barbus et femmes en niqab, séparées des hommes, investissent l’avenue Bourguiba. Au même moment, un spectacle était empêché de se tenir et les comédiens devaient se replier, sous les insultes et les jets de projectiles. Baroud d’honneur salafiste ?

(1) Il existe 13 universités et 178 instituts supérieurs de formation en Tunisie.

Hassane Zerrouky

http://www.humanite.fr/monde/constitution-pourquoi-le-parti-ennahdha-renonce-la-charia-493933

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