lundi 9 avril 2012

La difficile chasse aux trésors des dictateurs

Lundi 9 Avril 2012 à 12:00

RÉGIS SOUBROUILLARD - MARIANNE, Journaliste à Marianne, plus particulièrement chargé des questions internationales

MARIANNE


Pour assurer ce qui devait être leurs vieux jours, de nombreux dictateurs déchus ont placé leur argent dans des paradis fiscaux ou acquis grâce aux deniers publics des biens immobiliers un peu partout sur la planète. Difficile pour les pays libérérs du joug dictatorial de récupérer ces biens mal acquis. La revue Internationale et Stratégique y consacre tout un dossier.

Fait pas bon être dictateur ces temps-ci. En plus de tomber comme des mouches, à peine installés, les nouveaux régimes tentent souvent de récupérer les fortunes accumulés. Le mois dernier, la police faisait une perquisition dans un immense hôtel particulier du 16ème arrondissement, le pied à terre d’un des fils du président de la Guinée équatoriale, par ailleurs ministre de l’agriculture de la Guinée-équatoriale. Tableaux de maîtres, vins précieux, Aston Martin, Ferrari, le tout dans une bicoque estimée avenue Foch à 150 millions d’euros. « Le faste des lieux avait médusé les policiers de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) » écrivait Le Monde.

La revue internationale et stratégique consacre, dans sa dernière édition, tout un dossier à l’argent des dictateurs, conséquence d’une enquête ouverte en 2010 sur les biens mal acquis. Elle concerne trois chefs d’états africains de la Guinée équatoriale, du Gabon, et du Congo. Trois dictateurs toujours en fonction. On pourrait y ajouter le roi du Maroc, véritable « roi prédateur » selon l’expression de Catherine Graciet et Eric Laurent, qui ont mené une enquête sur la fortune de Mohammed VI…

Certains ont été contraints de laisser la place suite au printemps arabe. Le magazine américain Forbes estimait en 2008 qu'en 23 ans, la fortune des Ben-Ali Trabelsi atteindrait 5, et plus de 10 milliards selon les dernières estimations du ministère tunisien des Finances. Ce qui représente entre une et trois années de revenus touristiques du pays. Celle des Moubarak entre 40 et 70 milliards d'euros, soit 3 à 6 ans de rentrées touristiques. Difficile d’estimer la fortune d’un Kadhafi évalué entre 200 millions de dollars et parfois à 500 milliards de dollars. « Seuls les Banksters connaissent l’étendue des biens spoliés ».

DES FORTUNES DÉTOURNÉES QUI CONTINUENT DE PROFITER AUX BANQUES

« Une étude du Comité catholique contre la Faim et pour le Développement évalue entre 100 et 180 milliards de dollars les avoirs détournés par des dirigeants au cours des dernières décennies. Et selon la Banque mondiale, environ 1000 milliards de dollars sont détournés chaque sous forme de pots de vins ». Les démocraties n’échappent évidemment pas à la corruption, en revanche, les monarchies, du Golfe, la Chine, les dictatures arabes et africaines ont fait la démonstration du caractère structurant de la corruption en régime dictatorial. Lors des révoltes, la dénonciation de la corruption et la fin de l’état spoliateur font souvent partie des revendications prioritaires.

Les nouvelles démocraties ont engagé des procédures à fort enjeu politique. Des procédures longues et difficiles, notamment parce que l’argent volé aux peuples continue malgré tout de profiter aux banques, aux états qui accueillaient leurs placements, lorsqu’ils étaient au sommet de leur gloire politique. Même si la dictature a disparu.

Si l’impunité n’est plus de mise, la restitution des avoirs est encore très incertaine : « Les Ethiopiens n’ont pas touché un dollar des fonds détournés par le Négus et les révolutionnaires iraniens ont dû se passer de l’argent du Shah, pourtant hébergé dans les banques suisses » écrit le chercheur Pierre Conesa qui a coordonné le dossier. L’argent n’a pas d’odeur et sans la collaboration des banques et des paradis fiscaux, il est difficile de mettre la main sur l’argent des dictateurs.

« Il suffit de dix minutes pour transférer une somme d’argent d’une juridiction à une autre mais trois à six mois sont nécessaire pour obtenir une entente d’assistance juridique mutuelle ». Sans compter les places off-shores inviolables et les dizaines de paradis fiscaux qu’abrite l’espace économique européen.

DÉCLARER LA GUERRE AU LIECHTENSTEIN ?

Souvent les Etats se révèlent défaillants lorsqu’il s’agit de récupérer les biens détournés, l’action d’ONG comme Transparency International ou Sherpa est alors essentiel pour prendre le relais. Dès février 2011, les deux organisations déposen une plainte auprès du Procureur de la République de Paris à l’encontre de différents membres de la famille de Mouammar Kadhafi dans le but d’obtenir l’ouverture d’une information judiciaire relativement aux avoirs qu’ils pourraient posséder en France. Les ONG font régulièrement part de leur scepticisme quant à la détermination des autorités françaises à saisir les biens acquis par les ex-familles régnantes, longtemps reçues en grandes pompes à l’Elysée.

Car les blocages ne sont pas toujours où l’on croit, comme le rappelle Pierre Conesa dans un petit texte plein d'humour: « en plein cœur d’une Union Européenne confrontée à la plus grave crise économique et financière depuis sa fondation, survit un paradis offrant toutes les facilités pour frauder le fisc, cacher l’argent sale, créer des sociétés écrans, fonder une des 45000 à 50000 fondations interlopes recensées (comme celle destinée à gérer la fameuse île d’Arros achetée par Liliane Bettencourt) ». Le nom de ce petit oasis d’opacité financière : le Liechtenstein dont l'auteur appelle à l’invasion militaire, histoire de mettre la main sur quelques golden boys et mafieux en tous genres D’autant plus simple que le pays n’a pas d’armée et que l’Europe de la défense « qui a du mal à se fixer des objectifs stratégiques pourrait y conduire l’opération seule, sans appui otanien, ni états-unien. La guerre peut encore être évitée mais cela supposerait que l’Union européenne fasse plus sur les paradis fiscaux européens que contre la population grecque. En est-elle capable ? ».

http://www.marianne2.fr/La-difficile-chasse-aux-tresors-des-dictateurs_a216856.html

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