jeudi 5 avril 2012

Une identité tunisienne mise à mal

Le principal sujet des débats, durant la campagne pour les élections de l'Assemblée Constituante, soit celles du 23 octobre 2011, était l'identité. Pendant toute cette période nous avons assisté à une Tunisie en "construction", qui semblait vouloir définir les contours et les limites de sa société. La "Révolution" tunisienne a remis en question ce qui pour certains était un acquis comme par exemple : les droits des femmes (CSP) ou les valeurs traditionnelles tunisiennes. Nous étions nombreux à ne pas nous retrouver dans ces débats, en effet, il n'était pas question pour moi de retrouver une identité "perdue" pendant les années de Ben Ali, mais d'atteindre les objectifs de la Révolution.

Cependant, ces points ont été complètement occultés, les programmes économiques des partis n'étaient que partiellement connu, seuls les débats de société intéressaient. Au lendemain du 14 janvier, la société était divisée entre les laicards et les croyants, cet amalgame, cette faute de compréhension du mot laïcité a révélé qu'un pan entier de la société était : "moderniste" quand l'autre s'est voulu "conservateur". Ajouté a cela le fait qu'on rencontre aujourd'hui plus de salafistes dans les rues que de mini-jupes, que le parti Ennahda est sorti vainqueur des élections et que la société se veut aujourd'hui "respectueuse des bonnes mœurs", le fossé tend a se creuser. Brève illustration de l'enjeu, le propriétaire du journal Ettounissya a été arrêté pour avoir publié une photo dont la nudité partielle du mannequin a dérangé les autorités.

Cette avalanche de petits exemples met en exergue la division de la société tunisienne. L'exemple aujourd'hui qui caractérise clairement cet état de fait est l'incident qui est survenu le 7 mars à l'université de la Manouba. Le Doyen, Habib Kardaghli, était fréquemment confronté a des jeunes filles vêtues de niqab voulant assister au cours. Ces dernières étaient soutenues par des salafistes, mais le Doyen a tenu a réitéré son interdiction et a porté plainte contre deux des étudiantes en question. Une cinquantaine de personnes considérées et se considérant comme des "salafistes" sont venues contester aux portes de la faculté, la décision du Doyen. Ils ont tenus des propos lourds de significations comme les slogans "Dégage" à l'encontre du Doyen et leurs actes ont aussi été très significatifs. Durant près d'une heure, le drapeau tunisien érigé à l'entrée principale de la faculté a été substitué par un drapeau noir. Le drapeau national symbole de l'identité tunisienne a été profané. C'est une femme qui s'est avancée et qui a défendu le drapeau tunisien. Sans le savoir, elle a permis au reste de la population de se sentir unie, de faire ressurgir un sentiment patriotique et nationaliste, de garantir l'identité du pays.

L'unité des femmes tunisiennes n'est pas une nouveauté, elles ont toujours été très unies et soudées. C'est pourquoi la Tunisie a été le premier pays Arabe à donner le droit de vote aux femmes. Le Code du Statut Personnel qui garantit aux femmes tunisiennes leurs droits a été une avancée considérable en son temps. Au lendemain de l'incident en question, soit le 8 mars, journée mondiale de la femme, nous étions près de 2000 à nous rassembler, en particulier donc des femmes, devant l'Assemblée Constituante. Nous étions venues pour défendre les droits des femmes mais c'est la célébration du sentiment patriotique à travers le drapeau qui a prit le dessus.

On en arrive à se poser d'autres questions lorsque l'on prend un peu de recul, telle que : quelles sont ces forces qui arrivent à détourner l'attention du peuple alors que c'est lui même qui a fait la "Révolution" ? Ce peuple s'est soulevé pour défendre ses libertés certes, mais avant et surtout pour retrouver de l'emploi et une certaine dignité. Les régions qui se sont soulevées en premier parce qu'elles sont les plus nécessiteuses, le sont toujours. Et pourtant, le gouvernement en place ne semble pas comprendre l'importance du gouffre devant lequel le peuple tunisien se trouve. Les débats de société sont importants, je ne remets pas cela en question, je veux simplement dénoncéer cette stratégie vue et revue qui consiste à capter l'attention par un fait disons alarmant, mais qui en réalité sert de cheval de Troie.

L'identité tunisienne s'est néanmoins illustrée à travers un événement majeur. Le 20 mars symbolise l'anniversaire de l'Indépendance en Tunisie qui a été acquise en 1956. Nous étions des milliers de personnes a défiler sur l'avenue Habib Bourguiba à Tunis. Plus qu'une simple fête nationale, c'était une démonstration de force. Le but était de réaffirmer l'attachement aux valeurs démocratiques du pays, face à toutes les dérives du gouvernement, certes, beaucoup étaient venu pour s'opposer à l'introduction de la Chariaa dans la Constitution. Mais avant et surtout, il s'agissait de s'opposer à cette frange radicale qui semble vouloir réécrire l'identité tunisienne à sa manière.

Plus d'un an après la "Révolution" la société tunisienne semble avoir toujours plus de mal à s'unir et s'accorder sur le chemin à suivre. L'identité tunisienne telle que nous la connaissions a atteint le point critique du changement et du non-retour. Si les divisions subsistent, il ne sera plus question de s'attacher aux valeurs tunisiennes, mais de s'adapter à de nouvelles mœurs et à de nouvelles formes de libertés.

par Sophie-Alexandra Aiachi

Journaliste franco-tunisienne

Publication: 4/04/2012 06h00

http://www.huffingtonpost.fr/sophiealexandra-aiachi/une-identite-tunisienne-m_b_1396839.html?ref=france

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