jeudi 5 avril 2012

Quelle démocratie après le printemps arabe ?

Avec la montée des courants islamistes, hostiles à la démocratie maisaccédant au pouvoir grâce à elle, se pose la question de l’avenir de ladémocratie après le printemps arabe en Tunisie et en Égypte.

Le sujet est ardu. Il faut éviter ici de tomber dans le premier piège de poser la démocratie occidentale comme modèle et vouloir un copier-coller. D’abord parce que tout « transplant institutionnel » ne peutfonctionner que si les nouvelles institutions sont un minimum complémentaires avec les institutions locales. Ensuite en raison de la qualité de la démocratie occidentale, largement « dysfonctionnelle ». Ledeuxième piège serait un relativisme consistant à soutenir une démocratie même si elle est « illibérale », pour reprendre l’expression de Fareed Zakaria. De ce point de vue, la démocratie doit être considéréecomme un moyen pour atteindre plusieurs fins, dont la protection de l’état de droit et des libertés. Il fautéviter une version « despotique » de la démocratie légitimant de manière absolue la volonté de lamajorité.

La démocratie contre l’arbitraire du pouvoir

La démocratie doit être un moyen de protéger les populations contre le pouvoir arbitraire. L’idée est qu’onne passe pas, dans les cas qui nous intéressent aujourd’hui, de la tyrannie d’une minorité à la tyranniede la majorité – sous couvert de démocratie. Pour protéger la liberté, la démocratie doit fournir un cadred’État de droit ou de « gouvernement par la loi ». Pourtant, ne dit-on pas souvent que la démocratie c’estle « gouvernement par les hommes » ? Prise dogmatiquement cette position peut ouvrir la voie audespotisme de la majorité et de la législation arbitraire.

Ceux qui prônent le « gouvernement par la loi » devraient-ils accueillir la charia comme une bonnenouvelle puisqu’elle est « un gouvernement par la Loi » ? La réponse est doublement négative.Premièrement, la Loi dont parlent les démocrates libéraux n’a pas comme caractéristique essentielled’être d’origine religieuse mais de protéger les droits individuels contre l’arbitraire du pouvoir ou desmajorités. Elle émane bien sûr de principes découverts par la raison humaine – elle est ainsi d’unecertaine manière « loi des hommes », mais de façon structurelle et principielle, et non conjoncturelle, augré des majorités. Deuxièmement, si l’on suit d’ailleurs l’analyse de Mustafa Akyol, contrairement auCoran, la charia n’est pas d’essence divine, mais humaine puisqu’elle a été le produit d’interprétations.

Cette absence de séparation entre le religieux et le politique est évidemment problématique du point devue des démocrates libéraux. Pour Bernard Lewis, la chrétienté instaure la séparation de la religion et del’État dès lors que Jésus demande de rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce quiappartient à Dieu. De ce point de vue, l’occident chrétien a pu évoluer vers la démocratie. Mahomet fondeen revanche à la fois une religion et un État islamique…

Des éléments de compatibilité ?

Pour autant, n’y a-t-il pas des éléments dans la tradition islamique qui peuvent se rapprocher de ladémocratie libérale ? Selon Lewis encore, les autoritarismes n’étaient pas des dictatures dans lessultanats ou califats. On acceptait l’autocratie et l’autoritarisme mais en suivant certaines règles et avec unprocessus de consultation (non populaire), la shura, et de formation d’un consensus, l’ijma’. On trouveainsi l’idée que le dirigeant n’était pas au dessus des lois et devait régner selon une sorte de contrat lebay’a (une forme d’état de droit ?), et qu’il y avait un processus - il est vrai tacite et obscur - d’élection desdirigeants.

L’Islam a pu respecter les minorités, définies d'ailleurs selon leur religion, avec leurs règles ou encoreleurs écoles. (Dans l’empire ottoman les chrétiens et les juifs pouvaient produire, vendre et consommerde l’alcool). L’Islam a, par ailleurs, dû s’adapter à différentes sociétés, ce qui a permis un certainpluralisme, valeur essentielle de la démocratie. L’ijtihad, jugement interprétatif indépendant, a été unevaleur centrale de l’Islam à son apogée.

Pour Mustafa Akyol, l’Islam a libéré l’individu du collectivisme de la tribu, et le Coran met l’accent sur lerôle de la foi et des actes de l’individu dans son rapport à Dieu : une vision du monde en fait plusindividualiste qu’on le pense. Le message originel du Coran a été selon lui obscurci par le travail post-coranique. Même s’il n’y a pas de concept de droits de l’homme à proprement parler (seul Dieu a desdroits), le dirigeant a des devoirs envers son peuple qui peuvent être interprétés comme une forme dedroits. Akyol prône un Islam modernisé, qui n’a pas perdu son essence, bien au contraire, et compatibleavec démocratie et liberté. Mais ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir en Égypte et en Tunisie ont-ils lamême interprétation ?

Liberté économique et démocratie fonctionnelle

Une cause fondamentale du printemps arabe a été omise par les observateurs : le manque de libertééconomique. L’économiste péruvien Hernando de Soto a pu qualifier cette situation, dans le cas del’Égypte, d’« apartheid économique ». Au vu de l’état de pauvreté et de sous-développement d’unemajorité de la population consécutif à cette oppression économique, la démocratie doit permettre delibérer économiquement ces nations, en changeant les incitations des acteurs en faveur de l’entreprise, de l’échange, et de la prospérité (qui permet elle-même une démocratie plus vivace).

Ce but ne peut être atteint que si la démocratie est fonctionnelle : un parlement faisant son travail decontrôle de la dépense, une administration au service des citoyens et facilitant le climat entrepreneurial,une démocratie locale responsable, de la transparence à tous les niveaux, et une société civile active. Or, les bureaucraties pléthoriques n’ont-elles pas créé un « lobby » contre les réformes ? La corruptionpourra-t-elle réellement y disparaître en faveur de la transparence, comme l’affichent les islamistes ? Lecopinage dans les affaires pourra-t-il s’effacer pour séparer le politique de l’économique ? La sociétécivile étouffée et affaiblie durant des décennies pourra-t-elle émerger sans peine ? On imagine ici le défi.

Emmanuel Martin est analyste sur www.UnMondeLibre.org - Le 4 avril 2012.

http://unmondelibre.org/content/quelle-d%C3%A9mocratie-apr%C3%A8s-le-printemps-arabe

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