mardi 3 avril 2012

"Prépas: le rythme infernal a du bon"

Le patron de Paris-Dauphine revient sur la polémique autour des classes préparatoires et s'explique sur la sélection dans son établissement.

Laurent Batsch, président de l'université Paris-Dauphine, assume la sélection à l'entrée pratiquée par son université. Et s'exprime sans concession sur le "modèle" - décrié ces derniers temps - des classes préparatoires aux grandes écoles.

Que pensez-vous de la controverse récente sur "l'enfer" des prépas?

Les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) impriment un rythme de travail "infernal", mais ce n'est pas l'enfer pour autant. Ce rythme a la vertu de donner des habitudes de travail exigeantes. Il a l'inconvénient de briser certains étudiants. Sans doute doit-on élargir le débat. Primo, les étudiants cherchent dans les prépas comme dans les écoles un encadrement de proximité : c'est cette qualité que Dauphine a l'avantage d'offrir. Deuzio, la voie prépa grandes écoles est fondée sur un cycle qui exige le maximum de travail à 18 ans : je lui préfère une logique de montée en charge croissante du L1 au master. Tertio, il n'est pas optimal d'orienter les meilleurs élèves vers les écoles, alors que la recherche est concentrée dans les universités : si l'on veut que les meilleurs élèves rencontrent la meilleure recherche, il faut oeuvrer au décloisonnement de la voie des écoles et de la voie des universités. Ce processus est en marche, et c'est la bonne nouvelle des cinq à dix dernières années.

Quel type de sélection pratiquez-vous à Paris-Dauphine?

A Dauphine, la sélection a suivi la réussite, elle n'en est pas la cause première. La sélection pratiquée à Dauphine est la rançon d'un succès bâti sur trois autres facteurs : un taux d'encadrement de même type que les prépas, une forte exigence de travail, et une bonne articulation avec le marché du travail. Mais il est vrai que la sélection fonde un véritable contrat de réussite : nos étudiants ont choisi Dauphine, et nos professeurs aussi : cela change la nature du rapport pédagogique.

Nous sélectionnons sur un score calculé à partir des notes de classe de première et du premier trimestre de terminale, à la manière des jurys de sélection des CPGE. Nous traitons quelque 5 500 candidatures d'entrée en licence d'économie et gestion, et 2 000 pour la licence de mathématiques et informatique, qui viennent de 900 lycées. Connaissant les pratiques de notation variables de ces établissements, nous classons les lycées en cinq catégories et ajustons les seuils de sélection en fonction de leurs pratiques. Cette méthode nous paraît plus équitable qu'un concours d'entrée, qui juge le niveau sur une seule prestation. Quant à utiliser les résultats du bac, c'est devenu impossible en raison de leur publication trop tardive.

En quoi cette sélection diffère-t-elle du système des classes préparatoires?

Notre avantage, c'est d'offrir une pédagogie moins répétitive, un univers plus ouvert au travail personnel, une vie étudiante plus intense et un programme de formation d'emblée fondé sur les disciplines académiques, en sciences économiques en particulier. On peut dire que Dauphine démontre qu'une université peut obtenir la même performance que les écoles, sous certaines conditions, bien sûr, bien que nous coûtions beaucoup moins cher que les prépas. Cela dit, je range ce déficit de financement au rang des inconvénients, car il handicape notre progression.

Cette pratique de la sélection à l'entrée fait-elle de vous un établissement atypique dans le paysage universitaire français?

Nous avons l'impression d'être parfaitement typique du modèle qui prévaut dans les très bons établissements internationaux. Et il est évident que beaucoup d'universités créent en leur sein des filières attractives et sélectives. Le paradoxe du système français, c'est qu'un lycéen sur deux emprunte une voie sélective (sections de technicien supérieur, IUT, prépas, écoles intégrées), mais que seule l'université se voit dénier le droit de sélectionner, alors qu'elle est dédiée aux études longues. Si l'on veut à la fois élargir l'accès à une formation de niveau licence et améliorer l'efficacité du système, il faudra bien changer les règles, diversifier les voies de formation, et réguler autrement l'accès.

L'enquête d'insertion professionnelle de vos diplômés de licence pro, magistères et mastères (promotion 2008), montre que 5 % recherchent encore un emploi. N'est-ce pas trop?

C'est toujours trop, mais c'est moins que la plupart de nos compétiteurs. Nous avons un taux de primo-insertion de 98,8 %, avec un délai médian d'un mois pour l'accès au premier emploi, pour une promotion de quelque 1 800 étudiants ! On peut admettre qu'au bout de deux ans d'expérience il y ait 5 % de nos diplômés qui se posent la question d'une réorientation et qui soient entre deux emplois. Surtout dans la situation économique actuelle.

"La sélection pratiquée à Dauphine a suivi la réussite. C'est la rançon de notre succès." "Nous sommes parfaitement typiques du modèle qui prévaut dans les très bons établissements internationaux."


Un modèle d'enseignement dépassé? Trois pro-prépas contre-attaquentAlice Guilhon, directrice générale de Skema

"Nous allons ouvrir une classe prépa aux Etats-Unis"


"On dit que le système des prépas est franco-français ; je crois au contraire qu'il est exportable et que la robustesse du modèle grande école est fondé sur lui. Forts de notre campus à Raleigh (Caroline du Nord), nous élaborons une classe prépa destinée aux Américains et aux expatriés français. Patrick Hetzel, directeur de l'enseignement supérieur au ministère de l'Education, soutient notre démarche. L'Association des professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales (Aphec) participe au projet pour adapter la pédagogie et les cours - en anglais - aux concours des grandes écoles et pas seulement à celui de Skema. L'ouverture aurait lieu au mieux en septembre 2013."Jaafar Lamrini, diplômé de l'Ensma-Poitiers

"J'en ai bavé, mais à la fin il y a un résultat"

"J'ai grandi dans une cité de Dreux, avec onze frères et soeurs. Mon père, immigré marocain, est décédé quand j'avais dix ans. J'ai intégré sur dossier la prépa scientifique du lycée Fénelon, à Paris. Avant-dernier sur 43 au premier trimestre, j'étais dans la première moitié de la classe à la fin de l'année et suis passé en maths spé "étoile" (la meilleure classe). J'en ai bavé, mais c'était excitant : on nous vouvoyait, on nous donnait de l'importance, on sentait qu'on avait nos chances et, à la fin, il y a un résultat. J'ai intégré l'Ensma de Poitiers et suis aujourd'hui ingénieur chez Renault, chargé du dimensionnement des caisses pour le crash et l'acoustique."Bruno Jeauffroy, président de l'Union des professeurs de spéciales (1)

"Les génies de la bricole ont désormais leurs chances"

"Les classes prépas scientifiques ont fait l'objet de réformes assez radicales en 1995 et en 2003, notamment avec le lancement du Travail d'initiative personnelle encadré (Tipe), qui permet à chaque taupin de monter un projet de recherche en lien direct avec une entreprise ou un labo. Ce genre de travail peut révéler des intelligences différentes. J'ai un élève qui est presque le dernier de sa prépa en maths, mais qui est un génie de la bricole. Il y a vingt ans, il aurait eu du mal à intégrer une belle école. Aujourd'hui, vu que le Tipe peut avoir un coefficient supérieur aux maths, ses possibilités sont beaucoup plus grandes."

(1) Qui regroupe 92 % des professeurs des prépas scientifiques.


Propos recueillis par Gilles Lockhart - publié le 02/04/2012 à 17:30

http://lexpansion.lexpress.fr/carriere/prepas-le-rythme-infernal-a-du-bon_289998.html

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